Source : Cass. com., 15 novembre 2016, n°14-26.287, FS-P+B+I
I – Bref rappel des termes du débat
Dès sa mise en place en 2010, la déclaration notariée d’insaisissabilité (DNI) suscitait des interrogations sur son efficacité en cas de procédure collective de l’entrepreneur individuel. Se posait plus précisément la question de l’opposabilité de la déclaration notariée d’insaisissabilité à la liquidation judiciaire du déclarant. La Cour de cassation s’était d’abord fondée implicitement sur l’étendue de l’effet réel de la procédure pour affirmer l’efficacité de principe de la déclaration d’insaisissabilité de l’immeuble hors procédure[1], pour ensuite se situer sur le terrain de la qualité à agir du mandataire judiciaire, pour dénier au liquidateur le droit d’agir en inopposabilité dès lors qu’il ne peut légalement le faire que pour la défense de l’intérêt collectif des créanciers, et non d’un groupe de créanciers, sachant qu’en application de l’article L.526-1 du Code de commerce, la déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent, postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité[2].
Cette lecture processuelle s’était donc tout logiquement étendue à l’action paulienne[3], ou encore à la licitation partage de l’immeuble indivis déclaré insaisissable[4]. Seule était permise l’inscription d’une hypothèque judiciaire sur l’immeuble[5].
Le principe était donc posé : le liquidateur ne peut agir que s’il représente tous les créanciers, et pas seulement certains d’entre eux, à qui notamment la déclaration serait inopposable. Cependant le passif est généralement composé à la fois de créanciers auxquels la déclaration est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels) et de créanciers auxquels elle est opposable (créanciers professionnels postérieurs à la déclaration), ce qui prive donc le liquidateur de la faculté d’agir en inopposabilité et/ou aux fins de vente de l’immeuble, puisqu’il n’agit pas dans l’intérêt de tous les créanciers. Pour que le liquidateur puisse agir ainsi, le passif devrait être exclusivement composé de créanciers auxquels la déclaration d’insaisissabilité est inopposable (créanciers professionnels antérieurs à la déclaration et créanciers non professionnels), ce qui n’est jamais le cas en pratique.
II – Conséquences de l’irrégularité d’une déclaration notariée d’insaisissabilité en procédure collective
C’est l’enjeu de la décision commentée. Un entrepreneur individuel régularise une déclaration notariée d’insaisissabilité portant sur sa résidence principale, dont il est copropriétaire indivis. Celle-ci est publiée le 18 octobre 2010 au bureau des hypothèques, mais n’est pas publiée au registre du commerce et des sociétés. Par jugement du 12 janvier 2011, l’entrepreneur individuel est placé en redressement judiciaire, converti en liquidation judiciaire par jugement du 15 mars 2011.
Le liquidateur judiciaire désigné agit en inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité fondée sur l’article L.526-2 du Code de commerce, et sollicite la licitation de l’immeuble indivis.
La Cour d’Appel de Nîmes déclare irrecevable la demande du liquidateur judiciaire et rejette la demande de licitation de l’immeuble indivis, en relevant que l’entrepreneur individuel a simultanément des créanciers professionnels et non professionnels, que le liquidateur judiciaire représente ces deux catégories de créanciers, que seuls les créanciers professionnels ont intérêt à agir en inopposabilité, et qu’en conséquence le liquidateur judiciaire, par son action, n’agit pas dans l’intérêt collectif de tous les créanciers du débiteur.
Un pourvoi en cassation est formé par le liquidateur et, malgré les principes précités, la Haute juridiction va casser l’arrêt d’appel. Elle précise que l’arrêt rendu était conforme à la jurisprudence applicable jusqu’à ce jour, citant explicitement l’arrêt du 13 mars 2012, mais elle ajoute que cette solution a pour effet de priver les organes de la procédure collective de la possibilité de contester l’opposabilité de la déclaration d’insaisissabilité.
Or, selon la Chambre commerciale, le rôle des organes de la procédure collective est d’agir pour la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers. Pour asseoir sa motivation, l’arrêt vise expressément sa décision du 2 juin 2015[6], qui avait retenu que l’intervention volontaire de salariés licenciés dans le cadre d’une instance en responsabilité à l’encontre d’un établissement bancaire pour crédit ruineux, initiée par un commissaire à l’exécution du plan, était recevable, car cette intervention ne tendait pas obtenir la protection et la reconstitution du gage commun des créanciers, mais tendait à obtenir l’indemnisation de préjudice distinct de celui de la collectivité des créanciers.
La Cour de cassation conclut en indiquant qu’à son sens et dans ce contexte il y a lieu de modifier sa jurisprudence résultant de l’arrêt du 13 mars 2012, et de retenir désormais que la déclaration d’insaisissabilité n’est opposable à la liquidation judiciaire qu’à la condition qu’elle ait été régulièrement publiée, qu’en conséquence le liquidateur judiciaire a qualité pour agir dans l’intérêt collectif des créanciers pour contester, le cas échéant, la régularité de la publicité d’une déclaration d’insaisissabilité en vue de reconstituer le gage commun des créanciers.
III – Quelle portée pour ce revirement ?
La déclaration notariée d’insaisissabilité n’a pas été adaptée à l’hypothèse de la liquidation judiciaire de l’entrepreneur individuel, ce qui lui vaut depuis son origine moult critiques. Faut-il voir dans cette décision une refonte totale de la construction jurisprudentielle de la Cour de cassation sur cette question de la déclaration notariée d’insaisissabilité dans un contexte de procédure collective, ou faut-il y voir que seule l’hypothèse de la contestation de la régularité de la publicité de la déclaration notariée d’insaisissabilité est désormais ouverte au liquidateur judiciaire ?
La Cour de Cassation le dira, mais elle ne semble pas favorable aujourd’hui à l’idée de permettre au liquidateur judiciaire d’agir en vente forcée du bien immobilier grevé d’une déclaration d’insaisissabilité opposable, même si un créancier peut se prévaloir de l’inopposabilité de la déclaration d’insaisissabilité[7].
C’est peu de dire que le débat n’est pas clos…
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. com. 28 juin 2011, n°10-15.482, FS-P+B+R+I
[2] Cass. com. 13 mars 2012, n°11-15.438, FS-P+B
[3] Cass. com., 23 avril 2013, n°12-16.035, FS-P+B ; Décision anéantie depuis l’ordonnance du 12 mars 2014 et pour les procédures collectives ouvertes postérieurement au 1er juillet 2014 : la déclaration notariée d’insaisissabilité de la résidence principale ou d’autres immeubles est désormais expressément mentionnée au rang des actes susceptibles d’être annulés (nullité de plein droit postérieurement à la date de cessation des paiements, nullité « facultative » dans les 6 mois qui précèdent selon l’article L.632-1 du Code de commerce)
[4] Cass. com., 30 juin 2015, n°14-14.757, F-D
[5] Cass. com., 11 juin 2014, n°13-13.643, FS-P+B
[6] Cass. com., 2 juin 2015, n°13-24.714, FS-P+B+R+I
[7] Cass. com., 22 mars 2016, n°14-21.267, F-P+B