Le sempiternel débat sur la qualification des travaux effectués par le preneur en cours de bail et ayant fait accession au bailleur, vient de trouver une nouvelle illustration jurisprudentielle avec l’arrêt de la troisième chambre civile du 7 septembre 2022. Si débat il y a, c’est que la qualification de ces travaux est susceptible d’impacter le loyer de renouvellement : dans quelle mesure et à quelles conditions ? Tour d’horizon.
SOURCE : Cass. civ 3ème, 7 septembre 2022, n°21-16613, Inédit
I – La primauté du régime des améliorations sur celui des modifications
I – 1.
Bien que le Code de commerce pose comme principe à son article L145-33 que : « le loyer des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative », son article subséquent précise quant à lui qu’à moins d’une modification notable d’un des éléments de la valeur locative (en réalité, les éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L145-33), et si la durée du bail à renouveler n’excède pas neuf ans, le loyer du bail renouvelé doit correspondre au loyer indexé au jour du renouvellement. C’est le principe du plafonnement du loyer qui fait, osons-le dire, du principe de l’article L145-33 l’exception, et de l’exception de l’article L145-34 le principe.
Bien entendu, le plafonnement du loyer du bail renouvelé a été institué par la Loi Pinel du 18 juin 2014 dans un souci de protection des preneurs commerciaux, même si ces derniers ont toujours la possibilité de solliciter auprès du juge des loyers la fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative, si toutefois celle-ci est inférieure au loyer plafond et sans en rapporter la preuve ; il s’agit bien d’un plafond et non d’un plancher.
Côté bailleur, en revanche, la seule possibilité d’obtenir le déplafonnement, hors hypothèse des cas déplafonnement automatique (bail de plus de neuf ans, bail de neuf ans qui s’est prolongé par tacite prolongation au-delà de douze ans, locaux monovalents, etc…), réside dans la preuve d’une modification notable d’un des éléments de la valeur locative, c’est-à-dire :
1°) Les caractéristiques du local considéré ;
2°) La destination des lieux ;
3°) Les obligations respectives des parties ;
4°) Les facteurs locaux de commercialité ;
Des travaux effectués par le preneur en cours de bail sont régulièrement invoqués par les bailleurs commerciaux comme motifs de déplafonnement soumis à l’appréciation du juge des loyers, en ce sens qu’ils peuvent constituer une modification notable des caractéristiques des lieux loués.
L’on distingue traditionnellement trois types de travaux du locataire commercial :
- Les travaux de mise en conformité des locaux pour les besoins de l’activité du preneur, qui ne donnent lieu à aucun déplafonnement ;
- Les travaux qui relèvent du régime des modifications notables des caractéristiques des lieux loués[1] qui doivent impérativement être invoqués comme motif de déplafonnement au premier renouvellement qui suit leur exécution, et seulement à cette occasion ;
- Les travaux qui relèvent des améliorations notables des caractéristiques des lieux loués[2] et pour lesquels le déplafonnement ne peut être sollicité devant le juge, qu’au second renouvellement, mais à trois conditions cumulatives :
- Les travaux apportent une réelle amélioration à l’exploitation commerciale ;
- Le bailleur n’a pas participé, même indirectement au financement des travaux (à travers un loyer réduit ou une franchise par exemple). A défaut, le déplafonnement doit être demandé lors du premier renouvellement ;
- Le bail comporte une clause d’accession des travaux au bailleur en fin de bail.
Suivant la qualification retenue par le juge des loyers, le déplafonnement s’applique donc soit au premier renouvellement consécutif aux travaux (article r145-3) soit au second renouvellement (r145-8).
Le caractère notable peut résider notamment dans un changement dans la répartition des surfaces, ou encore un accroissement de surface, dont le principal effet est l’augmentation de la surface exploitable et donc l’augmentation du chiffre d’affaires du preneur.
En matière de contentieux sur la fixation judiciaire du loyer du bail renouvelé, il n’est pas rare en pratique de se retrouver avec l’une des parties arguant que les travaux relèvent des améliorations significatives donnant lieu à déplafonnement au second renouvellement qui les suivait (preneur), et l’autre partie plaidant en faveur des modifications notables, donnant lieu à déplafonnement au premier renouvellement qui suit (bailleur).
Quel régime retenir en cas de contradiction ? Ou encore lorsque la double qualification est possible ?
I – 2.
La troisième chambre civile juge aux termes d’une jurisprudence constante qu’en cas contradiction ou de double qualification, c’est bien le régime des améliorations qui doit primer sur celui des modifications. Et l’arrêt commenté du 7 septembre dernier en est une bonne illustration.
Dans les faits de l’espèce, un preneur commercial a procédé en cours de bail, à d’importants travaux. Le bail stipulait littéralement que :
« Les travaux qui seraient effectués par le preneur soit à titre de constructions nouvelles, d’améliorations, de changements dans la distribution, (…) pendant le cours du bail, resteront la propriété du preneur jusqu’à son départ effectif et matériel des lieux entrainant la fin de jouissance ».
Le bail ayant été renouvelé une première fois en 2005, le bailleur a sollicité lors du second renouvellement la fixation du loyer à la valeur locative, aux motifs que les travaux constituaient selon ce dernier des travaux d’amélioration « ayant pour effet de remettre en état les équipements existants, de changer les conditions d’exploitation sans modifier les lieux loués et d’augmenter la surface ». Le preneur soutenait que les travaux relevaient des modifications significatives, donnant lieu à déplafonnement lors du premier renouvellement.
La Haute juridiction approuve la Cour d’appel qui a jugé que le régime des améliorations devant prévaloir sur celui des modifications, la demande de déplafonnement du loyer lors du second renouvellement devait être accueillie.
II – Une motivation de la troisième chambre critiquable
Parmi le champ des clauses à ne pas négliger lors de la rédaction d’un bail, susceptibles d’influer sur la fixation du loyer de renouvellement, la clause d’accession en fait assurément partie !
L’écrasante majorité des baux contiennent une clause stipulant que l’accession se fera sans indemnité à payer par le bailleur, et ce par dérogation à l’article 555 du Code civil, lequel prévoit que l’accession à la propriété des constructions d’autrui doit s’effectuer moyennant une indemnité.
La clause d’accession organise également le moment de l’accession au profit du bailleur des aménagements, améliorations réalisés par le preneur, soit à la fin du bail, soit en fin de jouissance c’est-à-dire à son départ effectif. Dans le second cas, le bailleur ne devient propriétaire qu’au moment où l’occupation du locataire prend fin.
La rédaction est essentielle ! Si le bailleur est propriétaire des améliorations en fin de bail, c’est-à-dire au premier renouvellement, il pourra au second renouvellement qui suit les intégrer dans la valeur locative, et même s’en servir pour déplafonner le loyer[3] ; s’il n’en est pas propriétaire, il ne pourra en faire état pour modifier le loyer renouvelé.
Dans l’arrêt commenté, le bail comportait une clause d’accession en fin de jouissance du preneur à bail. De manière assez surprenante, la Haute juridiction a approuvé la position retenue par la Cour d’appel qui a considéré que la clause d’accession stipulée au bail [en fin de jouissance] avait joué lors de la cession du fonds de commerce. Etonnant, dans la mesure où la clause d’accession est censée jouer à la fin de l’occupation des locaux, et non à la date de cession puisque le cessionnaire vient dans les droits et obligations du cédant, et le bail se poursuit…. Sur ce point, la Cour d’appel de PARIS avait jugé dans une autre espèce, que les améliorations ne font pas accession au bailleur, si le bail a été cédé à un nouveau locataire qui a pris la place de l’ancien dans les lieux[4].
Notons enfin que la Cour approuve de manière assez surprenante également le régime des améliorations notables, justifiant le déplafonnement lors du second renouvellement, alors que la clause d’accession litigieuse ne comporte aucune accession en fin de bail, condition essentielle à l’application du régime des améliorations notables.
[1] Cf article R145-3 du Code commerce
[2] Cf article R145-8 du Code de commerce
[3] Cass. civ 3ème, 30 mai 1990, n°89-12061, FS – B
[4] CA PARIS, 16ème ch. , 11 avril 2005, n°03/18442