Prescription biennale du Code de la consommation et qualification de l’emprunteur professionnel

Thomas LAILLER
Thomas LAILLER

 

Source : Cass. civ. 1re, 6 juin 2018, FS-P+B, n° 17-16.519

 

I – Les faits

 

Suivant acte authentique du 8 novembre 2005, une banque avait consenti à une personne physique un prêt afin de financer l’acquisition d’un lot de copropriété en l’état futur d’achèvement, à usage de résidence locative meublée. L’emprunteur ayant cessé de rembourser le prêt en décembre 2009, la banque lui a notifié, le 10 mai 2010, la déchéance du terme. Puis, le 16 février 2012, elle lui a signifié un commandement de payer valant saisie immobilière, qui a été annulé par arrêt du 31 janvier 2014. Le 7 février, elle lui a délivré un commandement aux fins de saisie-vente et, le 18 décembre 2014, un nouveau commandement valant saisie immobilière.

 

Les juges du fond ont prononcé la nullité des commandements de payer ainsi que des actes subséquents, en raison de la prescription de la créance et de l’exécution forcée du titre notarié, et ont ordonné, en conséquence, la mainlevée de la saisie et des inscriptions, au motif que l’emprunteur, non inscrit au registre du commerce, ne pouvait être assimilé à un professionnel de sorte que le délai de prescription de deux ans prévu à l’article L. 137-2 du code de la consommation était applicable.

 

L’établissement de crédit a formé un pourvoi en cassation.

 

II – L’arrêt de cassation

 

Du postulat que l’emprunteur n’était pas inscrit au registre du commerce, pouvait-on en déduire qu’il ne pouvait être considéré comme un professionnel et qu’il devait donc bénéficier de la fameuse prescription biennale du code de la consommation ?

 

La Haute juridiction répond par la négative, et censure les juges du fond :

 

« Qu’en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser que l’emprunteur avait agi à des fins étrangères à son activité professionnelle, fût-elle accessoire, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

 

III – Qu’est-ce qu’un emprunteur professionnel au regard du Code de la consommation ?

 

La prescription biennale de l’article L. 218-2 du Code de la consommation (ancien article L. 137-2) prévoit en effet que « L’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ». Il s’agit d’une prescription écourtée dérogatoire du droit commun, auquel les créanciers doivent être particulièrement attentifs. La Cour de cassation étend par exemple depuis quelques années le bénéfice de cette prescription au crédit immobilier[1].

 

Que recouvre la notion de professionnel ? L’article liminaire du Code de la consommation définit le professionnel comme « toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel ».

 

L’investissement locatif peut-il être considéré comme une activité professionnelle ? En l’espèce l’emprunteur avait acquis l’appartement en l’état futur d’achèvement à usage de résidence locative meublée pour procéder à un placement dans le cadre d’une résidence hôtelière. Ce cadre précis justifie-t-il l’éviction de la prescription biennale ? Manifestement non.

 

L’ordonnance du 25 mars 2016 a étendu le bénéfice des dispositions du Code de la consommation aux « personnes morales de droit privé, lorsque le crédit accordé n’est pas destiné à financer une activité professionnelle, notamment celle des personnes morales qui, à titre habituel, même accessoire à une autre activité, ou en vertu de leur objet social, procurent, sous quelque forme que ce soit, des immeubles ou fractions d’immeubles, bâtis ou non, achevés ou non, collectifs ou individuels, en propriété ou en jouissance » (article L. 313-1, 3°). Cela permet d’inclure certaines SCI dans le domaine du crédit immobilier.

 

Les personnes physiques réalisant un investissement en dehors d’une activité professionnelle dûment identifiée devraient être logiquement incluses. La Première Chambre civile, dans un arrêt du 25 janvier 2017, a ainsi censuré la décision d’une cour d’appel qui avait retenu la qualité de consommateur « alors qu’elle avait relevé que les lots de copropriété étaient destinés à la location et que M. X… était inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur en meublé professionnel, ce dont il résultait que le prêt litigieux était destiné à financer une activité professionnelle, fût-elle accessoire, exclusive de la prescription biennale applicable au seul consommateur [2]». Ici l’inscription au RCS avait été décisive.

 

Le parallèle peut être fait avec les procédures collectives : avant 2005, tant la personne physique non immatriculée au registre, même s’il s’agit du gérant (ou d’un associé) d’une société créée de fait pour exploiter un fonds de commerce, que le commerçant radié du registre du commerce ne pouvait demander lui-même sa mise en redressement judiciaire en déclarant l’état de cessation des paiements. Aujourd’hui l’article L.620-2 du Code de commerce ne fait plus référence à la notion d’immatriculation à un quelconque registre.

 

La Cour de cassation admet que « les parties sont libres, sauf disposition contraire de la loi, de soumettre volontairement aux régimes de protection définis par le code de la consommation, des contrats de crédits qui n’en relèvent pas en vertu des dispositions de ce code (…) »[3]. Toutefois, cela n’emporte pas pour autant soumission à la prescription biennale du code de la consommation[4].

 

Thomas LAILLER

Vivaldi-Avocats


[1] Par exemple Cass. civ. 1re, 28 nov. 2012, n°11-26.508

[2] Cass. civ. 1re, 25 janv. 2017, n°16-10.105

[3] Par exemple cass. civ. 1re, 1er juin 1999, n°97-13.779

[4] Cass. civ. 1re, 3 févr. 2016, n° 15-14.689

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