Source : Cass. com., 27 sept. 2016, nº15-10.421, P+B
I – Rappel du principe
L’article L.632-1 du Code de commerce liste les actes nuls lorsqu’ils sont intervenus depuis la date de cessation des paiements. Le 6º de cet article mentionne notamment « tout droit de nantissement ou de gage constitués sur les biens du débiteur pour dettes antérieurement contractées ».
Il concerne les actes effectués aussi bien par le créancier que le débiteur.
II – En l’espèce
Une société de construction et de location de bateaux de plaisance consent à une banque, en garantie du paiement du solde débiteur de son compte courant, un gage sans dépossession portant sur six moteurs de bateau identifiés.
Trois mois plus tard, la société procède à la modification du gage en substituant à deux moteurs initialement gagés deux autres moteurs. La société est par la suite mise en redressement puis liquidation judiciaires, la date de cessation des paiements étant fixée avant la modification intervenue sur le gage.
Le liquidateur, soutenant que la modification du gage constitue un nouveau contrat de gage consenti en période suspecte, assigne la banque en nullité de cette sûreté sur le fondement de l’article L.632-1, 6º, du Code de commerce.
Les juges du second degré font droit à cette demande. Selon eux, il y a bien eu novation, autrement dit constitution d’un nouveau gage en période suspecte pour garantir le paiement d’une dette antérieurement contractée.
La banque se pourvoit en cassation.
III – La position bienvenue de la Cour de cassation
La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel au visa de l’article précité, lui reprochant de ne pas avoir recherché « si la substitution opérée le 19 février 2009 avait conféré [à la banque] un gage supérieur, dans sa nature et dans son assiette, à celui initialement consenti ».
Dit plus simplement, la substitution de garantie ne devient suspecte que si elle confère au créancier une sûreté meilleure, à charge pour le liquidateur de le prouver.
La Haute juridiction a décidé dans le même sens, dès 1998, dans un cas de substitution d’un privilège de prêteur de deniers par une hypothèque[1] :
« Dès lors qu’aux termes de l’acte de «translation d’hypothèque», il n’y a pas eu constitution d’une sûreté nouvelle mais substitution au privilège du prêteur de deniers et à l’hypothèque inscrits sur l’immeuble vendu, d’une hypothèque sur l’immeuble acquis pour garantir le remboursement du solde du prêt, cette sûreté, qui n’est supérieure, ni dans sa nature, ni dans son étendue, aux sûretés auxquelles elle avait été substituée, a été valablement inscrite pendant la période suspecte. »
Elle a également appliqué cette solution à la pratique généralisée qui est celle d’une convention-cadre prévoyant qu’une ouverture de crédit en compte courant sera garantie par des cessions Dailly successives (cas topique d’une fiducie-sûreté)[2]. Les actes d’exécution font ici corps avec la convention générale, et seule la date de celle-ci doit être prise en compte, lorsqu’il s’agit de savoir si les cessions ont eu lieu, ou non, en période suspecte.
La solution est heureuse pour les banques, car il s’agit ici d’une dérogation au principe selon lequel que les nullités de droit jouent de plein droit, indépendamment de tout préjudice et de tout pouvoir d’appréciation des juges du fond.
Elle est en outre conforme à la lettre des textes, et répond aux nécessités du crédit dans la mesure où une substitution de garantie opérée dans les conditions rappelées plus haut a une incontestable utilité économique : elle permet souvent de dégager des actifs grevés de sûretés, pour les vendre dans de bonne conditions sans que pour autant l’opération nuise aux autres créanciers.
Thomas LAILLER
Vivaldi-Avocats
[1] Cass. com., 20 janv.1998, n°95-16.402, publié au bulletin
[2] Cass. com., 28 mai 1996, n°94-10.361, publié au bulletin