Le partage du quotient familial de l’enfant commun de deux concubins

Clara DUBRULLE
Clara DUBRULLE

 

SOURCE : Conseil d’État, 8ème – 3ème chambres réunies, 20 décembre 2017, n° 397650

 

Rappel des faits

 

Un contribuable a été assujetti à des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux. Lors de la procédure de contrôle, l’administration a notamment remis en cause la demi-part de quotient familial déclarée par le contribuable au titre de son enfant, qu’il estimait être à sa charge exclusive ou principale.

 

La législation applicable

 

Le système dit du « quotient familial »[1] consiste à diviser le revenu imposable de chaque contribuable en un certain nombre de parts, qui est fonction de sa situation de famille (célibataire, marié ou pacsé, séparé ou divorcé, veuf) et du nombre de personnes fiscalement considérées comme étant à sa charge.

 

L’objet du quotient familial est donc de proportionner le montant de l’impôt aux facultés contributives de chaque foyer, puisque, pour un même revenu, la faculté contributive varie suivant le nombre de personnes qui doivent partager ce revenu.

 

Pour les personnes vivant ensemble n’étant ni mariées, ni pacsées, la règle de l’imposition par foyer fiscal[2] ne s’applique pas, chaque membre du couple est imposable séparément. Il est tenu de souscrire une déclaration de ses revenus personnels, dans laquelle il fait état de sa situation personnelle (divorcé, veuf, célibataire).

 

Il bénéficie ensuite du nombre de parts de quotient familial déterminé en fonction des enfants dont il assume la charge d’entretien à titre exclusif ou principal. Il peut s’agir d’enfants nés de l’union avec l’autre membre du couple ou d’enfants nés d’une précédente union.

 

Si l’un des deux membres du couple, ou les deux, est divorcé (ou séparé de fait)[3], il peut prendre en compte pour la détermination de son quotient familial propre, les enfants dont il partage la charge pour moitié dans le cadre d’une résidence alternée[4]. Il bénéficie alors d’une majoration de quotient familial égale à la moitié de celle à laquelle lui ouvrirait droit l’enfant s’il en avait la charge exclusive ou principale[5].

 

A défaut de règles spécifiques, dans la situation particulière des parents concubins, jusqu’à la décision du Conseil d’Etat ci commentée, les enfants communs (reconnus par les deux parents concubins) ne pouvaient être comptés à la charge que d’un seul des parents. L’autre parent disposant uniquement de la possibilité de déduire de son revenu global une pension alimentaire, le cas échéant[6].

 

La décision du Conseil d’Etat

 

Le Conseil d’Etat s’est déjà intéressé à cette question de la répartition de la charge, au regard du quotient familial, d’un enfant dont les parents sont séparés dans un avis Mouthe rendu en formation de section[7].

 

Dans cet avis, le Conseil d’Etat concluait de la manière suivante :

 

– Lorsque, par convention homologuée par le juge judiciaire, la charge effective d’entretien et d’éducation d’un enfant mineur est également répartie entre les deux parents (et que la preuve contraire n’est pas rapportée par un des deux parents) : l’enfant est réputé être à la charge de chacun d’entre eux quels que soient les modalités de la résidence de ces enfants chez leurs parents ;

 

– L’avantage est alors égal à la moitié de celui prévu au premier alinéa de l’article 194 du Code général des impôts.

 

Cet avis a d’ailleurs donné lieu à la modification de l’article 194 du Code par le législateur.

 

Comme le disait déjà le commissaire du gouvernement Gilles Bachelier en juin 2002 aux magistrats du Conseil d’Etat :

 

« L’examen de cette affaire a pu vous donner l’impression que vous n’étiez plus dans cette aile du Palais-Royal mais qu’il vous invitait à accomplir un travail qui relève d’institutions établies de l’autre côté de la Seine. La recherche d’une solution prétorienne en cas de charge également partagée pour sortir de l’impasse résultant de l’inadaptation de la loi fiscale lorsque celle-ci est confrontée à l’évolution du droit de la famille relève bien de votre office. »

 

Cette constatation est tout aussi vraie dans l’affaire qui était présentée au Conseil d’Etat ce 20 décembre 2017. Là encore les magistrats ont du rechercher une solution prétorienne à une situation qui n’est pas abordée par le droit fiscal.

 

Comment se répartit la charge, au regard du quotient familial, de l’enfant commun lorsque les deux concubins assurent conjointement l’entretien, qu’aucun d’eux ne justifie en avoir la charge principale et qu’ils n’ont pas désigné d’un accord commun celui d’entre eux auquel doit être attribuée la charge exclusive ou principale de l’enfant au plan fiscal ?

 

Le Conseil d’Etat a décidé de transposer les principes issus de son avis Mouthe. Il juge que la charge de l’enfant doit être réputée partagée à parts égales entre les deux parents vivant ensemble et imposés séparément et ouvre droit, par conséquent, à une majoration du nombre de parts égale à la moitié de celle à laquelle ouvrirait droit un enfant dont ce parent assumerait la charge d’entretien, à titre exclusif ou principal.

 

Il résulte de cette décision que les parents concubins bénéficient d’une majoration de :

 

– 0,25 part pour chacun des deux premiers enfants et de 0,5 part à compter du troisième enfant, s’ils n’assument par ailleurs la charge exclusive ou principale d’aucun autre enfant ;

 

– 0,25 pour le premier et 0,5 part à partir du deuxième, s’ils assument la charge exclusive ou principale d’un enfant ;

 

– 0,5 part pour chacun des enfants s’ils assument la charge exclusive ou principale d’au moins deux enfants.

 

La majoration attribuée en cas d’invalidité est également divisée par deux, chaque parent bénéficie en conséquence de 0,25 part dans cette hypothèse.

 

Puisque la majoration se détermine en fonction du nombre d’enfants à charge d’un parent, il est tout à fait possible qu’un même enfant commun au couple concubin ouvre droit à une majoration de quotient familial différente pour chacun de ses parents.

 

Espérons que cette solution du Conseil d’Etat, comme précédemment l’avis Mouthe, soit reprise par le législateur et donne lieu à une modification de la loi.

 

Clara DUBRULLE

VIVALDI-AVOCATS


[1] Prévu par l’article 194 du Code général des impôts

[2] Prévue à l’article 6, 1 du Code général des impôts

[3] Article 194, I, alinéas 5 à 9 du Code général des impôts

[4] Sauf disposition contraire dans la convention de divorce par consentement mutuel, la convention homologuée par le juge ou, le cas échéant, l’accord conclu avec l’autre parent.

[5] Etant précisé que pour l’attribution de cette majoration, l’enfant en garde alternée est décompté après les enfants dont le contribuable assume la charge exclusive ou principale.

[6] Cette pension devenait alors imposable chez celui qui avait fiscalement la charge de l’enfant.

[7] Avis CE sect. 14 juin 2002 n° 241036, Mouthe

 

 

Partager cet article
Vivaldi Avocats