CONSTRUCTION EN VIOLATION DU CAHIER DES CHARGES D’UN LOTISSEMENT

Amandine Roglin
Amandine Roglin

La construction édifiée en violation du cahier des charges d’un lotissement ne donne pas automatiquement lieu à démolition en application du principe de proportionnalité de la sanction.

Source : Cass., 3e civ., 22 juill. 2022, n° 21-16.407, n° 568 FS-B

Un co-lotis avait édifié un immeuble en violation des dispositions du cahier des charges d’un lotissement.

En l’occurrence il s’agissait d’une SCI qui avait fait l’acquisition d’une villa et avait, après démolition, fait édifier un immeuble de plusieurs habitations et garages.

Mécontents, les propriétaires voisins ont assigné la SCI en démolition de l’immeuble construit en violation du cahier des charges du lotissement à titre principal et en dommages-intérêts à titre subsidiaire.

Avant 2016, la jurisprudence admettait largement que toute violation du cahier des charges d’un lotissement constituait un manquement contractuel sanctionné même lorsqu’aucun préjudice n’en résultait.

En ce sens notamment : Cass. 3e civ., 24 oct. 1990, n° 89-15.142).

Dans le prolongement de cette jurisprudence, tout co-lotis était dés lors recevable à agir pour demander la démolition des ouvrages réalisés en violation du cahier des charges (Cass. 3e civ., 27 mars 1991, n° 89-19.667).

En cause d’appel, la SCI est condamnée à verser aux demandeurs des dommages-intérêts.

Leur demande visant à la démolition de l’immeuble est rejetée.

Ils forment un pourvoi en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif :

« La cour d’appel a constaté que, si la construction violait l’article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu’elle n’était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n’avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d’un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l’arrière de la villa de M. et Mme [U], n’occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l’expert étant d’avis qu’il n’en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [U] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d’un ensemble de sept logements se substituant à une ancienne villa.

Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts ».

En statuant ainsi, la Cour confirme l’évolution de sa jurisprudence  dans l’esprit de ce qui a conduit aux nouvelles dispositions du Code Civil, issues de l’ordonnance du 10 février 2016.

L’ancien article 1143 du Code civil disposait en effet : « Néanmoins, le créancier a le droit de demander que ce qui aurait été fait par contravention à l’engagement soit détruit ; et il peut se faire autoriser à le détruire aux dépens du débiteur, sans préjudice des dommages et intérêts s’il y a lieu ».

Sur ce fondement, la Cour avait jugé qu’une action en démolition était recevable dès lors que l’infraction aux clauses du cahier des charges était établie et que la démolition était matériellement possible (Cass. 3e civ., 19 mai 1981, n° 79-16.605) et ce sans que le demandeur ait à justifier d’un préjudice (Cass. 3e civ., 21 juin 2000, n° 98-21.129).

Si elle avait déjà évoqué la nécessité d’apprécier la proportionnalité de la mesure de démolition, c’était uniquement au regard de la gravité de l’atteinte causé par la construction contrevenant au cahier des charges, non des conséquences pour le débiteur de l’obligation (Cass. 3e civ., 21 janv. 2016, n° 15-10.566).

Depuis le 1er octobre 2016, le nouvel article 1221 du Code civil dispose : « Le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier ».

La Cour de cassation reprend, dans l’arrêt commenté, mot pour mot les dispositions de l’article 1221 du Code civil, signifiant ainsi de manière plus qu’explicite, l’adaptation de sa jurisprudence aux règles de l’action en démolition afin d’assurer une meilleure adaptation des sanctions, conformément aux dispositions du Code Civil.

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