Covid19 : quand le non-règlement des loyers se rattachant à la période de « fermeture administrative » mène à la résiliation du bail commercial…

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

SOURCE : CA RIOM, Ch1, 2 mars 2021, n°20/01418.

 

Première juridiction du second degré (à notre connaissance) à donner une suite favorable à une action en résiliation du bail lié au refus de paiement du loyer en période de fermeture administrative, la considérant comme dénuée de contestation sérieuse, la Cour d’appel de RIOM retient, par un arrêt particulièrement motivé, que :

 

1) L’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité du loyer (ce qui est vrai) ;

 

2) L’impossibilité pour le locataire d’exercer son activité dans les lieux n’est pas la conséquence d’un manquement du bailleur à son obligation de garantie de jouissance paisible, le bailleur ne garantissant pas au preneur que le bail sera fructueux et que le preneur réalisera les profits espérés.

 

La Cour ajoute de surcroit que l’interdiction de recevoir du public n’affecte pas les lieux loués mais le fonds de commerce, le locataire conservant la possibilité de sous louer, stocker, faire des travaux ;

 

3) Le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de son obligation en invoquant la force majeure[1] ;

 

4) Le bailleur a exécuté de bonne foi ses obligations au regard des circonstances exceptionnelles, en n’exigeant pas le paiement immédiat du loyer dans les conditions prévues au contrat et en reportant les loyers non réglés pendant la période de confinement. Un échelonnement de paiement, dès la fin du confinement, avait en effet été proposé par le bailleur, et vraisemblablement refusé par le preneur.

 

5) Le preneur pouvait s’acquitter du loyer, ses comptes étant suffisamment provisionnés pour exécuter son obligation de payer le loyer.

 

Les juges du fond en déduisent que « l’inexécution qui découle de l’interdiction d’ouvrir le commerce ne saurait engager la responsabilité contractuelle du bailleur et le preneur ne peut en tirer argument pour s’exonérer de sa propre obligation ».

 

Il s’agissait en l’espèce d’un preneur à bail notarié conclu en 2014, qui exploitait dans les lieux une activité de détaillant de matériels de télécommunication.

 

En l’absence de paiement des loyers d’avril et mai 2020, c’est-à-dire afférent à la période de fermeture au public de l’établissement, le bailleur faisait commandement, le 9 juin 2020, au preneur de payer le loyer (7.000€), visant la clause résolutoire, dont les causes ne seront pas apurées dans le mois.

 

C’est dans ce contexte que le bailleur sollicitait et obtenait du juge de l’évidence la résiliation du bail et l’expulsion corrélative du preneur, qui saisissait la Cour d’appel de RIOM.

 

Au regard des décisions rendues jusqu’alors, la constatation de la résiliation par le juge de première instance était déjà une singularité. Mais la confirmation de la décision par les juges d’appel est un événement. En effet, de manière pragmatique, les juridictions ont pour l’essentiel considéré que les moyens classiquement développés par les preneurs pour s’opposer au paiement des loyers de type, sans que cette liste soit limitative, force majeure, exception d’inexécution, déséquilibre significatif, ou même imprévision, caractérisait une contestation sérieuse qui échappait au juge des référés de sorte que le bailleur était renvoyé à mieux se pourvoir devant les juridictions du fond. En bref, pour les non spécialistes de la procédure, une issue reportée de quelques mois à près de deux ans.

 

Mais au fond, ce type de décision était, dès le départ, prévisible, avec un seul fil conducteur analysé par les juges qu’est la bonne foi de l’article 1104 du Code civil.

 

Certes, il est désormais communément admis que la crise étant subie par tous, chacun doit faire un effort pour en limiter les conséquences en ce compris le bailleur, mais comme en l’espèce, lorsque le preneur fait du non-paiement des loyers, au demeurant modique, une question de principe alors que sa trésorerie est pléthorique, il prête le flanc au grief de mauvaise foi, et subit la sanction contractuelle à laquelle la plupart des preneurs avaient jusqu’à présent échappé.

 

Pragmatiquement, le juge va considérer que la force majeure ne relève pas de sa compétence si le défaut d’entente sur le paiement des loyers est pour partie ou en totalité imputable au bailleur. Mais lorsqu’il estime le preneur n’avait aucune raison pertinente de ne pas payer les loyers malgré la fermeture administrative, alors il saura se souvenir de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle les difficultés de paiement ne constituent pas un cas de force majeure.

 

Attention donc aux contentieux d’opportunité qui consistent par principe à ne pas vouloir payer les loyers alors même qu’en face un bailleur accepte un paiement différé ou moratorié. Dans cette typologie, le bailleur est de bonne foi en proposant une solution qui peut être intéressante pour le preneur, puisqu’in fine, aucun des textes d’exception pris en période d’état d’urgence sanitaire ne supprime l’obligation au paiement des loyers. Si en réponse le preneur explique à son juge qu’il ne paiera par principe pas les loyers, et rejette ainsi le moratoire proposé par le bailleur sans en proposer un autre qui lui semble plus satisfaisant, alors il s’expose au risque de la constatation par le juge d’un comportement de mauvaise foi qu’il va sanctionner par la constatation de la résiliation du bail.

 

C’est ici l’occasion de rappeler une obligation du bailleur et du preneur d’adopter un comportement de bonne foi en réponse à la crise, ce que Chronos a déjà eu l’occasion de souligner à plusieurs reprises[2].

 

Fin du bail pour le preneur ? Pas totalement, il lui appartient dans le délai du pourvoi en cassation, de déposer une demande d’ouverture de procédure de sauvegarde ce qui aura pour effet d’annihiler rétroactivement la constatation de la résiliation pour non-paiement des loyers au visa de l’article L622-21 du Code de commerce.

 

Coup de pied à suivre devant la Cour de cassation ? Si un tel recours est formé, souhaitons que la Haute juridiction s’en empare rapidement, et nous livre sa position.

 

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[1] Cf cass com, 16 septembre 2014, n°13-20306[RETOUR]

[2] Cf article Chronos Maître Eric DELFLY du 15 mars 2021Bail commercial et pandémie http://vivaldi-chronos.com/a-la-une/bail-commercial-et-pandemie/[RETOUR]

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