Application dans le temps des modifications statutaires d’ordre public : application à la loi PINEL ?

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

  

SOURCES : 3ème civ, 9 février 2017, n°16-10350, FS – P+B+I

 

Il résulte des dispositions de l’article 2 du Code civil que la loi est d’application immédiate sur les situations nées après son entrée en vigueur. Une exception concerne traditionnellement la matière contractuelle, dans laquelle sauf disposition transitoire contraire rendue nécessaire par un impératif d’intérêt général suffisant , la loi nouvelle ne s’applique pas aux situations contractuelles nées sous l’empire de la loi ancienne .

 

Il est cependant admis en jurisprudence que lorsque les effets légaux du contrat sont modifiés par la loi nouvelle, celle-ci est immédiatement applicable aux contrats en cours. Ont ainsi été jugés applicables aux contrats en cours : 

 

Le plafonnement légal, modifié par la loi du 6 janvier 1986,  

le plancher de la révision triennale issu de la loi MURCEF du 11 décembre 2001  

ou encore la modification de la date d’effet du congé par la loi LME du 4 aout 2008 .

 

Une troisième voie, adoptée par la Cour d’appel de RENNES dans un arrêt du 8 novembre 1995, consistait à rendre immédiatement applicables aux contrats en cours les dispositions d’ordre public contenues dans la loi nouvelle. L’arrêt des juges rennais avait été censuré par la Première chambre civile de la Cour de cassation selon laquelle la nature d’ordre public de la loi ne peut à elle seule justifier son application immédiate aux contrats en cours .

 

« Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans caractériser les raisons d’une application immédiate de la loi que sa nature d’ordre public ne pouvait à elle seule justifier, la cour d’appel a violé les textes susvisés ; »

 

Cette position ne semble pas partagée par la Troisième chambre civile.

 

En l’espèce, à l’instar de l’application de la loi Pinel dans le temps, il était débattu de l’application immédiate de l’article L145-7-1 du Code de commerce, c’est à dire de la possibilité, pour le preneur, de faire usage  de son droit à résiliation triennale après l’entrée en vigueur de l’article 16 de la loi 2009-888 du 22 juillet 2009 selon lequel « Les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidence de tourisme (…) sont d’une durée de neuf ans minimum, sans possibilité de résiliation à l’expiration d’une période triennale ».

 

Estimant que la loi nouvelle ne pouvait régir les contrats en cours, le preneur avait délivré congé au bailleur pour la seconde période triennale conformément aux dispositions de l’article L145-4 du Code de commerce. Le bailleur avait alors assigné le preneur en nullité du congé.

 

La Cour d’appel de Poitiers l’avait débouté de ses prétentions et validé le congé.

 

Dans son pourvoi, le bailleur rappelait que la loi nouvelle régit immédiatement les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisé. Par conséquent, « les dispositions impératives nouvelles de l’article L. 145-7-1 du code de commerce, excluant la faculté de résiliation triennale du preneur, exploitant de résidences de tourisme, doivent s’appliquer à la résiliation triennale des contrats de bail qui étaient en cours lors de son entrée en vigueur et qui se sont poursuivis après celle-ci ».

 

Subsidiairement, il rappelait l’article L145-4 du Code de commerce avait été reproduit uniquement en partie dans le bail, ne reprenant que la résiliation triennale du bailleur et non celle du preneur. Il concluait que les parties s’étaient entendues pour souscrire un bail de neuf ans fermes, sans possibilité pour le preneur d’y mettre fin lors de l’une ou l’autre des échéances triennale.

 

Censurant l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers par une décision promise à une très large publication (FS – P+B+I), la Troisième chambre civile juge que l’article L145-7-1 est immédiatement applicable aux contrats en cours. Elle va même au-delà de l’argumentation du bailleur, se détachant des effets légaux des situations juridiques pour consacrer l’application immédiate des dispositions d’ordre public aux baux en cours, selon l’attendu de principe suivant : 

 

« Vu l’article L. 145-7-1 du code de commerce, issu de la loi du 22 juillet 2009, ensemble l’article 2 du code civil ;

 

Attendu que l’article L. 145-7-1 précité, d’ordre public, s’applique aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur ; »

 

Pour en déduire : 

 

« Qu’en statuant ainsi, après avoir constaté que les baux étaient en cours au 25 juillet 2009, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

 

En conséquence, l’article L145-7-1 mettait un terme à la faculté de résiliation triennale du preneur dès son entrée en vigueur.

 

Cette décision doit être rapprochée d’avis donnés, tant par la Cour de cassation  que par le gouvernement, et plus précisément de la réponse ministérielle PINVILLE  qui considère, au regard de la nécessité d’assurer l’égalité de traitement des preneurs de baux commerciaux et dans un souci d’efficacité de la règle, que les renonciations des preneurs à délivrer congé à l’expiration d’une ou plusieurs échéances triennales sont inefficaces depuis l’entrée en vigueur de la loi PINEL (20 juin 2014).

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

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