Source : Cass.Com. 12 janvier 2016, n°14-11.943, F-P+B
Posons tout d’abord un rappel d’importance : tout tiers propriétaire de matériels utilisés par une société bénéficiant d’une procédure collective doit faire reconnaître son droit de propriété, s’il ne dispose pas d’un contrat publié.
Cette reconnaissance de propriété s’articule comme suit :
– Dans les 3 mois de la publication au BODACC du jugement d’ouverture, le propriétaire doit adresser à l’administrateur, ou à défaut au débiteur, une demande en acquiescement à revendication.
– L’administrateur a un mois pour répondre ;
– A défaut de réponse, ou en cas de réponse négative, le propriétaire dispose d’un mois (à compter de la réponse, ou à compter de l’expiration du délai de réponse de l’administrateur) pour saisir le juge-commissaire d’une requête en revendication.
A défaut pour le propriétaire d’avoir engagé cette procédure, son droit de propriété devient inopposable à la procédure collective.
La jurisprudence en la matière est pléthorique. Et notamment s’agissant de l’articulation entre poursuite des contrats en cours et revendication.
En effet, ce type de contentieux concerne au premier chef les sociétés louant un matériel au débiteur en procédure collective. Le contrat de location porte souvent sur des matériels importants pour le débiteur, qui ne souhaite pas s’en séparer. Et le loueur n’est, de son côté, pas nécessairement pressé de récupérer son bien, dès lors qu’il est réglé de ses loyers.
Sa position change en revanche du tout au tout lorsqu’il n’est plus payé de ses loyers. Il cherchera alors à obtenir la restitution du matériel, restitution qui n’est ici qu’une suite de la première procédure : la revendication.
Se pose alors la question de l’articulation entre la procédure de poursuite des contrats en cours, et la procédure de revendication.
Le cas d’espèce est des plus classiques :
– Un loueur interroge l’administrateur sur la poursuite des contrats en cours, lequel opte expressément pour la poursuite ;
– Ultérieurement, au cours de la période d’observation, le débiteur cesse de payer les loyers ;
– Le loueur engage alors une procédure en revendication et restitution des matériels.
Se pose alors la question du bien fondé de la revendication, en l’absence d’interpellation spécifique de l’administrateur judiciaire sur la question de la propriété, c’est-à-dire en l’absence de demande d’acquiescement à la revendication.
Les juges du fond tranchent en faveur du loueur/propriétaire, relevant la mauvaise foi du débiteur et de l’administrateur. En effet, selon la thèse de la Cour d’Appel, en optant expressément pour la poursuite des contrats en cours, l’administrateur avait nécessairement reconnu au loueur sa qualité… de loueur, et donc de propriétaire des matériels. Il avait donc implicitement mais nécessairement acquiescé à la revendication.
La Cour casse l’arrêt, précisant que « la décision de l’administrateur judiciaire de poursuivre un contrat en cours portant sur des biens faisant l’objet d’une requête en revendication ne vaut pas acquiescement à celle-ci ».
La solution était prévisible, car étant dans la droite ligne de la jurisprudence de la Cour de Cassation sur le sujet[1], même si en l’espèce, la Cour d’Appel avait preuve de pragmatisme, et de bon sens.
Comme l’a très bien résumé un auteur[2] :
« La revendication s’impose, que le contrat soit continué ou non. […]
La continuation du contrat en cours et l’action en revendication ne mettent pas en jeu les mêmes rapports juridiques. La continuation du contrat n’intéresse que les rapports entre les parties au contrat, à savoir le cocontractant et le débiteur.
Au contraire, l’action en revendication n’a pas d’effet immédiat entre les parties au contrat. Elle intéresse les rapports entre le propriétaire du bien et la procédure collective. Il s’agit, pour le premier, d’opposer son droit de propriété à la procédure collective. Cela restera sans effet sur le contrat.
L’indépendance entre les deux questions nous conduit à poser en règle le caractère obligatoire de l’action en revendication indépendamment du sort du contrat, cette dernière question ne conditionnant que la récupération du bien par le propriétaire. ».
La décision rendue par la Cour de Cassation pose très exactement cette solution.
Etienne CHARBONNEL
Vivaldi-Avocats
[1] Cass.Com. 12 mars 2013, n°11-24.729.
[2] Pierre Michel LE CORRE, DALLOZ ACTION, Droit et Pratique des Procédures Collectives 2015/2016, 813.55