Source : Cass. com., 8 mars 2017 n°15-15.350, F-D
I – Les faits
En l’espèce le solde d’un compte bancaire ouvert par un époux étant devenu débiteur, la banque dénonce ledit compte et poursuit son titulaire, ainsi que son épouse, en paiement du solde.
Un tribunal d’instance déclare la banque recevable en sa demande à l’égard de l’épouse, en sa qualité de cotitulaire du compte. Il relève que, bien que seul l’époux ait signé la convention de compte, l’intitulé et le fonctionnement du compte ont changé en cours de contrat. Effectivement, les relevés bancaires ont été établis au nom de « Monsieur ou Madame », appellation révélatrice, selon le juge du fond, d’un compte joint.
II – L’arrêt de cassation
« Que nenni ! » répond la Cour de cassation: la convention de compte joint ne se présume pas, et l’épouse qui n’a pas signé une telle convention ne peut pas être tenue du solde débiteur du compte.
Cette solution, bien que sévère pour la banque puisque le couple a bénéficié durant ce temps de ses services et avantages (dont le découvert autorisé par exemple), est juridiquement fondée, puisque pour rappel, la solidarité ne se présume pas selon le nouvel article 1310 du Code civil.
En effet, le compte joint se caractérise essentiellement par la solidarité entre les différents cotitulaires envers la banque. Cette solidarité est active, c’est-à-dire que chaque titulaire peut disposer à sa guise du solde créditeur du compte et, s’il existe une clause spéciale de la convention de compte le prévoyant, elle peut être aussi passive, c’est-à-dire que chaque titulaire est solidairement responsable du solde débiteur éventuel du compte. Pour résumer, la preuve d’une convention de compte joint entre époux ne peut résulter que d’un écrit signé par chacun d’eux… et rien d’autres.
III – Régimes matrimoniaux et opérations bancaires : une histoire de rigueur
En pratique, l’interférence du régime matrimonial du client sur ses opérations bancaires, telles que l’ouverture d’un compte bancaire, l’octroi d’un prêt, d’un découvert ou même d’un cautionnement, ne doit pas être sous-estimée.
La Cour de cassation rappelle régulièrement les règles à maîtriser :
– Qu’il s’agisse d’ouverture de crédit ou de découvert d’un compte, l’époux survivant marié sous le régime de la communauté universelle, dès lors qu’il n’a pas expressément consenti au fonctionnement du compte ouvert au nom de l’époux prédécédé, ne peut se voir poursuivi par la banque, sauf à ce qu’il soit constaté que le solde débiteur ait uniquement porté sur des sommes modestes et nécessaires aux besoins de la vie courante[1] ;
– À l’inverse, le consentement de l’épouse au cautionnement donné par son époux en garantie des dettes d’une société, en application de l’article 1415 du Code civil, n’a pas pour effet de lui conférer la qualité de partie à l’acte, aucune disposition législative ou réglementaire n’imposant ainsi au créancier bénéficiaire du cautionnement de fournir des informations ou une mise en garde au conjoint de son cocontractant, préalablement à son consentement exprès[2].
– Lorsque la caution est mariée sous le régime de séparation de biens, la proportionnalité de son cautionnement doit s’apprécier au regard de ses seuls patrimoine et revenus[3].
– Des difficultés peuvent naître aussi lors du divorce du client : par exemple, lorsque des époux emprunteurs se séparent par consentement mutuel, et que la charge du prêt est attribuée à l’un des époux par la convention de liquidation et partage de la communauté, celle-ci est-elle opposable de droit à la banque ? Autrement dit, ne peut-elle plus poursuivre en paiement que l’époux attributaire du prêt ? Doit-elle subir la diminution de son assiette de garanties personnelles et/ou réelles initialement consenties ? La réponse est binaire : si la banque n’a pas expressément libéré l’ex-conjoint de l’attributaire, celui-ci demeure solidairement redevable de la dette. Cette réponse découle du principe que la convention de liquidation et partage de communauté n’a qu’un effet relatif entre les époux, dans leurs rapports contributifs.
La question du régime matrimonial du débiteur n’est donc jamais anodine.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. civ. 1ère, 5 octobre 2016, n°15-24.616, FS-P+B
[2] Cass. com., 9 février 2016, n°14-20.304, F-P+B
[3] Cass. civ. 1ère, 25 novembre 2015, n°14-24800, F-D