L’action en réparation du préjudice écologique

Harald MIQUET
Harald MIQUET

 

A titre liminaire, il y a lieu de souligner la singularité de ce régime. Il se distingue en effet des régimes de responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle reposant substantiellement sur les fondements des articles 1382 à 1386 du code civil, dont l’axe central est la reconnaissance de la notion de faute, ou sur celui de la responsabilité issue de la théorie des troubles anormaux du voisinage.

 

L’innovation législative vient donc combler un vide relatif aux préjudices causés à l’environnement, qualifiés de préjudices écologiques « purs », non réparés en tant que tels, et ce malgré leur reconnaissance progressive par la jurisprudence.

 

Les dispositions relatives à cette action en réparation du préjudice écologique sont codifiées aux articles 1246 et s. du code civil. L’action en réparation implique certaines conditions de recevabilité quant aux titulaires, à la nature des atteintes susceptibles d’être réparées et à l’application du recours dans le temps. L’action en réparation est également caractérisée par différentes modalités de réparation, possiblement assortie d’astreinte, ainsi que par un mécanisme de responsabilité récursoire à l’encontre de l’Etat.

 

S’agissant tout d’abord des titulaires, l’article 1248 du c.civ précise que l’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’Etat, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics. Les personnes morales de droit privé par l’entremise des associations sont également éligibles à l’action en réparation à la condition qu’elles aient été créées ou agrées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui a pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement. Il y a là une volonté de ne pas laisser le champ à la création d’association en opportunité mais de privilégier le recours d’associations pérennes.

 

Le législateur adosse le délai de recours à une prescription décennale de l’action en responsabilité à compter du jour où le titulaire de l’action « a connu ou aurait dû connaître la manifestation de préjudice écologique », et non à compter de la date du fait générateur. C’est donc un régime testimonial plus favorable qui annihile le décalage entre le fait générateur et le moment de la découverte du dommage.

 

Par ailleurs, s’il est applicable à la réparation des préjudices dont le fait générateur est antérieur à la publication de la présente loi, ce nouveau régime en responsabilité n’est pas applicable aux préjudices ayant donné lieu à une action en justice introduite avant la promulgation de la loi.

 

La question de la réparation matérielle du préjudice résultant des atteintes à l’environnement fait également l’objet d’une attention spécifique du législateur, puisque celle-ci intervient  par priorité en nature et par exception en dommages et intérêts[1] .

 

Le réparation en nature implique pour l’auteur de l’atteinte de restaurer la situation antérieure au dommage. Les modalités de cette action peuvent d’ailleurs être anticipées par le juge qui indépendamment de la réparation du processus écologique peut « prescrire des mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage » ( art. 1252 du c. civ). Les modalités de la réparation peuvent par exemple advenir par la remise en état du milieu endommagé ou à la réintroduction d’une espèce détruite.

 

La réparation par la condamnation en dommage et intérêts suppose une identification préalable et précise des différents chefs de préjudices ainsi qu’une affectation a posteriori des sommes récupérées à la réparation du dommage.

 

En cas d’impossibilité pour la personne mise en cause de réparer en nature ou par compensation financière par la condamnation à des dommages et intérêts – par exemple dans le cas très classique de la liquidation d’une entreprise n’ayant pu la capacité de compenser financièrement le préjudice environnemental – la loi prévoit l’existence d’un mécanisme de responsabilité récursoire à l’encontre de l’Etat. Compte tenu de son architecture générale, on peut observer que l’action en réparation du préjudice écologique ouvre une nouvelle voie de droit au profit des entités et personnes publiques locales à l’encontre de l’Etat. On peut y déceler un nouveau mécanisme original de garantie contre toute forme d’incompétence négative en matière de réparation du préjudice écologique : l’action contentieuse devient une courroie de transmission entre les personnes publiques locales, les associations et in fine l’Etat.

 

Au final, le mécanisme de responsabilité en réparation du préjudice écologique est innovant à plus d’un titre. Il s’inscrit certes dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui n’a d’ailleurs pas attendu pour construire un modèle analogue de responsabilité. A dessein, on rappellera l’acquis jurisprudentiel de la décision ERIKA[2]  qui a  consacré la notion de « préjudice écologique » et la nécessité de réparer « l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement. Il ne faut en revanche pas sous estimer la portée très symbolique de la création d’un régime de réparation d’un préjudice écologique pur au sein du code civil. Cette consécration bénéficie d’une forte valeur juridique associée en ce qu’elle met sa législation en phase avec les dispositions de l’article 34 de la Constitution qui depuis l’intégration de la Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité dispose que : « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement ».

 

 

Harald MIQUET

Vivaldi-Avocats


 

[1] RAPPORT n° 519, Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 avril 2013 sur la proposition de loi M. Bruno RETAILLEAU visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil.

[2] Cass crim , 25 septembre 2012, n° 10-82.938

La  loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages consacre un principe général de réparation du préjudice écologique et pose également les modalités procédurales du recours qui lui sont associés.

A titre liminaire, il y a lieu de souligner la singularité de ce régime. Il se distingue en effet des régimes de responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle reposant substantiellement sur les fondements des articles 1382 à 1386 du code civil, dont l’axe central est la reconnaissance de la notion de faute, ou sur celui de la responsabilité issue de la théorie des troubles anormaux du voisinage.

L’innovation législative vient donc combler un vide relatif aux préjudices causés à l’environnement, qualifiés de préjudices écologiques « purs », non réparés en tant que tels, et ce malgré leur reconnaissance progressive par la jurisprudence.

 

Les dispositions relatives à cette action en réparation du préjudice écologique sont codifiées aux articles 1246 et s. du code civil. L’action en réparation implique certaines conditions de recevabilité quant aux titulaires, à la nature des atteintes susceptibles d’être réparées et à l’application du recours dans le temps. L’action en réparation est également caractérisée par différentes modalités de réparation, possiblement assortie d’astreinte, ainsi que par un mécanisme de responsabilité récursoire à l’encontre de l’Etat.

 

S’agissant tout d’abord des titulaires, l’article 1248 du c.civ précise que l’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’Etat, l’Agence française pour la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics. Les personnes morales de droit privé par l’entremise des associations sont également éligibles à l’action en réparation à la condition qu’elles aient été créées ou agrées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui a pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement. Il y a là une volonté de ne pas laisser le champ à la création d’association en opportunité mais de privilégier le recours d’associations pérennes.

 

Le législateur adosse le délai de recours à une prescription décennale de l’action en responsabilité à compter du jour où le titulaire de l’action « a connu ou aurait dû connaître la manifestation de préjudice écologique », et non à compter de la date du fait générateur. C’est donc un régime testimonial plus favorable qui annihile le décalage entre le fait générateur et le moment de la découverte du dommage.

 

Par ailleurs, s’il est applicable à la réparation des préjudices dont le fait générateur est antérieur à la publication de la présente loi, ce nouveau régime en responsabilité n’est pas applicable aux préjudices ayant donné lieu à une action en justice introduite avant la promulgation de la loi.

 

La question de la réparation matérielle du préjudice résultant des atteintes à l’environnement fait également l’objet d’une attention spécifique du législateur, puisque celle-ci intervient  par priorité en nature et par exception en dommages et intérêts[1] .

 

Le réparation en nature implique pour l’auteur de l’atteinte de restaurer la situation antérieure au dommage. Les modalités de cette action peuvent d’ailleurs être anticipées par le juge qui indépendamment de la réparation du processus écologique peut « prescrire des mesures raisonnables propres à prévenir ou faire cesser le dommage » ( art. 1252 du c. civ). Les modalités de la réparation peuvent par exemple advenir par la remise en état du milieu endommagé ou à la réintroduction d’une espèce détruite.

 

La réparation par la condamnation en dommage et intérêts suppose une identification préalable et précise des différents chefs de préjudices ainsi qu’une affectation a posteriori des sommes récupérées à la réparation du dommage.

 

En cas d’impossibilité pour la personne mise en cause de réparer en nature ou par compensation financière par la condamnation à des dommages et intérêts – par exemple dans le cas très classique de la liquidation d’une entreprise n’ayant pu la capacité de compenser financièrement le préjudice environnemental – la loi prévoit l’existence d’un mécanisme de responsabilité récursoire à l’encontre de l’Etat. Compte tenu de son architecture générale, on peut observer que l’action en réparation du préjudice écologique ouvre une nouvelle voie de droit au profit des entités et personnes publiques locales à l’encontre de l’Etat. On peut y déceler un nouveau mécanisme original de garantie contre toute forme d’incompétence négative en matière de réparation du préjudice écologique : l’action contentieuse devient une courroie de transmission entre les personnes publiques locales, les associations et in fine l’Etat.

 

Au final, le mécanisme de responsabilité en réparation du préjudice écologique est innovant à plus d’un titre. Il s’inscrit certes dans la lignée de la jurisprudence de la Cour de Cassation qui n’a d’ailleurs pas attendu pour construire un modèle analogue de responsabilité. A dessein, on rappellera l’acquis jurisprudentiel de la décision ERIKA[2]  qui a  consacré la notion de « préjudice écologique » et la nécessité de réparer « l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement. Il ne faut en revanche pas sous estimer la portée très symbolique de la création d’un régime de réparation d’un préjudice écologique pur au sein du code civil. Cette consécration bénéficie d’une forte valeur juridique associée en ce qu’elle met sa législation en phase avec les dispositions de l’article 34 de la Constitution qui depuis l’intégration de la Charte de l’environnement au bloc de constitutionnalité dispose que : « La loi détermine les principes fondamentaux (…) de la préservation de l’environnement ».



[1] RAPPORT n° 519, Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 avril 2013

sur la proposition de loi M. Bruno RETAILLEAU visant à inscrire la notion de préjudice écologique dans le code civil.

[2] Cass crim , 25 septembre 2012, n° 10-82.938

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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