Par une décision en date du 25 janvier 2023 amenée à faire les honneurs d’une publication au Bulletin, la troisième chambre civile juge que le locataire dont la décision d’expulsion a été annulée peut, en plus de l’indemnisation de la perte de son fonds de commerce, être indemnisé des gains qu’il aurait obtenus s’il était resté en possession de son fonds.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 25 janvier 2023, n°21-19089, FS – B
A la base de ce contentieux, deux baux commerciaux initialement conclus aux fins d’exploitation d’une activité d’hôtellerie, bar restaurant et organisation de réception, ont fait l’objet d’une ordonnance de référé (confirmée en appel) constatant sur le fondement de la clause de résiliation anticipée la résiliation des baux litigieux et l’expulsion corrélative du locataire.
Postérieurement à l’éviction du locataire, les locaux objets du bail ont fait l’objet d’une vente.
Le locataire qui s’était pourvu en cassation contre l’arrêt confirmant l’ordonnance de référé, obtient l’infirmation de l’ordonnance querellée.
Au cours de la procédure de référé, le locataire avait pris soin d’assigner le bailleur en annulation des commandements de payer visant la clause résolutoire et du procès-verbal d’expulsion, outre une demande en réintégration et en indemnisation des préjudice subis en conséquence de son expulsion.
Débouté en cause d’appel, le locataire par la voie de son mandataire liquidateur a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt rejetant sa demande de condamnation du bailleur et de l’acquéreur des locaux, en réparation de la perte de son chiffre d’affaires depuis la date de l’expulsion.
Dans son arrêt amené à être publié en date du 25 janvier 2023, la Cour de cassation juge au visa des articles L145-14 (paiement d’une indemnité d’éviction en cas de refus de renouvellement) et L145-28 (droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction) du Code de commerce, que le locataire évincé qui peut prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial, a droit jusqu’au paiement de cette indemnité, au maintien dans les lieux, aux conditions et clauses du bail expiré.
Curieusement, l’arrêt de la Cour d’appel avait retenu que le locataire indemnisé de la perte de son fonds de commerce, intervenue à la date de son expulsion, ne pouvait au surplus être indemnisé des gains qu’il aurait obtenus s’il était resté en possession de son fonds.
La Cour de cassation censure l’arrêt déféré aux motifs que la privation de la possibilité de poursuivre dans les locaux, une activité commerciale jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction en méconnaissance de son droit au maintien dans les lieux, lui cause un préjudice qu’il appartient au juge d’évaluer.
Partant, le locataire dont la décision d’expulsion a été annulée peut, en plus de l’indemnisation de la perte de son fonds de commerce, être indemnisé des gains qu’il aurait obtenus s’il était resté en possession de son fonds.
En réalité, la décision n’est pas novatrice, et c’est la raison pour laquelle on a du mal à saisir sa portée doctrinale puisqu’elle est amenée à faire l’objet d’une large publication. En effet, la Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de préciser dans un arrêt inédit en date du 18 février 2014, que le preneur privé de la possibilité de continuer son activité jusqu’à la date de paiement complet de l’indemnité d’éviction du fait du manquement du bailleur à ses obligations, était fondé à solliciter la réparation du préjudice qui en résultait, à savoir la réparation des pertes d’exploitation[1].
Plus récemment, la Cour de cassation après avoir pris soin de rappeler le principe dégagé par l’arrêt du 18 février 2014, a précisé que l’indemnité d’éviction correspondant à la valeur du fonds de commerce, était distincte de l’indemnité versée en réparation de l’impossible réintégration du locataire dans les locaux, précisément du fait de son départ avant le paiement complet de ladite indemnité[2].
[1] En ce sens, Cass. civ 3ème, 18 février 2014, n°12-28677, Inédit
[2] En ce sens, Cass. civ 3ème, 17 juin 2021, n°19-21132, Inédit