L’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur revêt deux composantes : la mise à disposition du local (i)et une mise en état conforme de la chose louée(ii). Cette obligation de délivrance est de l’essence même du bail, de sorte que tout manquement du bailleur dans l’exécution de cette obligation est susceptible d’engager sa responsabilité.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 1er juin 2022, n°21-11602, FS – PB
La Cour de cassation a érigé l’obligation de délivrance du bailleur en obligation essentielle et continue, caractéristique du louage de chose : le bailleur est tenu, tout au long du bail, de faire le nécessaire pour permettre au preneur la jouissance des locaux conformément à leur destination contractuelle (article 1719, 1° et 1720 alinéa 1er).
Cette obligation de délivrance s’analyse en une obligation de résultat, dont le bailleur ne peut en aucun cas se décharger, ce qui ne serait pas compatible avec la nature personnelle du bail. Ainsi, la Cour de cassation a développé sur ce fondement une jurisprudence bien connue, par laquelle elle fait prévaloir l’obligation de délivrance sur toute stipulation qui aurait pour objet ou pour effet d’exonérer le bailleur des conséquences de l’impossibilité totale ou partielle d’exploiter les locaux loués. Le sens de cette jurisprudence est clair : lorsque la jouissance des locaux est impossible pour quelque raison que ce soit, c’est au bailleur d’en répondre et si possible d’y remédier.
Surtout, il est tout aussi constant que la délivrance des locaux s’apprécie par référence à l’usage convenu, c’est-à-dire à la destination contractuelle. Ainsi, c’est par principe au bailleur de s’assurer de l’obtention des autorisations nécessaires pour permettre l’usage commercial convenu, ce qui a été maintes fois jugé tant pour les autorisations administratives et d’urbanisme[1] que pour les autorisations éventuellement nécessaires au regard de la copropriété (Cass. 3ème civ., 7 mars 2006, n° 04-19639 – CA Paris, 16ème Ch. A, 14 janv. 2009 : AJDI 2009 p.363).
Le présent litige soumis à la censure de la troisième chambre civile offre une nouvelle occasion à la Cour de cassation de se prononcer sur l’étendue de l’obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur commercial.
Dans les faits pertinents, un bail est consenti sur des locaux commerciaux. A la requête du preneur, une expertise judiciaire est diligentée avec pour mission d’établir la situation administrative de tout la construction au regard des permis et certificat de conformité. A la lecture du rapport d’expertise, le locataire assigne son bailleur en résolution du bail pour manquement à son obligation de délivrance.
En cause d’appel, la Cour déboute le locataire aux motifs que celui-ci exploitait le local conformément à sa destination contractuelle et que l’absence de régularisation de la situation administrative du local n’était pas préjudiciable pour son activité.
La Haute juridiction censure l’arrêt au visa de l’article 1719 du Code civil. La Haute juridiction relève que le défaut de permis de construire, non régularisable était source de troubles d’exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, en de fortes restrictions quant au capacités de développement du commerce, ainsi qu’une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d’exploitation en cas d’injonction administrative à démolir.
[1] En ce sens, Cass. civ 3ème, 3 mai 2011, n°10-15662 ou encore Cass. civ 3ème, 2 juillet 1997, n°95-14151, FS – PB ou Cass. com, 14 février 2012, n°11-10559 ou Cass. civ 3ème , 4juin 2009, n°08-12126