Source : Cass. civ. 1ère, 10 octobre 2018, n°17-20.441, F-P+B
I – L’espèce
Une banque consent un prêt à une personne physique en vue de la construction d’une maison à usage d’habitation. Une caution personne morale garantit l’opération. Les fonds doivent être débloqués selon l’état d’avancement des travaux, sur présentation de factures validées par l’emprunteur. Classiquement l’article 9 des conditions générales du contrat prévoit l’exigibilité anticipée du prêt en cas de déclaration inexacte de l’emprunteur :
« Toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires par l’emprunteur seront exigibles, si bon semble au prêteur, quinze jours après notification faite à l’emprunteur par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce sans qu’il soit besoin d’une mise en demeure ni d’aucune formalité judiciaire, dans l’un des cas suivants : / a) en cas de déclaration inexacte de la part de l’emprunteur ou de la caution (…) »
Se prévalant de l’insincérité d’une facture, la banque notifie à l’emprunteur la déchéance du terme. La caution, subrogée dans les droits de la banque, assigne l’emprunteur en paiement. Une cour d’appel juge que la mise en œuvre de la clause est justifiée. Un pourvoi en cassation est formé par l’emprunteur.
II – La cassation
Le demandeur au pourvoi soutient que le juge national est tenu d’examiner d’office le caractère abusif des clauses contractuelles invoquées par une partie, dès qu’il dispose des éléments de droit et de fait nécessaires à cet effet.
Il estime qu’est abusive la clause du contrat de prêt qui permet au banquier prêteur de résilier à son gré, sans contrôle du juge et avec effet au bout de quinze jours, donc de façon exorbitante, le prêt qu’il a consenti, lorsque l’emprunteur lui fait une déclaration inexacte, quand l’économie de cette clause dont l’application est abandonnée à l’entière discrétion du banquier prêteur, ne laisse à l’emprunteur aucune possibilité de faire valoir les raisons qui l’ont conduit à faire la déclaration qui lui est imputée à faute ou encore les circonstances particulières qui sont propres à atténuer, voire à effacer, la gravité de cette déclaration.
La Cour régulatrice censure les juges du fond : il incombe bien à ces derniers de rechercher d’office le caractère abusif de la clause qui autorise la banque à exiger la totalité des sommes dues en cas de déclaration inexacte de l’emprunteur, en ce qu’elle est de nature à laisser croire que la banque dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier l’importance de l’inexactitude de cette déclaration et que l’emprunteur ne peut pas recourir au juge pour contester le bien-fondé de la déchéance du terme.
III –
Premièrement, on pourrait s’étonner de ce que la caution ait payé dans la mesure où la déchéance du terme lui est par principe inopposable, règle qui figure désormais au sein de l’article 1305-5 du Code civil : « La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses coobligés, même solidaires, et à ses cautions ». Mais il ne s’agit pas d’une règle d’ordre public[1], et peut donc être écartée par les parties, ce qui était certainement le cas en l’espèce.
Ensuite, selon l’article L.212-1 du Code de la consommation, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. L’article R. 632-1 du même code précise que le juge doit écarter d’office l’application d’une clause dont le caractère abusif ressort des éléments du débats
Le caractère abusif d’une clause peut s’apprécier à la lumière des articles R 212-1 et R 212-2 du Code de la consommation, qui édictent une liste de clauses présumées abusives, irréfragablement ou pas. Le juge peut en outre apprécier l’existence du déséquilibre conformément aux règles de droit commun ou, le cas échéant, se référer aux recommandations émises par la Commission des clauses abusives, qui ne le lient toutefois pas.
Au cas présent, le caractère abusif de la clause sera sans doute rattaché par la cour d’appel de renvoi, au moins partiellement, à la liste des clauses irréfragablement présumées abusives (dites « clauses noires ») de l’article R. 212-1, 4°, qui prohibe les clauses accordant au seul professionnel le droit de déterminer si le service fourni est conforme ou non aux stipulations du contrat ou lui confère le droit exclusif d’interpréter une quelconque clause du contrat.
Dans sa recommandation n°04-03 du 30 septembre 2004, la Commission des clauses abusives recommande que soient éliminées des contrats de prêt immobilier les clauses ayant pour objet ou pour effet « de laisser croire que le prêteur peut prononcer la déchéance du terme en cas d’inobservation d’une quelconque obligation ou en cas de déclaration fausse ou inexacte relative à une demande de renseignements non essentiels à la conclusion du contrat, et sans que le consommateur puisse recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance ».
La solution commentée, quant à l’office du juge, se place aussi dans la droite ligne de la jurisprudence antérieure, tant nationale[2] qu’européenne[3].
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. civ. 1ère, 19 décembre 2006, n°04-14.487
[2] Cass. civ. 1ère, 12 septembre 2018, n°17-17.650
[3] CJCE, 4 juin 2009, aff. C-243/08, Pannon