Action en paiement entre commerçants et point de départ de la prescription

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

Source : Cass. com., 26 février 2020, n° 18-25.036, P+B

 

La chambre commerciale rend ici une décision qui pourrait bien faire date, en ceci qu’elle tranche une question discutée au sein de la Cour de cassation et dont la réponse est inédite devant la chambre commerciale. Elle juge ainsi, que le point de départ de la prescription quinquennale prévue à l’article L. 110-4 du code de commerce, doit être fixé au jour où la prestation a été achevée par le prestataire de service, et ce, quand bien même la facture serait produite postérieurement.

 

I – Les faits

 

Une société réalise trois études géologiques entre mars 2008 et octobre 2009 pour le compte d’une autre société. En juin 2010, la société prestataire de services établit trois factures restées impayées et, en février 2015, assigne en paiement sa contractante. Cette dernière lui oppose néanmoins la prescription de son action. L’arrêt d’appel donne raison à la défenderesse et déclare l’action prescrite.

 

II- Le pourvoi

 

La société prestataire de service se pourvoit en cassation. À l’appui de son moyen unique, elle présente deux arguments. Sur le fondement de l’article L. 110-4 du Code de commerce, elle soutient d’une part que le point de départ du délai de prescription quinquennale de l’action en paiement d’une facture adressée par un professionnel pour les services qu’il fournit se situe au jour de l’établissement de la facture correspondant à leur exécution.

 

D’autre part, en vertu du même principe, elle ajoute qu’il ne peut lui être reproché d’avoir établi les factures tardivement, au regard de l’article L. 441-3 du Code de commerce dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019, exigeant l’établissement par le professionnel d’une facture dès la réalisation de la prestation de services, dès lors que le non-respect de ce texte ne peut avoir pour effet de modifier le point de départ prévu à la précédente disposition.

 

La question posée à la Haute juridiction était donc de savoir si le point de départ de la prescription quinquennale, pour ce qui concerne les actions en paiement entre professionnels, dépend dans tous les cas de la date de production de la facture, y compris lorsque celle-ci est tardive.

 

La Chambre commerciale répond par la négative et rejette le pourvoi, sur le fondement notamment de l’article 2224 du Code civil, précisant que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent pas cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.

 

Ensuite, la Cour de cassation conforte le raisonnement adopté par la cour d’appel. En effet, aux termes de l’article L. 441-3 précité, le prestataire de service est tenu de délivrer sa facture dès la réalisation de la prestation. Selon l’arrêt d’appel, il fallait en déduire que « l’obligation au paiement du client prend naissance au moment où la prestation commandée a été exécutée ».

 

Et la chambre commerciale de conclure que la société prestataire « connaissait, dès l’achèvement de ses prestations, les faits lui permettant d’exercer son action en paiement de leur prix », de sorte que l’action en paiement intentée en 2015 pour les prestations effectuées en 2008 et 2009 est bien prescrite.

 

La Première Chambre civile de la Cour de cassation avait pourtant décidé que le point de départ de la prescription biennale de l’ancien article L. 137-2 du Code de la consommation (devenu l’art. L. 218-2) devait être fixé au jour de l’établissement de la facture, alors même que celle-ci avait été établie plus de trois ans après la réalisation de la prestation[1].

 

La solution serait donc moins favorable pour le consommateur dans sa relation avec un professionnel qu’entre deux commerçants, ce qui peut surprendre. Mais en même, la Deuxième Chambre civile a récemment décidé, sur le fondement du même ancien article L. 137-2, que la prescription de l’action des avocats pour le paiement de leurs honoraires courait à compter de la date à laquelle leur mandat avait pris fin[2], ce qui s’inscrit davantage dans le cadre de l’arrêt ici rendu.

 

Ce qui était déjà acté par la Chambre commerciale, c’est que la prescription de l’article L. 110-4 court à compter de l’exigibilité de la créance, c’est-à-dire au moment de l’établissement de la facture[3]. Cependant, et c’est là l’apport de l’arrêt, la facture devant être établie une fois la prestation réalisée, sa production tardive auprès du client fait demeurer le point de départ de la prescription au jour de l’achèvement de la prestation.

 

La solution est logique et il faut l’approuver, l’inverse conduirait à ce que le commerçant puisse repousser indéfiniment le point de départ de la prescription, en retardant la production de sa facture.

 

[1] Cass. 1ère civ., 3 juin 2015, n° 14-10.908

 

[2] Cass. 2ème civ., 7 févr. 2019, n° 18-11.372

 

[3] Cass. com., 5 déc. 2018, n° 17-16.282

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