Covid 19, quid des assemblées annuelles d’approbation des comptes des sociétés ?

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Sources :

 

  Ordonnance n° 2020-318 du 25 mars 2020

 

  Ordonnance n° 2020-321 du 27 mars 2020

 

  Rapports au Président de la République

 

I –

 

Deux Ordonnances ont été adoptées les 25 et 27 mars 2020 (ci-après « les Ordonnances »). La première concernait les comptes des groupements et plus particulièrement l’approbation des comptes en Assemblée Générale, alors que la seconde apportait des dérogations spécifiques au fonctionnement des groupements.

 

Dans les deux cas, ces Ordonnances, qui n’ont qu’une valeur réglementaire, s’inscrivent dans le cadre du mandat donné par le Parlement par la loi de 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence. Les modifications, même temporaires, envisagées par le Gouvernement relevant des prérogatives de la loi, l’Ordonnance aura vocation à être ratifiée par la suite, ce qui ne posera, en tout cas pour ces textes particuliers, pas de difficulté.

 

II – LES COMPTES SOCIAUX DES GROUPEMENTS

 

Les Ordonnances n’ont que pour seul but d’aménager la démocratie sociale et plus particulièrement, les conditions d’examen et d’approbation des comptes sociaux des sociétés dont les conditions sont désormais aménagées.

 

Mais ne nous y trompons pas, les obligations déclaratives, notamment en matière fiscale, ne subissent pas les mêmes reports de délai, puisqu’à l’exception des impôts directs, les déclarations fiscales et notamment TVA et droits d’enregistrement ne bénéficient pas d’un moratoire « COVID » .

 

Enfin, les reports doivent s’apprécier en fonction de la nature des groupements. Explications :

 

II – 1. Les comptes des Sociétés Anonymes

 

Les Sociétés Anonymes à conseil d’administration et celles à directoire  doivent réunir leur assemblée dans les six mois de la clôture de leur exercice.

 

L’Ordonnance du 25 mars permet de proroger ce délai de trois mois, ce qui, en pratique, conduit pour les sociétés clôturant leur exercice au 31 décembre de chaque année à ce que :

 

– Les comptes soient présentés au conseil d’administration ou au directoire au plus tard le 30 juin 2020 ;

 

– Pour que l’assemblée puisse statuer au plus tard pour le 30 septembre 2020.

 

Ce report ne concerne pas les sociétés dont les Commissaires aux comptes ont été particulièrement diligents et qui ont émis leur rapport avant la voie d’urgence sanitaire, c’est-à-dire avant le 12 mars 2020.

 

Dans cette hypothèse, l’Ordonnance substitue le report par la suspension des diligences obligatoires jusqu’à l’expiration « d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclarée par l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 (…) ».

 

II – 2. Société en liquidation amiable

 

L’article L.237-25 du Code de Commerce qui s’applique plus spécialement aux sociétés commerciales en liquidation amiable, met en place un calendrier de procédure annuel par lequel :

 

– Dans les trois mois de la clôture de chaque exercice, le liquidateur amiable transmet aux associés les comptes annuels au vu de l’inventaire qu’il a dressé des divers éléments de l’actif et du passif ;

 

– Convoque dans les délais des statuts, s’ils sont plus courts que les textes, et au plus tard dans les six mois de la clôture de l’exercice, l’assemblée des associés aux fins qu’il soit statué sur les comptes annuels, les autorisations nécessaires et éventuellement au renouvellement du mandat des contrôleurs, Commissaires aux comptes, etc.

 

L’Ordonnance du 25 mars, là encore, suspend ces délais et reporte la fin de l’accomplissement de ces obligations à l’expiration d’un délai d’un mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire.

 

Précision utile, mais pas fondamentale dans la mesure où l’article L. 237-25 précité dispose que « si l’assemblée n’est pas réunie, le rapport du liquidateur amiable est déposé au Greffe du Tribunal de Commerce et communiqué à tout intéressé ».

 

II – 3. Approbation des comptes des autres groupements

 

Il s’agit des personnes morales à forme civile ou commerciale, à but ou sans but lucratif autre que les Sociétés Anonymes et notamment les Sociétés Civiles, SARL, SAS, Associations, GIE, etc.

 

Là encore, l’Assemblée Générale qui doit statuer sur l’approbation des comptes est reportée de trois mois.

 

Il faut comprendre cependant que pour un exercice clos au 31 décembre 2019, l’AGO doit se tenir, au plus tard, le 30 septembre pour autant que les statuts n’en disposent pas autrement.

 

Notre Cabinet assure le secrétariat juridique de Sociétés Civiles qui doivent statuer sur l’approbation de leurs comptes au plus tard le 30 avril de chaque année, ce qui reporte, cette fois, l’Assemblée Générale, non pas au 30 septembre, mais au 31 juillet 2020.

 

II – 4. Les documents prévisionnels

 

L’article L.232-2 alinéa 1er du Code de Commerce impose aux organes de direction des Sociétés Commerciales répondant favorablement aux critères posés par l’article R.232-2 du Code de Commerce , d’établir une situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible , un compte de résultat prévisionnel, un tableau de financement et un plan de financement prévisionnel au plus tard dans les quatre mois qui suivent l’ouverture de l’exercice en cours.

 

Ce délai est prorogé, cette fois-ci de deux mois.

 

III – FONCTIONNEMENT DES GROUPEMENTS

 

Il s’agit, pour l’Ordonnance du 27 mars 2020 d’aménager les fonctionnements des groupements en cette période de crise sanitaire. Mais la portée de ce texte reste toute relative par rapport à la précédente Ordonnance du 25 mars, puisqu’il ne s’agit que d’adapter le fonctionnement des Assemblées Générales en période de crise sanitaire, ce qui suppose que le groupement (i) ait un besoin impérieux de réunir ses associés en période de confinement pour toute question autre que l’approbation des comptes et notamment, par exemple, une augmentation de capital urgente ou encore d’assurer le formalisme relatif au changement de contrôle de la société, etc, ou (ii) de maintenir malgré tout l’Assemblée Générale d’approbation des comptes hors période de confinement, ce qui, pour notre part et à l’exception, peut-être, de certaines sociétés cotées, n’est pas franchement fondamental.

 

III- 1. Un vote exclusivement à distance en cas d’Assemblée Générale à huis clos et sauf cas particulier à exprimer avant l’Assemblée Générale

 

La position adoptée par l’AMF, à propos des sociétés cotées, est, à notre avis, transposable presqu’in extenso pour tous les groupements non cotés.

 

Dans le cadre de ses missions fondamentales, consistant à veiller à la protection de l’épargne et à l’information des investisseurs, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) attire l’attention des épargnants sur le fait que, dans le contexte actuel de crise sanitaire, les assemblées générales se tiendront à huis clos, hors la présence des actionnaires. En effet, en vertu de cette ordonnance, les sociétés sont exceptionnellement autorisées à tenir leur Assemblée Générale sans que leurs actionnaires – et les autres personnes ayant le droit d’y assister, tels que par exemple les commissaires aux comptes et les représentants des instances représentatives du personnel – ne soient physiquement présents.

 

En conséquence, les actionnaires pourront exercer leur droit de vote uniquement à distance, avant l’Assemblée Générale, à savoir en :

 

– Votant par correspondance via un formulaire de vote ; il est recommandé d’utiliser l’envoi électronique dans les circonstances actuelles où les délais postaux sont incertains.

 

– Donnant un mandat de vote (également appelé « procuration ») à une personne de son choix ou à l’émetteur sans indication de mandataire (pouvoir « en blanc »). L’AMF attire l’attention des actionnaires sur les difficultés pouvant résulter, dans le contexte d’une Assemblée Générale tenue à huis clos, du recours au mandat de vote donné à une personne de son choix (hors « pouvoir en blanc »). En cas de question, l’AMF invite les actionnaires qui souhaiteraient utiliser cette modalité de vote à contacter, au préalable, l’émetteur concerné au sujet du traitement réservé à ces mandats de vote. Il est rappelé à cet égard que « pour toute procuration d’un actionnaire sans indication de mandataire, le président de l’Assemblée Générale émet un vote favorable à l’adoption des projets de résolution présentés ou agréés par le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, et un vote défavorable à l’adoption de tous les autres projets de résolution »[1].

 

– Votant sur Internet via une plateforme de vote sécurisée, si les statuts de l’émetteur le permettent et si cette modalité de vote est prévue par la société cotée. En pratique, ce vote s’exerce avant l’Assemblée Générale.

 

Dans la mesure où ces modalités de vote doivent toutes être mises en œuvre par les actionnaires en amont de l’Assemblée Générale, l’AMF les invite à s’informer au plus tôt auprès des sociétés sur les modalités de participation prévue dans ce contexte. Les actionnaires doivent impérativement prendre en compte les délais impartis pour exercer leurs droits de vote avant l’assemblée. Ils peuvent pour cela consulter le site internet des sociétés cotées et les communiqués publiés.

 

Il est enfin rappelé que l’Ordonnance a assoupli la faculté pour les émetteurs d’organiser leur Assemblée Générale sous forme de conférence téléphonique ou audiovisuelle, à condition, notamment, que les moyens techniques mis en œuvre permettent l’identification des actionnaires.

 

De bonnes pratiques à destination des émetteurs.

 

L’Ordonnance prévoit que lorsqu’un émetteur décide de se prévaloir des dispositions lui permettant d’organiser une Assemblée Générale à huis clos et que tout ou partie des formalités de convocation ont été accomplies préalablement à la date de cette décision, les actionnaires en sont informés dès que possible par voie de communiqué dont la diffusion effective et intégrale est assurée par la société. Si les formalités de convocation n’ont pas été accomplies à cette date, les actionnaires sont informés de cette décision via les documents de convocation, mais la publication d’un communiqué dont la société s’assure de la diffusion effective et intégrale est également encouragée dans cette hypothèse.

 

Afin d’assurer une information appropriée des actionnaires dans ce contexte exceptionnel de crise sanitaire, l’AMF encourage les émetteurs à suivre les bonnes pratiques suivantes :

 

– Mettre en place, le plus tôt possible en amont de l’assemblée générale, une communication claire, précise et accessible à l’attention de l’ensemble des actionnaires concernant :

 

 Les modalités particulières de tenue de l’assemblée générale dans le contexte de crise sanitaire (rappelant que l’assemblée se tiendra à huis clos, sans présence des actionnaires),

 

 Les différentes modalités d’information des actionnaires (et notamment de consultation des documents relatifs à l’assemblée générale, y compris la liste des actionnaires),

 

 Les différentes modalités de participation possibles, mentionnant notamment :

 

  Les modalités pour poser des questions en amont de l’assemblée générale,

 

  Le cas échéant, l’impossibilité de poser des questions pendant l’assemblée générale,

 

  Le cas échéant, l’impossibilité de proposer des « résolutions nouvelles »[2] pendant l’assemblée générale,

 

 Les différentes modalités de vote disponibles, en précisant, sur leur site internet et dans leurs communiqués relatifs à l’assemblée générale, le traitement qui sera fait des mandats de vote dans ce contexte.

 

– Mettre en évidence, sur la page d’accueil du site internet de l’émetteur, un lien vers les pages du site internet dédiées à l’assemblée générale afin de permettre aux actionnaires de trouver sans difficulté l’information pertinente sur les assemblées générales.

 

– Mentionner sur les pages du site Internet dédiées à l’assemblée générale les informations appropriées concernant les modalités particulières de tenue de l’assemblée générale, et de participation des actionnaires, dans le contexte de crise sanitaire.

 

– Dans le communiqué devant être diffusé, en application de l’ordonnance précitée, par l’émetteur (« diffusion effective et intégrale ») s’il décide de tenir son assemblée générale à huis clos et que tout ou partie des formalités de convocation ont été accomplies préalablement à la date de cette décision, rappeler les modalités de vote offertes aux actionnaires dans ce contexte et insérer un lien hypertexte vers les différentes modalités de vote disponibles (formulaire de vote ou, le cas échéant, plateforme de vote électronique).

 

– Permettre aux actionnaires de voter sur Internet via une plateforme de vote sécurisée, si les délais avant la tenue de l’assemblée générale permettent à l’émetteur de mettre en place une telle modalité de vote.

 

– Informer directement par voie électronique (email), lorsque l’adresse électronique est connue de l’émetteur, les actionnaires au nominatif des modalités particulières de vote et de tenue de l’assemblée générale. Cette information ne dispense pas du respect des obligations d’information des actionnaires au nominatif par voie postale auxquelles l’émetteur est tenu.

 

– Compte tenu de l’impossibilité pour les actionnaires de se rendre, dans le contexte actuel, au siège de l’émetteur pour consulter les documents concernant l’émetteur qu’ils sont en droit de consulter[3], permettre aux actionnaires, lorsque cela est possible, d’exercer leur « droit à communication » en leur adressant – sur demande et par email – une copie des documents qui ne sont pas accessibles sur le site internet de l’émetteur.

 

– Retransmettre l’assemblée générale en direct, en format audio ou vidéo, par diffusion en streaming ou par tout procédé de retransmission accessible aux actionnaires. Cette retransmission doit être aisément accessible à l’ensemble des actionnaires à partir du site Internet de l’émetteur.

 

– Dans la mesure où les assemblées générales à huis clos ne permettent pas aux actionnaires de poser de questions orales pendant l’assemblée générale, accepter de recevoir et traiter, dans la mesure du possible, les questions écrites des actionnaires qui sont envoyées à l’émetteur après la date limite prévue par les dispositions réglementaires et avant l’assemblée générale.

 

– Au terme de la retransmission en direct, maintenir en libre accès pour les actionnaires la vidéo de l’assemblée générale sur le site Internet de l’émetteur.

 

– Publier dès que possible le procès-verbal de l’assemblée générale sur le site Internet de l’émetteur.

 

– Compte tenu du fonctionnement altéré des services postaux, l’AMF recommande plus généralement aux actionnaires et aux émetteurs de recourir dans ce contexte, lorsque cela est possible, aux moyens de communications électroniques dans le cadre de leurs démarches et communications relatives aux assemblées générales. A cet égard, l’AMF invite les émetteurs à créer une adresse email dédiée aux questions des actionnaires relatives à l’assemblée générale et à informer largement les actionnaires, notamment sur le site internet, de l’existence de cette adresse.

 

En outre, l’AMF recommande aux teneurs de comptes-conservateurs d’informer, le plus tôt possible, leurs clients des modalités particulières de vote et de tenue des assemblées générales dans ce contexte exceptionnel.

 

III – 2. La possibilité d’un report des Assemblées générales

 

La meilleure solution semble être, même pour les sociétés cotées, de reporter la tenue de leur Assemblée Générale, ce que certaines de ces sociétés ont d’ores et déjà annoncé.

 

L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a d’ailleurs rappelé le dispositif issu de l’Ordonnance du 25 mars 2020 en expliquant toutefois que « les sociétés cotées qui souhaitent reporter la tenue de leur Assemblée Générale, doivent en informer dès que possible leurs actionnaires par un communiqué à diffusion effective et intégrale ».

 

Cette précaution méthodologique doit s’imposer naturellement à tous les groupements non cotés.

 

Même observation en ce qui concerne les sociétés qui modifieraient leur proposition de dividendes.

 

Il faut ici comprendre que la démocratie, en cette période difficile, passe d’abord et avant tout par l’information aux associés des positions adoptées par les organes de direction.

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