Source : BOI-CF-COM-20-50
L’article L.10-0 AB du Livre des Procédures fiscales, créé par l’article 19 de la loi de finances rectificative pour 2016, autorise les agents de la DGFIP à entendre toute personne susceptible de leur fournir des informations utiles en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale internationale commise par un tiers.
Lorsque les conditions de mise en œuvre de la procédure d’audition sont réunies, elle permet aux agents des finances publiques d’auditionner un tiers afin d’obtenir des renseignements sur un contribuable.
L’administration fiscale vient de commenter cette nouvelle procédure dans sa base BOFIP, toutefois certains points nécessitent encore des précisions.
Des manquements strictement définis :
La procédure d’audition ne peut être mise en œuvre que pour rechercher des manquements aux règles fixées aux principaux articles se rapportant à la fiscalité internationale des particuliers et des entreprises, c’est-à-dire notamment :
Les transferts de bénéfices à l’étranger ;
L’imposition en France des sommes payées à l’étranger pour des prestations réalisées en France ;
Les règles de territorialité de l’impôt sur les sociétés ;
L’imposition de sommes versées à des sociétés étrangères établies dans des Etats à fiscalité privilégiée …
L’audition ne pourra donc être utilisée que pour obtenir des éléments permettant de mettre au jour des manquements aux dispositions des articles visés par l’article L.10-0AB du LPF.
Un champ d’application très large :
Le droit d’audition peut être exercé auprès de toute personne susceptible de détenir des éléments sur l’existence d’un dispositif frauduleux.
L’administration précise que ces personnes peuvent être des clients du contribuable, ses fournisseurs, son comptable (s’il n’est pas mandaté), ses actuels ou anciens salariés…
Les termes employés par l’article L.10-0 AB du LPF sont très généraux : « toute personne susceptible de fournir des informations utiles ».
Le champ d’application de l’article est donc laissé à la seule appréciation de l’administration et les termes généraux employés laissent penser qu’il n’est limité que par le secret professionnel que pourront opposer certaines personnes susceptibles d’être auditionnées.
En revanche, le contribuable concerné par les investigations ne peut pas faire l’objet d’une audition. L’argument avancé par l’administration est ne pas perturber le débat oral et contradictoire dans l’hypothèse où le contribuable, ou la société dont il est le représentant légal, fait l’objet d’un contrôle fiscal.
L’administration étend cette exclusion au dirigeant de la personne morale soupçonnée de fraude ainsi qu’au conjoint de l’exploitant d’une entreprise individuelle visée par une enquête ou un contrôle.
Pour exclure du champ d’application le conjoint de l’exploitant d’une entreprise individuelle, l’administration fiscale énonce que des rectifications en matière de revenus professionnels (BNC ou BIC) peuvent avoir des répercussions sur l’impôt dû par leur foyer fiscal.
Cette justification s’applique tout autant au conjoint de n’importe quel contribuable soupçonné de fraude internationale pour autant aucune exclusion du champ d’application n’est prévue pour les conjoints en général.
Le caractère non contraignant du dispositif :
Le droit d’audition ne fait l’objet d’aucune autorisation judiciaire préalable et de fait ne peut être pourvue de caractère contraignant.
Dès lors, le refus d’être auditionné en peut entrainer de sanction fiscale ou pénale.
Les modalités pratiques de mise en œuvre du droit d’audition :
Une demande préalable doit être remise par la personne qui sera auditionnée au moins 8 jours avant son audition. La demande d’audition doit préciser l’objet et le caractère non contraignant de l’audition.
Pour la parfaite information de la personne entendue, il nous semble que l’administration devrait également préciser que l’audition peut se dérouler en présence du conseil choisi par la personne auditionnée.
Compte tenu de l’objet strictement limité du droit d’audition, la personne ne pourra être questionnée que dans le but de vérifier qu’un tiers respecte les règles de fiscalité internationale. L’administration prend donc soin de préciser que les questions posées par ses agents devront être précises et ciblées.
Il ressort de cette précision que toute question posée en contravention des dispositions de l’article L.10-0 AB du LPF devrait donc entraîner l’irrégularité de la procédure d’audition.
Il est dommage que l’administration n’apporte aucune précision sur l’incidence de réponses à des questions régulièrement posées et qui lui fourniraient, même incidemment, des éléments sur des mécanismes de fraude dans des domaines autres que la fiscalité internationale.
A l’issue de l’audition, un procès-verbal est rédigé. Les questions posées et les réponses obtenues doivent y être précisément consignées.
Le procès-verbal constitue la seule garantie contre un détournement de la procédure d’audition puisqu’il permet de vérifier que la personne a bien été entendue dans les limites des dispositions de l’article L.10-0 AB du LFP.
Là encore, il est dommage que l’administration n’autorise pas la personne auditionnée à y apporter des observations (en cas de divergence sur la retranscription des échanges notamment). De même, l’administration ne fournit aucune information sur les modalités de contestation de ce document.
L’exploitation des procès-verbaux d’audition dans le cadre de la procédure de contrôle :
Les informations recueillies au cours de la procédure d’audition seront communiquées au contribuable dans les conditions de l’article L. 76 B du LPF, c’est-à-dire si l’administration s’est fondée sur ces informations pour établir sa proposition de rectification et si le contribuable en fait la demande.
Précision importante, l’administration indique que pour pouvoir être opposées au contribuable, les informations recueillies lors de l’audition doivent être corroborées par d’autres sources d’informations et s’inscrire dans un faisceau d’indices concordant.
Autrement dit, les éléments issus du droit d’audition ne peuvent à eux seuls, fonder des rectifications.
La procédure d’audition est susceptible de s’articuler avec les procédures de recherche prévues par le LPF. En effet, des informations recueillies au cours d’une audition pourraient être utilisées pour appuyer une demande d’autorisation formulée auprès du juge de la liberté et de la détention afin de mettre en œuvre la procédure de visite et de saisie prévue par l’article L. 16 B du LPF.
Il est à noter qu’une éventuelle irrégularité du procès-verbal d’audition n’aurait très probablement qu’un impact limité sur cette procédure de visite et de saisie puisque comme indiqué dans le paragraphe précédent, les informations consignées dans le procès-verbal doivent être appuyées par d’autres sources d’information et en tout état de cause s’inscrire dans le cadre d’un faisceau d’indices.
Enfin, si des documents sont cités au cours de l’audition, l’administration pour les recueillir pourra recourir au droit de communication ou à la demande de renseignement.
Clara DUBRULLE
Vivaldi-Avocats