Source : Cass. com. 5 septembre 2018, n° 17-13.626, FS-PBI
I – Rappel des textes en question
L’article 1745 du Code général des impôts dispose que :
« Tous ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes. »
Autrement dit, celui qui est pénalement condamné pour fraude fiscale peut être tenu solidairement avec le redevable légal de l’impôt fraudé au paiement de celui-ci et des pénalités.
L’article L. 651-2 du Code de commerce prévoit notamment que :
« Lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion (…). »
Dit autrement, le dirigeant auteur d’une ou plusieurs fautes de gestion ayant aggravé l’insuffisance d’actif de la société en liquidation judiciaire (par exemple : comptabilité irrégulière, non-respect des obligations fiscales et sociales, poursuite d’une activité manifestement déficitaire dans un but personnel, déclaration de cessation des paiements tardive) peut être condamné personnellement à compenser cette aggravation.
II – L’espèce
En vertu de ces textes, le dirigeant d’une société est condamné pénalement à 15 mois d’emprisonnement des chefs de fraude fiscale et omission d’écritures en comptabilité, pour avoir notamment soustrait celle-ci au paiement de la TVA et de l’IS, est condamné solidairement avec elle à payer au Trésor public la somme de 147.718,00 €. La société étant placée en liquidation judiciaire, le liquidateur demande la condamnation de l’intéressé à supporter l’insuffisance d’actif, à hauteur de la même somme.
III – Le pourvoi en cassation
Le dirigeant condamné a saisi la Haute juridiction, pour soutenir qu’il ne peut pas être condamné à payer cette somme au titre de l’insuffisance d’actif alors qu’il demeure tenu de payer 147.718,00 € à l’administration fiscale, pour la même faute, ce qui revient à le condamner à indemniser deux fois le même préjudice, en violation de l’article 1382 devenu 1240 du Code civil, et le principe de réparation intégrale du préjudice.
L’argument est rejeté par la Cour de cassation : la solidarité prononcée contre le dirigeant social en application de l’article 1745 du Code général des impôts constitue une garantie de recouvrement de la créance fiscale, et ne tend pas à la réparation d’un préjudice.
Elle ne fait donc pas obstacle à la condamnation de ce dirigeant à supporter, à raison de sa faute de gestion, tout ou partie de l’insuffisance d’actif de la société, comprenant la dette fiscale objet de la solidarité.
La contribution du dirigeant à l’insuffisance d’actif entre dans le patrimoine de la société, débitrice pour être répartie au marc le franc entre tous les créanciers, et la part du produit de la condamnation du dirigeant versée au Trésor s’impute sur le montant de sa créance.
En clair, le principe non bis in idem ne s’applique en pareil cas. Le pourvoi est rejeté.
IV – A retenir
La solidarité fiscale prévue par le livre des procédures fiscales au profit du Trésor public est autonome et ne fait pas obstacle à une condamnation dans le cadre d’une action en comblement de l’insuffisance d’actif, initiée au profit de la masse des créanciers.
Il a déjà été jugé que la solidarité du paiement de l’impôt prévue par l’article 1745 du Code général des impôts n’est pas une sanction ayant le caractère d’une punition, mais une garantie pour le recouvrement des créances fiscales de l’administration[1].
Le dirigeant condamné à supporter l’insuffisance d’actif en application de l’article L. 651-2 du Code de commerce auquel s’applique en outre la solidarité pour le paiement de droits fraudés n’a pas à payer deux fois. Les sommes versées par lui pour combler le passif entrent dans le patrimoine de la société et sont réparties entre tous les créanciers, dont l’administration fiscale, au marc le franc, c’est-à-dire au prorata du montant de sa créance. (article L. 651-2, aliéna 4 du Code de commerce).
La créance fiscale sera donc réglée au moins en partie par les sommes ainsi versées et pour le solde, l’administration fiscale pourra faire jouer la solidarité.
L’existence d’une procédure collective ouverte à l’encontre du prévenu et sa condamnation au comblement du passif social ne s’opposent pas à ce qu’il soit déclaré solidairement tenu avec le redevable légal de l’impôt au paiement des droits fraudés. La solidarité n’est pas une peine au sens de l’article 132-1 du Code pénal, mais une mesure d’exécution.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. crim. 23 mars 2016, no14-88.507, FS-D ; CE 8 décembre 2017, n°414303