SOURCE : 1ère civ, 12 novembre 2015, n°14-23340, F-P+B
La question de la capacité ou du pouvoir de contracter ne se pose pas dans les mêmes termes pour les personnes physiques et pour les personnes morales, ces dernières n’ayant la possibilité de s’exprimer que par l’intermédiaire de leur(s) représentant(s). C’est la raison pour laquelle, bien qu’on ne puisse déjeuner avec une personne morale, du moins peut-on la voir payer l’addition[1].
Si ce principe d’intermédiation suppose que le représentant exprime la volonté de la personne morale, ce dernier ne peut exprimer, dans le cadre de ses attributions, que la volonté de la personne morale. Ainsi, tout acte conclu par le représentant en fraude des droits de la personne morale est nul, de nullité relative de protection.
Plus épineuse est la question de l’acte réputé conclu, comme en l’espèce, par le représentant de la personne morale es qualité, alors que celui-ci était décédé : Plus précisément, alors qu’il est assigné en paiement d’un arriéré de loyers et de taxes par son bailleur, un preneur excipe, pour cette raison, de la nullité du bail commercial pour défaut de capacité de la SCI lors de la conclusion dudit contrat.
La Cour d’appel d’Aix en Provence relève que le bail stipulait être signé par le représentant alors décédé de la SCI bailleresse. Elle observe également que la SCI est représentée statutairement par le défunt, sans gérant suppléant, et qu’aucune procédure de remplacement de gérant n’avait était diligentée, de sorte que la SCI ne disposait d’aucune capacité de contracter.
Considérant curieusement que cette incapacité de la SCI relevait de la nullité absolue, pouvant être invoqué par tout intéressé, la Cour prononce la nullité du bail.
La SCI s’est pourvue en cassation contre cet arrêt, sur le fondement de l’article 1125 du Code civil, en rappelant que la nullité pour incapacité d’exercice est une nullité relative, qui ne peut être invoquée par le cocontractant de l’incapable.
Certes, mais c’était oublier que la personne morale dispose d’une personnalité juridique distincte de celle de ses organes de représentation, et qu’il y avait donc une autonomie entre la capacité du représentant légal et la capacité de la SCI[2].
Pour casser l’arrêt querellé, la Cour de cassation ne s’est donc pas fondée sur la capacité de la SCI à contracter, mais sur le pouvoir du mandataire social de la représenter, par application de l’article 1984 du Code civil :
« Le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom.
Le contrat ne se forme que par l’acceptation du mandataire »
Par ce moyen relevé d’office, elle assimile les actes conclus par des représentants légaux décédés aux actes conclus par le mandataire social en l’absence de pouvoir, lesquels sont entachés d’une nullité relative dont seul le représenté peut se prévaloir[3], ce que la Haute Cour rappelle aux juges du fond dans son attendu de principe :
« la nullité d’un contrat fondé sur l’absence de pouvoir du mandataire social, qui est relative, ne peut être demandée que par la partie représentée. »
En conséquence, le cocontractant ne peut invoquer l’incapacité ou l’absence de pouvoir du représentant de son partenaire pour échapper à ses obligations.
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] L’ouvrage de M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 19e édition, 2006 attribue cet aphorisme, sous une forme similaire, à Gaston Jèze : « Je n’ai jamais déjeuné avec une personne morale », ce à quoi le professeur Jean-Claude Soyer répond : « Moi non plus, mais je l’ai souvent vue payer l’addition ».
[2] 1re civ., 14 juin 2000, n°98-13660 : Bull. civ. 2000, I, n° 187 ; Defrénois 2000, p. 1315, obs. J. Massip
[3] 1ère civ, 2 novembre 2005, n°02-14614, publié au bulletin ; 1ère civ, 9 juillet 2009, n°08-15413 ; 3ème civ, 7 décembre 2011, n°10-27092