Bail commercial et obligation de commercialité en centre commercial

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

SOURCE : Cass. civ 3ème, 15 décembre 2021, n°20-14423, FS – PB

 

I –

 

Dans un arrêt du 15 décembre 2021 ayant fait les honneurs d’une publication au Bulletin, la Haute juridiction réaffirme que : « le bailleur d’un local situé dans un centre commercial dont il est propriétaire n’est, à défaut de stipulations particulières du bail, pas tenu d’en assurer la bonne commercialité du centre ».

 

A titre liminaire, il convient de préciser (ou de rappeler) aux lecteurs habituels de CHRONOS qu’il n’existe aucune définition, juridique ou économique, de la notion de commercialité. On pourrait définir la commercialité comme un ensemble d’éléments consistant à faire bénéficier les locataires exploitants leur fonds de commerce dans le centre commercial d’un environnement attractif, harmonieux, permettant l’afflux de chalands.

 

Il est indubitable que privé de commercialité, un centre commercial ne constituerait plus un pôle attractif, mais une zone sans harmonie, sans plans d’actions définies et complémentaires, dissuadant toute implantation et / ou tout investissement.

 

Il est donc de l’intérêt de chaque commerçant de bénéficier d’un environnement de qualité. Il ne faut également pas perdre que vue que la concurrence liée à la multiplication des centres commerciaux a contribué à créer des disparité entre les centres concernés.

 

Certains locataires ont cherché à établir une connexion entre d’une part une obligation de commercialité qui pèserait sur le bailleur propriétaire du centre commercial, et d’autre part l’obligation de délivrance de l’article 1719 du code civil.

 

Il est en effet permis de penser si l’obligation de délivrance à la charge du bailleur ne couvrait pas aussi une obligation de maintien de la commercialité, c’est-à-dire une obligation de maintenir un environnement commercial favorable au preneur.

 

En réalité, la Cour de cassation ne s’est jamais positionnée sur le terrain de l’obligation de délivrance, se bornant seulement à sa formule stricte selon laquelle la commercialité n’a pas à être assurée par le bailleur lorsque le bail ne contient aucune clause visant expressément un tel engagement.

 

L’arrêt commenté suit scrupuleusement cette ligne de conduite en excluant la commercialité en l’absence de clause expresse dans le bail commercial, tout en apportant quelques éléments de réponse sur l’obligation du bailleur de maintenir un environnement commercial favorable au preneur, au regard de son obligation de délivrance.

 

II –

 

Si certaines Cours d’appel avaient pu juger que le bailleur propriétaire d’un centre commercial avait des obligations plus étendues que celles d’un bailleur ordinaire, et qu’il devait tout mettre en œuvre pour garantir au locataire un environnement commercial favorable[1], susceptible d’engager sa responsabilité s’il ne pouvait justifier « avoir mis en œuvre les moyens appropriés pour faire revivre la galerie », la Haute juridiction a toujours vu les bailleurs de centres commerciaux comme des bailleurs ordinaires, refusant de les déclarer responsables de la commercialité du centre « sauf stipulations particulières »[2], estimant qu’ils n’étaient tenus d’aucune autre obligation que celle de délivrance, d’entretien et de jouissance paisible de la chose louée[3].

 

Dans un autre arrêt rendu le 12 juillet 2006, la Cour de Cassation confirmait cette position de principe en cassant un Arrêt de la Cour d’Appel de PARIS du 07 octobre 1997, qui avait condamné le bailleur à réparer le préjudice subi par le locataire en raison d’une désertification de la galerie marchande. Les Juges du fond avaient estimé que « si pendant une certaine période, la bailleresse avait tenté de remédier à la désertification de la clientèle pour une galerie, due à différents facteurs, il n’en restait pas moins qu’à compter du deuxième trimestre 1995, elle avait fait le choix délibéré, pour des raisons financières et de gestion qui lui étaient personnelles, de rechercher un locataire unique au lieu des quatorze locataires d’origine et qu’elle avait ainsi manqué à ses obligations de bailleresse ».

 

Selon les Conseillers à la Cour d’Appel de PARIS, « l’obligation du bailleur de garantir à ses locataires la jouissance paisible des lieux, comporte celle implicite, mais indiscutable de maintenir l’activité de la galerie marchande, le bail litigieux s’insérant dans une chaîne concomitante de baux qui si elle fait défaut, ce à quoi le bailleur est seul à même de remédier, change la forme immatérielle de la chose[4] ».

 

Cette décision a été cassée toujours au visa de l’article 1719 du Code Civil au motif que « le bailleur est seulement tenu, en l’absence de stipulation particulière, d’assurer la délivrance, l’entretien et la jouissance paisible de la chose louée »[5].

 

Ainsi, malgré la résistance des Juges du fond, la Cour de Cassation est fermement opposée à la reconnaissance d’une quelconque obligation spécifique au bailleur de Centre Commercial… en l’absence de stipulation particulière, comme en dehors de celles déjà décrites, par exemple : « le bailleur s’engage à tout mettre en œuvre, pour assurer un environnement favorable ». Le bailleur n’est tenu que d’une obligation de moyen et non de résultat.

 

Enfin, plus récemment, en 2013[6], la Cour juge qu’une Cour d’Appel ayant « exactement retenu qu’il n’existait pas d’obligation légale pour le bailleur d’un local situé dans un Centre Commercial ou d’une galerie commerciale, d’assurer le maintien de l’environnement commercial, et relevait qu’aux termes du contrat de sous location, en l’absence de stipulation particulière, le bailleur s’était uniquement engagé à mettre à disposition les locaux visés à bail, ce qu’il avait toujours fait, que les lieux n’avaient subi aucun changement de forme (…), la Cour d’Appel qui a procédé à la recherche prétendument omise sur l’obligation de jouissance paisible, en a justement déduit que la Société ALDI n’avait pas commis de faute en quittant les lieux ».

 

En l’espèce, un sous-locataire reprochait à son bailleur d’avoir, en 2008, fermé le magasin qu’il exploitait dans des locaux contigus à ceux qui étaient sous loués (il s’agissait d’un supermarché qui, par définition est le point d’attractivité de la galerie marchande qui est ensuite commercialisée).

 

A défaut de position claire sur le terrain de l’obligation de délivrance, la Cour de cassation a commencé par se placer sur le terrain de l’obligation d’entretien en estimant que le bailleur qui a laissé se dégrader les parties communes d’un centre commercial à l’abandon, privant les preneurs des avantages qu’ils tenaient d’un bail, n’a pas remploi son obligation d’entretien des lieux loués[7].

 

Par cette formule, la Cour de cassation invite à une interprétation plus subjective de l’économie du contrat du bail commercial, de sorte que devraient être appréciées, comme une obligation supplémentaire, à la charge du bailleur, des formules telles que :

 

« gérer, correctement le Centre, de l’entretenir et de lui assurer une certaine prospérité »[8];

 

« le bailleur fera ses meilleurs efforts pour maintenir et entretenir l’attractivité commercial du Centre », etc..

 

III –

 

Dans l’arrêt commenté, les juges du fonds avaient estimé qu’il ressortait des conditions du bail que les parties avaient entendu tout mettre en œuvre pour que le centre ait un positionnement différents des autres centres, non seulement en termes de qualité environnementale, mais aussi quant à l’architecture et à la décoration particulièrement soignée. Ils en avaient déduits l’existence à la charge du bailleur d’une obligation de délivrer au locataire un local dans un centre commercial de haut de gamme présentant une décoration soignée.

 

Pour écarter la responsabilité du bailleur sur ce fondement, la troisième chambre a estimé que les clauses du bail n’engendraient d’obligations qu’à la charge du preneur, mais aucune obligation particulière à la charge du bailleur, de sorte qu’il n’ avait aucun manquement à l’obligation de délivrance de la part du bailleur.

 

Cette solution, bien que fondé juridiquement, est critiquable dans la mesure où en l’espèce c’est le locataire qui s’est engagé à maintenir une activité de standing, alors qu’en pratique ces prérogatives, de même que l’existence d’un environnement attractif dépendent principalement du bailleur.

 

La prudence doit donc être de mise dans le cadre de la rédaction de telles stipulations pour un bail en centre commercial.

 

[1] CA de REIMS, 1er avril 1993, Société IMMOFONDS / Société MARGE

 

[2] Cass. civ 3ème, 28 novembre 2007, n°06-17758, FS – P + B

 

[3] Cass. civ 3ème, 16 novembre 1993, n°91-21553, Inédit

 

[4] CA PARIS, 07 octobre 1997, revue des loyers 1999, page 372

 

[5] Cass. civ 3ème , 28 juin 2005

 

[6] Cass. 3ème Civ. 03 juillet 2013 n° 12-18.099, FS – PB

 

[7] Cass. 3ème Civ. 31 octobre 2006 n° 05-18.377, FS – PB

 

[8] En ce sens, AUQUE, « le bailleur du Centre commercial, un bailleur comme les autres ? », AJDI 2007, page 536 et suivantes

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