Dégradation de l’excédent brut d’exploitation : dans quelle mesure peut-elle être un motif de licenciement économique ?

Dominique Guerin
Dominique Guerin

Dans un arrêt du 1er février 2023, la Cour de cassation répond : à condition que la dégradation de l’EBE soit durable et sérieuse[1].

Avant la Loi du 1er décembre 2016, l’article L.1233-3 du Code du travail était rédigé comme suit :

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Le texte laissait donc libre à cours au juge prud’homal le soin de définir les contours de la définition du motif économique.

La jurisprudence avait dégagé quatre catégories de motifs économiques : les difficultés économiques, les mutations technologiques, la cessation d’activité de l’entreprise et la réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

Le juge prud’homal se prêtait donc à une appréciation de la réalités des motifs économiques qui étaient invoqués par l’employeur et également du lien de causalité entre le motif économique invoqué et la suppression, la transformation ou la modification du poste de travail du salarié visé par la mesure de licenciement.

L’issue du procès en la matière se révélait des plus incertaines.

L’objectif du législateur, dans la Loi du 1er décembre 2016, était donc d’encadrer davantage l’office du juge.

L’article L.1233-3 (dans sa version actuelle) du Code du travail est rédigé comme suit :

Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :

1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.

Une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l’année précédente, au moins égale à :

a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d’au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ;

2° A des mutations technologiques ;

3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ;

4° A la cessation d’activité de l’entreprise.

La matérialité de la suppression, de la transformation d’emploi ou de la modification d’un élément essentiel du contrat de travail s’apprécie au niveau de l’entreprise.

Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude.

Pour l’application du présent article, la notion de groupe désigne le groupe formé par une entreprise appelée entreprise dominante et les entreprises qu’elle contrôle dans les conditions définies à l’article L. 233-1, aux I et II de l’article L. 233-3 et à l’article L. 233-16 du code de commerce.

Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.

En reprenant les quatre catégories dégagées par la jurisprudence, le législateur a donné une grille de lecture des difficultés économiques en donnant des exemples d’indicateurs économiques auxquels pouvait se référer le juge et surtout en précisant que l’évolution d’un seul indicateur est nécessaire pour justifier des difficultés.

Parmi ces indicateurs, on retrouve l’excédent brut d’exploitation (EBE).

Pour les béotiens comptables et financiers, on rappellera que l’EBE est le solde du compte d’exploitation.

C’est le solde entre la valeur ajoutée de l’entreprise après retranchement de la rémunération des salariés et versement des cotisations sociales et des impôts sur la production.

Au cas d’espèce, la société avait procédé à deux licenciements pour motifs économiques en 2017 en invoquant une dégradation de son EBE depuis 2015.

Un salarié a contesté son licenciement en arguant du fait que dans le même temps le chiffre d’affaires avait augmenté.

La Cour de cassation avait déjà pu préciser que peu importe l’augmentation du chiffre d’affaires dès lors que l’employeur est en mesure de justifier de l’évolution d’un indicateur économique prévu par l’article L.1233-3[2].

Dans l’arrêt du 1er février 2023, la Cour de cassation confirme donc cette position (conforme à l’esprit et la lettre des dispositions légales) et rejette donc logiquement le moyen invoqué dans le pourvoi.

S’agissant de l’EBE, au cas d’espèce, son évolution était comme suit : 2014 : -726.000 € ; 2015 : -874.000 € ; 2016 : +32.000 € ; 2017 : -124.013 €.

La Cour d’appel, pour retenir le bien fondé du licenciement, avait relevé que l’EBE positif de 2016 s’expliquait par des opérations purement financières.

La dégradation de l’EBE revêtait donc un caractère durable et sérieux, pendant plusieurs années et sur des montants significatifs.

Suffisant donc pour justifier un licenciement.

A contrario, une dégradation passagère ou d’une faible ampleur n’est pas suffisante[3].

Reste à savoir à partir de quand une dégradation d’un indicateur économique autre que la baisse du chiffre d’affaires ou de la baisse de commande est durable et de grande ampleur.

En effet, la notion de trimestres et la taille de l’entreprise fixée par les dispositions légales vise exclusivement la baisse de commande ou la baisse du chiffre d’affaires.

Si un simple indicateur économique suffit, il reste donc une marge d’appréciation du juge (et nécessairement un risque pour l’employeur) sur le caractère durable et sérieux de la dégradation de cet indicateur économique invoqué pour motiver un licenciement pour motif économique.


[1] Cass. soc., 1er février 2023, n° 20-19.661

[2] Cass. soc., 21 septembre 2022, n° 20-18.511

[3] Cass. soc., 8 décembre 2004, n° 02-46.293

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