Assignation en redressement judiciaire : une créance certaine, liquide et exigible, et rien d’autre

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. com., 28 juin 2017, n°16-10.025 F-P+B+I

 

I – L’espèce

 

Le redressement judiciaire d’une SCI est prononcé en 2015. Huit ans plus tôt, celle-ci a été condamnée au paiement d’une indemnité d’éviction ainsi qu’une indemnité d’occupation après avoir délivré congé à ses locataires commerciaux sans offre de renouvellement, ni versement d’indemnité d’éviction. Cette décision a été confirmée par un arrêt d’appel, décision toutefois devenue caduque, faute d’avoir été signifiée dans les six mois de son prononcé.

 

Ultérieurement l’indivision, c’est-à-dire les ex locataires commerciaux, a saisi le TGI aux fins d’ouverture d’un redressement judiciaire de la SCI. La débitrice a fait appel de cette décision, considérant que l’indivision n’avait pas de titre exécutoire et que l’objet du litige était limité à l’exécution du jugement relatif à la fin du bail commercial, et non sur l’opportunité d’ouvrir une procédure collective. En outre, l’indivision ne rapportait pas la preuve de la cessation de ses paiements.

 

Le redressement judiciaire est confirmé par la cour d’appel (absence de revenus, actif composé d’un seul immeuble, absence de liquidités). La SCI a formé un pourvoi, invoquant le défaut de caractère exécutoire de la créance invoquée, résultant de la caducité de la décision d’appel dans la procédure relative au congé délivré en fin de bail commercial.

 

II – L’arrêt de rejet

 

La Cour de cassation rejette le pourvoi, rappelant que le créancier n’a pas à justifier d’un titre exécutoire. Il suffit que sa créance soit certaine, liquide et exigible, pour qu’il puisse assigner son débiteur en redressement judiciaire.

 

III – Explications

 

L’article L.631-1 du Code de commerce précise que la procédure de redressement judiciaire est ouverte dès lors que le débiteur ne peut pas faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Le débiteur conteste le plus souvent sa cessation des paiements en discutant les éléments retenus pour déterminer son passif exigible. Il faut bien entendre passif « exigible », et non passif « exigible et exigé ». La Cour de cassation veille à ce que la lettre du texte modifié en 2005 soit strictement respectée : le créancier n’a donc pas l’obligation de réclamer le paiement de sa créance exigible, au moyen d’actes d’exécution forcée par exemple[1].

 

L’article R.631-2 du Code de commerce dispose que le créancier doit préciser la nature et le montant de sa créance, ainsi que les éléments de preuve de nature à caractériser la cessation des paiements du débiteur. Il n’est donc pas possible non plus de déduire de ce texte que le créancier soit dans l’obligation d’avoir un titre exécutoire pour la créance impayée à l’appui de laquelle il demande l’ouverture du redressement judiciaire du débiteur, ce que confirme clairement l’arrêt du 28 juin 2017.

 

Pour constituer un élément de la cessation des paiements, la dette ne doit pas être litigieuse, c’est-à-dire qu’elle ne doit être contestée ni dans son existence, ni dans son montant, ni même dans son mode de paiement. Les dettes certaines, liquides et exigibles, sans pour autant que le créancier soit nécessairement titulaire d’un titre exécutoire, rentrent dans cette catégorie. Le créancier doit rapporter la preuve que ces trois conditions sont remplies. En réalité, le titre exécutoire n’est qu’un facilitateur de preuve.

 

Qu’est-ce qu’une créance litigieuse ? La Cour de cassation l’a définie comme celle dont le sort définitif est subordonné à une instance pendante[2], y compris lorsque la décision frappée d’appel est exécutoire par provision[3].

 

En résumé, l’assignation en redressement judiciaire ne doit pas être confondue avec une mesure d’exécution forcée. Ni la Loi, ni la Jurisprudence n’imposent comme préalable la détention d’un titre exécutoire infructeux.

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats



[1] Cass. com., 7 mars 2006, n°04-16.633, FS-P+B+R+I ; Cass. com., 16 mars 2010, n°09-12.539, F-P+B

[2] Cass. com., 9 février 2010, n°09-10.880, F-D

[3] Cass. com., 13 mai 2014, n°13-12.489, F-D 

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