Associé dans deux sociétés concurrentes

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : Cass.com., 10 septembre 2013, n°12-23888 F-P+B

 

I –

 

Une SAS, candidate malheureuse à un marché public, constatant que l’un de ses actionnaires détenait également des participations dans la société attributaire, avait imaginé pouvoir obtenir la condamnation de celui-ci sur le fondement de la concurrence déloyale.

 

L’action en responsabilité reposait sur le triptyque habituel :

 

–       La faute : la constatation objective d’une participation au capital de deux sociétés concurrentes serait en soi, un acte de concurrence déloyale ;

–       Le préjudice : la perte du marché pour lequel elle avait été précédemment déclarée attributaire ;

–       Le lien de causalité : la participation au capital des deux sociétés fait présumer une fuite d’informations d’une entité vers l’autre

 

Les juridictions consulaires, et plus encore la Cour d’appel de LYON, vont admettre ce principe de responsabilité in abstracto. Ainsi, alors qu’aucun fait de concurrence déloyale n’était rapporté la Cour d’appel, pour entrer en voie de condamnation, juge que l’actionnaire est tenu envers sa société d’une « certaine obligation de loyauté qui lui interdit de faire directement ou indirectement concurrence, même en recourant à des moyens non fautifs ».

 

La Cour d’appel de LYON était-elle entrée en résistance avec la position précédemment adoptée par la Cour de cassation ? Rien ne permet de donner un avis clair à ce sujet. Toujours est –il que, par toute une série d’arrêts[1], la Cour de cassation juge selon un attendu repris désormais de façon litanique :

 

« Mais attendu que, sauf stipulation contraire, l’associé d’une société à responsabilité limitée n’est pas, en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société et doit seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale ; qu’ayant relevé que le contrat de travail de M. X… ne contenait aucune obligation de non-concurrence et que les statuts de la société Promes ne faisaient peser aucune obligation de non-concurrence sur ses associés, la cour d’appel, qui n’avait pas à effectuer la recherche inopérante visée par la deuxième branche, a statué à bon droit »

 

Le débat devait-il être différent s’agissant d’une SAS ? Rien dans la distinction des deux sociétés ne permettait d’émettre un avis semblable.

 

II –

 

La sanction de la Cour de cassation ne se fait pas attendre. Celle-ci, pour censurer la Cour d’appel de LYON, reprend son attendu de principe en remplaçant SARL par SAS :

 

« sauf stipulation contraire, l’associé d’une SAS n’est pas, en cette qualité, tenu de s’abstenir d’exercer une activité concurrente de celle de la société et dois seulement s’abstenir d’actes de concurrence déloyale ».

 

La Cour refuse ainsi toute présomption de concurrence déloyale à raison de participations dans deux sociétés concurrentes. Elle exige au contraire que soit rapportée la preuve d’actes de concurrence déloyale qui, rappelons le, peuvent être définis comme ceux contraires aux usages pratiqués dans les milieux commerciaux honnêtes[2], supposent l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice, lesquels doivent être clairement identifiés[3] pour conduire à l’indemnisation de l’entreprise victime.

 

Cette preuve est en règle générale extrêmement difficile à rapporter, ce qui explique que beaucoup de procès en concurrence déloyale se terminent par d’énormes déceptions. Elle laisse un sentiment d’injustice, et surtout la conviction selon laquelle l’associé pourrait, sans risque et au gré de ses intérêts, utiliser les informations qu’il reçoit en sa qualité d’associé, au bénéfice de l’autre société qu’il veut favoriser.

 

Mais pour répondre à ces difficultés la Cour de cassation a déjà accepté à la mise en place d’une parade. Systématiquement, la Cour de cassation précise : « sauf stipulation contraire ». Il appartient donc aux associés majoritaires d’insérer dans les statuts ou dans un pacte d’actionnaires l’interdiction de posséder des participations dans deux sociétés concurrentes.

 

Bien entendu, la violation de cette interdiction ne serait pas en soi constitutif d’actes de concurrence déloyale en l’absence de faute rapportée. En revanche, celle-ci pourrait être sanctionnée soit par l’exclusion si de telles dispositions existent, soit par l’octroi de dommages et intérêts, mais dans ce cas il faudra de nouveau démontrer la preuve d’un fait fautif en lien de causalité avec le préjudice réclamé.

 

L’associé majoritaire aura bien entendu à cœur d’insérer une telle interdiction au moment de la constitution de la société ou avant l’arrivée de nouveaux actionnaires. En effet, l’entrée au capital acquise, la majorité, même qualifiée ne suffira pas à modifier les statuts. Il résulte, pour n’aborder que le cas des SAS, de la combinaison des articles L227-16 et L227-19 du Code de commerce, que les modifications statutaires organisant l’exclusion d’un actionnaire sont, d’ordre public, soumises à la règle de l’unanimité.

 

Il est à cet égard impensable qu’un minoritaire disposant de participations dans deux sociétés concurrentes vote les modifications statutaires qui conduiront à son exclusion[4].

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


 

[1] Cass.com, 15 novembre 2011, n°10-15049, Publié au Bulletin ou par exemple Cass.com, 19 mars 2013, n°12-14407, Inédit

[2] Yves Guyon, Droit des affaires, no 839; Buy, L’entreprise peut-elle trouver dans la loi une protection efficace contre une concurrence de ses propres membres ?, Dr. & patr. 1999, no 69, p. 48

[3] Ils ne sauraient notamment ressortir d’un faisceau d’indices Cf notre article chronos

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