Le préavis s’impose au visa de l’article L. 442-1, II du Code de commerce, même dans les relations d’affaires entre une société et ses associés. A défaut, la rupture est qualifiée de brutale et abusive.
Cass. Com. 4 septembre 2024, 23-10.446, Inédit
I –
Dans son arrêt commenté, la Cour de cassation pose un principe jusqu’à alors non jugé selon lesquels relèvent du dispositif de la rupture brutale des relations commerciales établies, quand bien même ce rapport aurait été noué entre une société prestataire et un associé client.
Il est courant qu’au sein d’une société commerciale, différents rapports se nouent ; des rapports sociétaires (associés/sociétés) et des rapports d’affaires (bénéficiaire/prestataire). Comme dans toute relation d’affaires entre personnes exerçant des activités de production, de distribution ou de services, il est interdit de rompre brutalement une relation commerciale établie.
Dans cette affaire, la société prestataire du MIN offre à ces associés un outil informatique de caisse centrale et d’aide à la comptabilité client. L’un deux, en relation avec la société depuis 1975, décide de rompre la relation contractuelle en respectant un préavis de huit mois. La société prestataire estime que ce préavis était trop court et décide ainsi d’assigner son cocontractant sur le fondement de l’article L. 442-1, II du Code de commerce, ainsi rappelé ci-après :
« II. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l’absence d’un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. »
Condamné à 200.000 euros de dommages-intérêts par la Cour d’appel de Paris en octobre 2022, l’auteur de la rupture soutient devant la Cour de cassation que ce fondement ne s’applique pas entre une société et son associé ; estimant que la relation nouée n’était pas une relation d’affaires mais une simple relation sociétaire.
Il faut bien admettre que cet argument de pur droit, était sans nul doute préférable à la défense d’un préavis raisonnable. En effet, la Cour d’appel de Paris, seule cour d’appel à juger en second degré les litiges se rapportant au Livre IV du Code de commerce, estime que dans une relation ordinaire, dépourvue de dépendance économique ou de marché de retournement étroit, le préavis est d’un mois par année d’ancienneté sans pouvoir excéder le plafond imposé par la loi de 18 mois. En d’autres termes, le préavis raisonnable, au regard de l’ancienneté de la relation, aurait dû être de dix-huit mois et non de huit mois.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis et considère que le dispositif de la rupture brutale s’applique bien aux prestations de services assurées par la société au bénéfice de ses associés. Selon la Cour de cassation, le litige portait sur la rupture de la relation d’affaires issue des contrats et non sur un éventuel retrait de l’associé client de la société prestataire.
II –
Pour parvenir à cette décision, la Cour de cassation s’est appuyée sur trois principes.
II – 1 Les principes posés par la Cour de cassation
Premièrement, elle affirme que les rapports sociétaux ne relèvent pas du dispositif de la rupture brutale. L’affirmation a par exemple été posée en matière de coopérative, à propos de conditions d’adhésion, de retrait et d’exclusion des membres (Com. 8 févr. 2017, n° 15-23.050) ou encore en matière de GIE concernant le retrait d’un membre.
Deuxièmement, elle estime que les rapports d’affaires relèvent quant à eux du dispositif de la rupture brutale, sous la réserve que les conditions d’application soient réunies. La Cour de cassation s’appuie notamment sur un arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris en date du 6 novembre 2019 qui confirme cette orientation (Paris, 6 nov. 2019, n° 17/3200). En effet, il donne une illustration concrète de ce qu’est un rapport d’affaires ; une prestation de services en relève par principe (ce d’autant que le client n’avait, en l’espèce, pas perdu sa qualité d’associé de la société prestataire).
Troisièmement, la société prestataire avait notamment pour objet la réalisation de prestations au bénéfice de ses associés. En refusant de faire relever ces prestations des rapports sociétaires, le message est sans doute que ce type de rapport doit être entendu strictement : adhésion, retrait, exclusion.
II – 2 Pour aller plus loin
Pour parvenir à la motivation de la décision commentée, la Cour de cassation distingue très clairement le statut d’associé de celui de consommateur de services, peu importe le cumul entre ces deux qualités. Un autre raisonnement, vraisemblablement celui posé par le demandeur en pourvoi, consisterait à soutenir que pour pouvoir être consommateur de prestations, il faut pouvoir être associé, de sorte que le litige devrait être examiné à l’aune des relations entre associés et non pas celles spéciales posées par le Livre IV précité.
Si l’objectif poursuivi est bien compris : échapper aux juridictions spécialisées et à la jurisprudence qu’elle instaura au sujet du calcul du préavis raisonnable, le moyen pour y parvenir semble audacieux. Il est en effet constant en droit prétorien que le statut de l’associé, est sauf stipulation contraire (exemple : contrat de travail, obligations spécifiques contenues dans les statuts, ou pacte extra-statutaire), indifférent à l’activité de la société. Ainsi par exemple, l’associé peut toujours, sauf stipulation contractuelle contraire, concurrencer la société sans encourir la critique.[1]
Dans ce même principe, l’associé peut avoir une relation de prestations de services avec la société qui doit s’analyser distinctement de son statut d’associé.
Thomas CHINAGLIA
Vivaldi Avocats
[1] Com., 15 novembre 2011, n° 10-15.049