Mutation au sein d’un groupe de société : Le sort de la clause de non-concurrence.

Thomas T’JAMPENS
Thomas T’JAMPENS

 

SOURCE : Arrêt de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation du 12 septembre 2018, n° 17-10.853 (FS-P+B)

 

Le contrat de travail d’un Directeur commercial comportait une clause de non-concurrence prévoyant le versement mensuel d’une somme égale à 50% de sa rémunération durant 2 ans.

 

Dans le cadre d’un protocole d’accord en date du 30 juin 2007, le salarié accepte de cesser ses relations contractuelles avec l’entreprise afin de rejoindre une société du même groupe.

 

Au début de l’année 2010, une rupture conventionnelle homologuée par l’autorité administrative est intervenue entre le salarié et la deuxième société.

 

Le salarié a saisi le Conseil des Prud’hommes de Saint-Etienne afin d’obtenir le paiement de la contrepartie financière des deux clauses de non-concurrence inscrites tant dans le premier contrat que dans le second.

 

Les premiers juges ont retenu qu’il y avait eu transfert du contrat de travail du salarié entre les deux sociétés et que la clause de non concurrence avait été levée par le second employeur avant l’homologation de la rupture conventionnelle et ont, en conséquence, débouté le salarié de l’ensemble de ses demandes.

 

Appel ayant été interjeté, la Cour d’appel de Lyon (Chambre sociale C, RG 11/6928) a, dans un arrêt du 11 mai 2012, considéré que le salarié n’avait subi aucune atteinte à sa liberté de travailler dans la mesure où il avait pu s’engager dès la rupture de son premier contrat de travail avec un second employeur exerçant dans le même domaine d’activité et que celui-ci avait régulièrement levé sa clause, confirmant ainsi la décision des premiers juges.

 

Saisie une première fois du présent litige en 2014, la Cour de cassation a donné raison au salarié en censurant la décision des juges du fond, qui l’avaient débouté de sa demande en paiement de la contrepartie financière de la clause dirigée contre la première société employeur.

 

Dans son arrêt du 29 janvier 2014 (n°12-22.116), la Chambre sociale admettait sur le fondement du principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle et des articles L. 1121-1 du Code du travail et 1134 du Code civil (dans sa rédaction antérieure à la réforme du Droit des obligations), la suspension de la clause de non-concurrence dans une telle situation plutôt que sa caducité.

 

Son raisonnement était le suivant :

 

« Si la clause interdisant, avant l’expiration d’un certain délai, au salarié quittant une entreprise d’entrer dans une autre entreprise exerçant une activité similaire ne s’applique pas dès lors que les deux entreprises ne sont pas dans une réelle concurrence mais appartiennent au même groupe économique, et que le passage du salarié de l’une à l’autre est le résultat d’une entente entre lui et ses deux employeurs successifs, elle reprend ses effets normaux à partir du jour où le contrat de travail avec le second employeur est rompu. »

 

Cette solution a suscité la critique car elle aboutissait à une application différée de la clause, considérant que la relation de travail avait perdurée et surtout, empêchant le premier employeur de faire valoir son droit à renonciation dans la mesure où le contrat de travail était déjà rompu. La doctrine avançait par ailleurs que le risque de concurrence s’était affaibli, voire avait totalement disparu et que dans l’hypothèse de la signature d’une clause de non-concurrence entre le salarié et la seconde société, celui-ci bien que confronté à une double restriction à sa liberté de travailler, percevrait une double indemnité. (Dr. soc. 2014. 174, obs. J. Mouly)

 

Par chance, l’affaire est revenue en 2016 devant la Chambre sociale, mais la décision des juges du fond a de nouveau été censurée uniquement en raison du fait que la Cour d’appel de Grenoble avait violé les dispositions de l’article 16 du Code de procédure civile (principe du contradictoire), de sorte que la question de fond n’a pas été abordée. (Cass. soc. 31 mars 2016 n° 15-11.395).

 

L’affaire a de nouveau été renvoyée devant la Cour d’appel de Chambéry, qui dans un arrêt du 17 novembre 2016 a rejeté la demande du salarié. Les motifs invoqués par les magistrats étaient les suivants :

 

– A la date de rupture du second contrat, plus de 2 ans s’étaient écoulés depuis la rupture du contrat initial. Par conséquent, la clause de non-concurrence figurant dans ce contrat dont la durée avait été contractuellement fixée à 2 années avait pris fin.

 

– La clause de non-concurrence insérée au second contrat de travail était strictement identique à celle liant le salarié au premier employeur. En conséquence, il apparaît sans ambiguïté dans l’esprit des parties que le salarié était tenu de la même et unique obligation de non concurrence, protégeant le second employeur et par la même l’emble des sociétés sœurs agissant dans le même secteur d’activité.

 

– Le salarié avait été régulièrement délivré au moment de la rupture de son contrat de travail par voie de rupture conventionnelle de son obligation de non-concurrence, sa liberté de travail étant redevenue pleine et entière, ce qui lui a d’ailleurs permis de contracter avec un client du premier employeur.

 

Le salarié a dès lors formé un pourvoi selon un moyen unique pris en trois branches :

 

1) Il prétend que la clause de non concurrence inscrite au sein de son premier contrat de travail a été suspendue, ainsi, elle a repris ses effets normaux à partir du jour où le contrat de travail avec le second employeur a été rompu.

 

2) Il soutient que la dénonciation de la seconde clause de non-concurrence ne peut avoir pour effet de libérer le salarié de son obligation de non concurrence à l’égard de l’employeur initial.

 

3) Enfin, il considère que la clause de non-concurrence est d’interprétation stricte. Par conséquent, la Cour d’appel n’ayant pas recherché si le salarié avait exercé sa nouvelle activité dans le même domaine d’activité que ses précédents employeurs, elle ne pouvait considérer que le salarié n’avait pas respecté son obligation.

 

La Chambre Sociale de la Cour de cassation, dans son arrêt du 12 septembre 2018 va approuver le raisonnement de la Cour d’appel dans une décision de principe.

 

Elle confirme dans un premier temps sa jurisprudence et notamment que l’application de la clause de non-concurrence peut être écartée en cas de succession de contrats de travail conclus avec des sociétés exerçant des activités similaires mais appartenant au même groupe économique. Toutefois, cette mise à l’écart de la clause est soumise à la réunion de deux conditions cumulatives, à savoir :

 

– Les deux entreprises ne doivent pas être dans une situation de réelle concurrence et ;

 

– Le passage du salarié de l’une à l’autre est le résultat d’une entente entre lui et ses deux employeurs, en l’espèce par la conclusion d’une convention tripartite consacrant le transfert du contrat de travail.

 

Sur ce point la Cour de cassation reprend quasiment à l’identique sa position retenue dans ses arrêts du 29 janvier 2014 (n°12-22.116) et 3 juin 1997 (n°94-44.848) considérant que la clause de non-concurrence ne s’applique pas durant la période au cours de laquelle le salarié a exercé son activité au sein de la deuxième entreprise.

 

L’intérêt de l’arrêt concerne la seconde partie de l’attendu, par lequel la Cour de cassation vient atténuer la portée de ses décisions antérieures. En effet, elle précise que la clause n’est pas suspendue durant la période au cours de laquelle elle n’était pas applicable, le délai ne pouvant être ni allongé, ni reporté.

 

Dès lors, les doutes se sont dissipés et la Cour de cassation a fixé les contours de l’application de la clause de non concurrence en cas de mutation intragroupe.

 

Au regard de cette jurisprudence et dans l’hypothèse où le salarié rompt son contrat de travail avec le second employeur, avant l’expiration du délai d’application de la clause de non-concurrence, le premier employeur comme le salarié seraient tenus de respecter leurs obligations respectives pour la période d’application restant à courir.

 

Thomas T’JAMPENS

VIVALDI Avocats

 

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