Covid-19 – Commentaires de l’Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises

Etienne CHARBONNEL
Etienne CHARBONNEL - Avocat associé

Source : Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020Circulaire n° CIV/03/20 du 30 mars 2020 de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau.

 

Le droit des entreprises en difficultés, comme un grand nombre de matières, voit ses délais procéduraux adaptés en période d’urgence sanitaire.

 

Le Livre VI du Code de Commerce est désormais impacté par trois textes nouveaux :

 

– L’Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux Juridictions de l’Ordre Judiciaire statuant en matière non pénale ;

 

– L’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période ;

 

– Et donc désormais l’Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions et procédures pénales.

 

Le présent article a pour ambition de synthétiser les principaux impacts de ces textes sur les délais en matière de procédure collective.

 

I – Sur l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais « de droit commun »

 

Cette ordonnance, la première rendue en matière de prorogation des délais, traite de manière générale, de la prorogation de tous les délais, quels qu’ils soient (à l’exception de quelques délais en matière de libertés en matière pénale).

 

Sans revenir longuement sur cette ordonnance, il convient cependant de rappeler qu’elle s’applique à l’ensemble des délais qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020, début de l’état d’urgence sanitaire, et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de cet état d’urgence sanitaire.

 

Dans l’article 2 de cette Ordonnance n° 2020-306, il est prévu que les actes prescrits par la loi ou le règlement, et qui devaient être accomplis dans cette période, pourront être réalisés dans un délai de deux mois après cette période.

 

Bien évidemment, ce texte de portée générale s’applique plus spécifiquement en matière de procédure collective, et par exemple :

 

– Aux délais de déclaration de créance (L 622-24 du Code de Commerce) : si ce délai de déclaration devait expirer en cours de période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois, tout créancier pourra valablement déclarer sa créance dans un délai majoré de deux mois à compter de la fin de cette période d’état d’urgence sanitaire +1 mois. C’est-à-dire en pratique dans les trois mois suivant l’expiration de l’état d’urgence sanitaire. Et bien sûr sans avoir à présenter une demande de relevé de forclusion.

 

Attention cependant au point de départ du délai, dans la mesure où il est prévu que des procédures collectives puissent être ouvertes au cours de la période d’état d’urgence sanitaire.

 

Or, toujours selon l’Ordonnance n° 2020-306, le report ne concerne que les délais échus au cours de la période d’état d’urgence sanitaire + 1 mois.

 

De sorte que des délais dont le point de départ sera plus récent pourront, paradoxalement, expirer avant des délais dont le point de départ est plus ancien.

 

Un exemple mérite d’être proposé :

 

 Prenons comme hypothèse que l’état d’urgence sanitaire cessera bien à la date prévue dans la loi initiale, soit au 24 mai 2020 ;

 

 Pour une procédure collective dont la publication au BODACC est parue le 16 mars 2020, le délai de déclaration de créance aurait dû expirer au 16 mai 2020, soit pendant la période. Conformément à l’ordonnance, ce délai est donc repoussé de deux mois à compter de la fin de la période d’urgence sanitaire + 1 mois. Soit ici une déclaration de créance devant être régularisée avant le 24 août 2020 (24 mai + 1 mois + 2 mois).

 

 En revanche, si une procédure collective est ouverte en cours de période d’état d’urgence sanitaire, et fait l’objet d’une publication au BODACC au 25 avril 2020, le délai de déclaration de créance expirera au 25 juin 2020 c’est-à-dire un jour au-delà du délai fixé par l’ordonnance n°2020-306 correspondant au terme de la période d’état d’urgence sanitaire (24 mai) + 1 mois. Dans cette hypothèse, le délai de déclaration de créance n’est donc pas prorogé. Ici, et malgré le fait que la procédure collective a été ouverte en cours de période d’état d’urgence sanitaire, le délai de déclaration de créance ne fait l’objet d’aucune prorogation et est donc d’exactement deux mois, là où il était de plus de cinq mois dans l’exemple précédent.

 

D’autres délais de la procédure collective sont bien évidemment impactés par cette ordonnance, comme par exemple :

 

– Le délai de trois mois pour revendiquer les meubles (L 624-9 du Code de Commerce) ;

 

– Le délai d’un mois, à peine de forclusion, pour saisir le Juge-Commissaire de la revendication des marchandises (R 624-13 du Code de Commerce).

 

II – Sur l’Ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux Juridictions de l’Ordre Judiciaire statuant en matière non pénale

 

Cette ordonnance, qui prévoit l’adaptation des règles de procédure au cours de la période de l’état d’urgence sanitaire, est bien évidemment applicable aux Juridictions consulaires, et plus précisément au Tribunal de la faillite, et au Juge-Commissaire.

 

Non limitativement, sont donc prévues :

 

– La simplification des conditions de renvoi des affaires appelées à une audience annulée en raison de l’état d’urgence (article 4) ;

 

– La tenue des audiences en Juge unique, ou en Juge rapporteur, y compris pour les procédures devant statuer normalement de manière plénière (article 5) ;

 

– La simplification des échanges de pièces et écritures entre parties (article 6) ;

 

– La communication et la tenue des audiences par tous moyens de communication électronique (article 7).

 

Sans surprise, les règles sont applicables, et d’ailleurs attendues, compte tenu du nécessaire besoin de célérité de ce type de procédures qui sont, en temps normal, enfermées dans des délais relativement courts.

 

III – L’Ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises

 

Il s’agit donc là de l’ordonnance rendue spécifiquement pour adapter le droit des procédures collectives.

 

Certains délais du Livre VI du Code de Commerce sont en effet incompatibles avec la suspension pour une durée longue de toutes les audiences, et tous les délais.

 

Un certain nombre d’adaptations était donc nécessaire.

 

III – 1. La « cristallisation » de l’état de cessation des paiements au 12 mars 2020 (article 1 – I – 1°)

 

L’article 1er de l’Ordonnance gèle au 12 mars l’appréciation de la caractérisation d’un éventuel état de cessation des paiements.

 

L’esprit du texte est bien évidemment de ne pas tenir compte de l’éventuelle aggravation de la situation des sociétés au cours de la période d’urgence sanitaire.

 

Il ne s’agit pas de nier l’existence de difficultés, mais à l’inverse de considérer que ces difficultés additionnelles ne doivent pas venir peser sur l’appréciation de la responsabilité du dirigeant lorsque le Tribunal se penchera sur l’existence d’éventuelles fautes de gestion.

 

Ainsi, et jusqu’à l’expiration d’un délai de trois mois après la date de fin de l’état d’urgence sanitaire, l’état de cessation des paiements sera apprécié en considération de la situation du débiteur à la date du 12 mars 2020.

 

Ce dernier peut toutefois demander le bénéfice d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire nonobstant l’absence d’état de cessation des paiements à cette date du 12 mars, si cet état devait se révéler postérieurement et notamment bien évidemment, au cours de la période d’état d’urgence sanitaire.

 

Mais malgré la survenance d’un état de cessation des paiements en cours de période, le débiteur peut demander le bénéfice d’une procédure de sauvegarde, grâce à cette disposition.

 

Il est également à noter que cette disposition pourra permettre de bénéficier de l’ouverture d’une procédure de conciliation, alors même que la condition de l’absence de l’état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours n’est pas respectée au cours de la période d’état d’urgence sanitaire + 3 mois.

 

Enfin, le texte vise expressément une réserve, celle de la fraude, qui renvoie implicitement mais nécessairement aux cas de nullité au cours de la période suspecte.

 

Dit autrement, cette cristallisation au 12 mars ne doit pas permettre au débiteur de mauvaise foi de sortir de son patrimoine un certain nombre d’actifs sous prétexte que, à la date du 12 mars, il n’était pas en état de cessation des paiements et que cet appauvrissement est donc fait hors période suspecte.

 

Il appartiendra ainsi aux Tribunaux de se pencher sur les actes litigieux et de fixer la date de l’état de cessation réelle, même postérieurement au 12 mars.

 

En synthèse, cette cristallisation est une mesure de protection du seul débiteur de bonne foi.

 

III – 2. Les autres mesures s’appliquant pendant l’état d’urgence sanitaire + 3 mois

 

III – 21. L’accélération de la prise en charge par l’AGS (article 1 – I – 2°)

 

Il est désormais possible, pour le Mandataire Judiciaire, de transmettre directement à l’AGS, sans l’intervention du représentant des salariés ni le visa du Juge-Commissaire, le relevé des créances salariales qu’il a établi.

 

Cela permet ainsi une prise en charge plus rapide et corrélativement une indemnisation également plus rapide.

 

Bien évidemment, le visa du Juge-Commissaire et la consultation du représentant des salariés ne sont pas supprimés, mais il ne s’agit plus là d’un prérequis pour la transmission du relevé à l’AGS.

 

On notera également ici, dans un souci de clarté que, jusqu’à l’expiration de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois, l’AGS continue de couvrir les créances salariales, pour les cas visés à l’article L 3253-8, 2° b, c et d du Code du Travail c’est-à-dire :

 

– Les licenciements dans le mois arrêtant le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession (2° b) ;

 

– Les licenciements dans les 15 jours du jugement de liquidation ou 21 jours lorsqu’un plan de sauvegarde de l’emploi est élaboré (2° c) :

 

– Les licenciements intervenant après le maintien provisoire de l’activité autorisée par le jugement de liquidation judiciaire et dans les 15 jours (ou 21 en cas de plan de sauvegarde de l’emploi) suivant la fin de ce maintien d’activité.

 

Enfin, l’article 2 – II – 3° de l’Ordonnance dispose que sont également prolongés jusqu’à l’expiration de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois les durées mentionnées au 5° de ce même article L 3253-8 du Code du Travail.

 

Cet article vise la période de couverture par l’AGS des créances salariales nées en cours de procédure collective.

 

On peut facilement imaginer qu’il s’agissait là d’étendre là encore la couverture de l’AGS et de l’augmenter de la totalité de la durée d’urgence sanitaire + 1 mois.

 

Toute la difficulté est que le 5° de l’article L 3252-8 du Code du Travail dispose que la garantie de l’AGS est d’un montant maximal d’un mois et demi (45 jours).

 

C’est-à-dire que l’augmentation des délais telle que rédigée dans l’Ordonnance n° 2020-341, si elle augmente les délais de couverture, n’augmente pas le montant couvert.

 

Il s’agit assurément là d’une malfaçon législative mais qui a pour effet de rendre purement et simplement inapplicable la disposition.

 

Il est très vraisemblable que le texte fera l’objet d’une correction, tant la malfaçon est flagrante.

 

III – 22. Sur l’adaptation des délais (article 1 – IV)

 

De façon plus générale, le IV de l’article 1er de l’Ordonnance n° 2020-341 dispose que jusqu’à l’expiration de la période d’état d’urgence sanitaire + 3 mois, le Président du Tribunal de Commerce statuant sur requête de l’Administrateur Judiciaire, du Mandataire Judiciaire, du Liquidateur, ou du Commissaire à l’Exécution du Plan, peut prolonger les délais qui sont imposés à ces derniers d’une durée équivalente à la période.

 

Il s’agit ici d’une décision discrétionnaire du Président qui, au cas par cas, peut accorder des délais supplémentaires.

 

C’est une disposition très générale, qui vise des délais extrêmement variés, comme par exemple :

 

– Le délai relatif à la réalisation des actifs en liquidation judiciaire (L 644-2 du Code de Commerce) ;

 

– La réalisation de la liste des créances (L 624-1 du Code de Commerce) ;

 

Il s’agit à l’évidence d’offrir aux Tribunaux de Commerce une certaine souplesse dans la gestion de « l’après crise » et des retards évidents qui seront pris par tous les acteurs de la chaîne judiciaire des entreprises en difficultés.

 

III – 23. Sur les modifications de délais des plans de sauvegarde et de redressement par voie de continuation (article 1 – III)

 

Cet article prévoit la possibilité de modification des durées des plans de redressement par voie de continuation et des plans de sauvegarde.

 

Tout d’abord, les plans sont tous prolongés, de plein droit de la durée de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois (article 2 – II – 1°).

 

Si cette durée ne devait cependant pas suffire, les plans peuvent être prolongés à la demande du Commissaire à l’Exécution du Plan ou du Ministère public.

 

Ces plans peuvent être modifiés de trois manières :

 

– Pendant la période d’urgence sanitaire + 3 mois, le Président du Tribunal, sur requête du Commissaire à l’Exécution du Plan, peut prolonger le plan dans la limite de la durée de cet état d’urgence sanitaire + 3 mois (soit une prolongation, en l’état actuel, jusqu’au 24 août 2020) ;

 

– Pendant la période d’état d’urgence sanitaire + 3 mois, à la demande du Ministère public, le Président peut prolonger les plans d’une durée maximale d’un an ;

 

– Postérieurement à l’expiration de cette période d’état d’urgence sanitaire + 3 mois, les plans pourront être prolongés par le Tribunal (et non plus par son seul Président) sur requête du Ministère public ou sur requête du Commissaire à l’Exécution du plan pour une durée maximale d’un an.

 

Bien évidemment, ces prolongations de plan ne sont pas des modifications substantielles de plan, et ne sont pas exclusives de la mise en œuvre de cette procédure de modifications substantielles.

 

Pour autant, l’ordonnance reste incomplète sur un point : si les délais sont prolongés, l’ordonnance reste muette sur l’exigibilité des échéances du plan, qui sont consubstantielles avec les délais mais auraient dû faire l’objet d’une disposition spécifique.

 

D’ailleurs, la circulaire commentant les dispositions précise que « [ces prolongations] justifieront le cas échéant, un rééchelonnement des échéances prévues par le plan exigibles après la date de la décision ou après le 12 mars ». C’est-à-dire que la circulaire renvoie à une seconde décision le traitement du sort des échéances.

 

Très clairement, dans sa rédaction actuelle, l’ordonnance n’apporte pas grand-chose sur le sort des échéances, l’adaptation des délais ne suffisant à l’évidence pas.

 

Cela nécessitera donc soit une correction du texte, soit plus vraisemblablement un traitement pragmatique par les Juridictions, dans le cadre de procédures dédiées, à l’initiative des Commissaires à l’Exécution du Plan ou des débiteurs eux-mêmes.

 

III – 24. Sur la durée de la période de conciliation (article 1 – II)

 

Enfin, l’article 1 traite de la durée des procédures de conciliation en cours.

 

Il prévoit que la durée d’une conciliation (théoriquement plafonnée à cinq mois) est ici automatiquement prolongée de la durée d’état d’urgence sanitaire + 3 mois.

 

De même, le délai minimum de trois mois entre deux procédures de conciliation successives est supprimé pour cette même durée de l’état d’urgence sanitaire + 3 mois.

 

Il s’agit là de rendre plus attractive et plus flexible la procédure de conciliation qui sera nécessairement impactée par le ralentissement de l’activité économique, et donc la difficulté d’avoir face aux débiteurs et aux conciliateurs des créanciers à même de répondre dans des délais raisonnables.

 

III – 3. Sur la prolongation des délais pour la durée de l’état d’urgence sanitaire + 1 mois

 

Pour rappel, la question de la prolongation automatique de la durée des plans et de la durée de garantie de l’AGS a été évoquée ci-avant.

 

L’ordonnance traite également d’autres prolongations de délais qui seront ci-après évoquées.

 

III – 31. Sur la prolongation automatique de délais de procédure (article 2 – I et II)

 

L’ordonnance supprime ou prolonge automatiquement certains délais pour assouplir le traitement des procédures en cours.

 

Ainsi :

 

– L’obligation de la tenue d’une première audience de période d’observation dans les deux mois de l’ouverture de ladite procédure est supprimée (suppression de L 631-15-I du Code de Commerce) ;

 

– Les durées de la période d’observation, du plan, du maintien d’activité, de la durée de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée et de la durée de la période d’observation en cas de réouverture d’une telle période par la Cour d’Appel après infirmation du jugement d’ouverture, sont automatiquement prolongées de la durée de l’état d’urgence + 1 mois.

 

III – 32. Sur la simplification des modes de communication entre les parties (article 2 – I- 2° et 3°)

 

Enfin, toujours aux fins de donner de la souplesse à la juridiction et aux acteurs de la chaîne judiciaire, un certain nombre de dispositions simplifie la communication entre les parties.

 

Ainsi :

 

– Les actes par lesquels le débiteur saisit la juridiction seront remis au Greffe par tous moyens ;

 

– Le débiteur peut également formuler par écrit ses prétentions, alors même qu’il s’agit d’une procédure orale, et le Président du Tribunal peut recueillir les observations du débiteur par tous moyens, sous-entendant que l’audience peut tout à fait n’être que virtuelle, ce que prévoit d’ailleurs l’Ordonnance n° 2020-304 commentée plus haut ;

 

– Enfin, les communications entre le Greffe, les Mandataires de Justice, et les organes de la procédure peuvent se faire par tous moyens, et y compris par voie électronique.

 

Cette ordonnance répond donc à un nécessaire besoin de flexibilité en matière de droit des entreprises en difficultés.

 

Elle est cependant entachée de certaines omissions préjudiciables à une vision complète des difficultés, et comporte quelques malfaçons législatives également préjudiciables.

 

En tout état de cause, cette ordonnance était à l’évidence nécessaire et apportera flexibilité et souplesse dans des procédures à la chronologie habituellement très figée.

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