Crédit à une entreprise en difficulté, garanties disproportionnées et responsabilité du prêteur

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. com. 18 mai 2017, n° 15-12.338, F-D

 

I – L’espèce

 

Un dirigeant d’une société s’est porté caution, dans la limite de 325.000 €, du crédit par découvert en compte consenti par une banque. Après la mise en redressement puis en liquidation judiciaires de la société, la banque a poursuivi en paiement le dirigeant, qui a invoqué en défense la disproportion de son engagement de caution.

 

La cour d’appel a réduit le montant du cautionnement à 60.000 € : le solde débiteur du compte courant de la société n’a jamais excédé 125.000 €, et avoisinait habituellement 40.000 ou 50.000 €. Les juges du fonds ont estimé que le cautionnement à hauteur de 325.000 € exigé du dirigeant, en garantie de tous les engagements de la société à l’égard de la banque pour une durée de six mois, était manifestement disproportionné au regard des engagements de la société car d’un montant sans commune mesure avec ceux-ci. La banque s’est pourvue en cassation.

 

II – La cassation

 

La Cour de cassation a censuré cette décision au visa de l’article L.650-1 du Code de commerce. La banque n’a pris, en contrepartie des concours consentis à la société, qu’une garantie constituée par le cautionnement, ce qui excluait, en raison du caractère accessoire d’une telle sûreté, quelle que soit sa limite, toute disproportion à ses concours.

 

III – Illustration d’un principe posé par la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005

 

Issu de la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, l’article L.650-1 du Code de commerce pose le principe de l’irresponsabilité du créancier dispensateur de crédit, sauf exceptions. Les créanciers d’une entreprise faisant l’objet d’une procédure collective ne peuvent pas être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours qu’ils ont consentis, sauf en cas de fraude, d’immixtion caractérisée dans la gestion de l’entreprise ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci. Lorsque la responsabilité d’un créancier est reconnue, les garanties prises en contrepartie de ses concours peuvent être annulées ou réduites par le juge.

 

Ce dispositif répond à un objectif d’intérêt général, a estimé le Conseil constitutionnel, qui l’a validé, car il est de nature à lever un obstacle à l’octroi des apports financiers nécessaires à la pérennité des entreprises en difficulté, alors que la jurisprudence antérieure retenait souvent la responsabilité du fournisseur de crédit.

 

La mise en cause de la responsabilité du fournisseur de crédit dans le cadre d’une procédure collective suppose la réunion de deux séries de conditions :

 

– L’existence d’un des trois cas dans lesquels l’immunité du créancier cesse : fraude, immixtion caractérisée ou disproportion des garanties ;

 

– Une exigence supplémentaire de la Cour de cassation, consistant en la preuve que les crédits consentis étaient en eux-mêmes fautifs[1], par exemple, parce qu’il s’agissait d’un crédit ruineux ou consenti à une entreprise dans une situation déjà irrémédiablement compromise.

 

La Cour de cassation n’avait pas eu encore l’occasion de se prononcer sur le caractère disproportionné des garanties au sens de l’article L.650-1 du Code de commerce. La cour d’appel avait déduit la disproportion du cautionnement de la comparaison entre le montant pour lequel il avait été donné et celui du découvert en compte qu’il garantissait. Mais la Cour de cassation semble désormais exclure la disproportion dans l’hypothèse d’un cautionnement unique. Même le montant pour lequel il est donné semble sans incidence, puisque le cautionnement ne peut pas être appelé pour une somme supérieure à celle due par le débiteur principal. Le cumul par le prêteur de plusieurs garanties à son profit n’est pas à lui seul sanctionné non plus, faute de démontrer en quoi ce cumul est, compte tenu des circonstances, disproportionné aux concours consentis[2].

 

L’esprit du texte semble donc sauvegardé.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats



[1] Cass. com. 27 mars 2012 n°10-20.077, FS-PBRI ; Cass. com. 22 mars 2017, n°15-13.290, D ; Cass. com. 4 mai 2017, n°15-18.259, F-D

[2] Cass. com. 13 janv. 2015 n° 13-25.360, FS-D

 

 

 

 

Partager cet article
Vivaldi Avocats