Baby loup … c’est la guerre !

Patricia VIANE CAUVAIN
Patricia VIANE CAUVAIN - Avocat

  

Sources: CA Paris, 27 nov. 2013, n° 13/02981,

 

La cour d’appel de Paris, par décision du 27 novembre 2013, a confirmé le licenciement pour faute grave de la salariée de la crèche privée Baby Loup :

 

« pour avoir refusé de retirer son foulard islamique pendant les heures de travail et avoir eu un comportement inapproprié après sa mise à pied [conservatoire] ».

 

La cour d’appel de Paris se prononçait après renvoi de la chambre sociale de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 19 mars 2013[1] avait cassé et annulé dans toutes ses dispositions l’arrêt de la cour d’appel de Versailles[2]: lequel confirmait le jugement du Conseil de prud’hommes [3]

 

Pour justifier la cassation l’analyse de la décision publiée au bas de l’arrêt de cassation par la Cour de Cassation explique en substance :

           

« Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1, L. 1133-1 et L. 1321-3 du code du travail que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.

 

Tel n’est pas le cas d’une clause d’un règlement intérieur d’une crèche privée qui prévoit que “le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’exercice de l’ensemble des activités”, une telle clause, instaurant une restriction générale et imprécise, ne répondant pas aux exigences de l’article L. 1321-3 du code du travail »

 

S’opposant clairement aux principes ci avant affirmés, la cour d’appel a considéré que les restrictions prévues par le règlement intérieur de la crèche étaient :

 

« justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché au sens des articles L. 1121-1 et L. 1321-3 du Code du travail », ne portaient pas « atteinte aux libertés fondamentales dont la liberté religieuse » et ne présentaient pas « un caractère discriminatoire au sens de l’ article L. 1132-1 du Code du travail », ajoutant qu’elles répondaient « aussi dans le cas particulier à l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de respecter et protéger la conscience en éveil des enfants, même si cette exigence ne résulte pas de la loi ».

 

Pour la Cour, le comportement de la salariée, qui a consisté à se maintenir sur les lieux de travail après notification d’une mise à pied qui reposait sur un ordre licite de l’employeur, au regard de l’obligation spécifique de neutralité imposée par le règlement intérieur, caractérise bien une faute grave.

 

La cour d’appel justifie sa décision en faisant notamment valoir :

 

– le fait qu’« une personne morale de droit privé, qui assure une mission d’intérêt général, peut dans certaines circonstances constituer une entreprise de conviction au sens de la jurisprudence de la Cour EDH et se doter de statuts et d’un règlement intérieur prévoyant une obligation de neutralité du personnel dans l’exercice de ses tâches. Une telle obligation emporte notamment interdiction de porter tout signe ostentatoire de religion » ;

 

– la formulation de cette obligation de neutralité dans le règlement intérieur de la crèche, suffisamment précise pour qu’elle soit entendue comme étant d’application limitée (…) et ne pas avoir de portée générale ;

 

– « la nécessité, imposée par l’article 14 de la Convention relative aux droits de l’enfant de protéger la liberté de pensée, de conscience et de religion à construire pour chaque enfant, autant que celle de respecter la pluralité des options religieuses des femmes ».

 

La salariée licenciée ayant déjà déclaré son intention de former un pourvoi en cassation est ce un retour à la case départ et à une opposition entre juges du fond et de cassation ?

 

C’est tout le contraire. La Cour d’Appel de Paris ayant fondé sa décision sur les mêmes motifs que ceux de la Cour d’Appel de Versailles dont la décision avait été cassée le pourvoi entrainera la saisine de l’assemblée plénière de la Cour de Cassation[4] Pour les non initiés il faut préciser que cette formation rend moins de 20 décisions par an sur les près de 40.000 décisions[5] rendues en matière civile et pénale (statistiques 2012). Le débat s’annonce donc d’ores et déjà passionnant

 

Rappelons toutefois la convergence de raisonnement entre le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation en un domaine sur lequel la Cour de cassation s’était déjà exprimée en faveur d’une limitation des pouvoirs de restriction aux libertés fondamentales des salariés [6] ( cf notre article précité)

 

Contentieux à suivre donc, mais l’affaire est loin d’être gagnée pour les opposants au port du voile.

 

Patricia Viane-Cauvain

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cass. soc., 19 mars 2013, n° 11-28.845 et le commentaire vivaldi chronos du 21 mars 2013

[2] CA Versailles, 27 oct. 2011, n° 10/05642 et le commentaire vivaldi-chronos du 27 octobre 2011

[3] CPH Mantes-la-Jolie, 13 déc. 2010 références inconnues

[4] Dans l’organisation de la Cour de Cassation, l”Assemblée dite “Plénière” est présidée par le Premier Président ou, en cas d’empêchement, par le plus ancien des Présidents de Chambre, elle est composée des Présidents et les Doyens des (6) Chambres qui sont assistés d’un Conseiller choisi dans chaque Chambre. L’Assemblée plénière connaît des affaires qui posent une question de principe, et notamment en cas de résistance d’une juridiction inférieure lorsque dans la même affaire ayant donné lieu à un arrêt de cassation avec renvoi, un second pourvoi est formé et qu’il est fondé sur les mêmes moyens.

[5] Rejet cassation mais aussi radiation et non admission

[6] Sur le principe selon lequel les libertés fondamentales du salarié ne sont susceptibles de restrictions que si celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, à rapprocher :Soc., 3 juillet 2012, pourvoi n° 11-10.793, Bull. 2012, V, n° 202 (cassation)

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