Droits propres du débiteur, succession et procédure collective

Frédéric VAUVILLÉ
Frédéric VAUVILLÉ

  

SOURCE : Cass. com., 11 juin 2014, n°12-28769 ; Bull. civ. IV n° 101

 

Tenus d’assurer l’efficacité des actes qu’ils reçoivent, les notaires sont habitués à vérifier la capacité de leurs clients. Progressivement, ils semblent prendre cette bonne habitude qui consiste à vérifier systématiquement, en particulier en interrogeant le site internet BODACC.FR, si l’on n’oublie pas de leur révéler l’ouverture d’une procédure collective [1]. S‘il découvre ainsi une liquidation judiciaire et s’il est chargé d’une vente, le notaire sait bien qu’il lui faut alors faire machine arrière et se rapprocher du mandataire pour qu’il sollicite une ordonnance du juge-commissaire. C’est la conséquence directe du dessaisissement qu’emporte de plein droit la liquidation judiciaire (article L. 641-9 du Code de commerce). Reste que ce dessaisissement, que les meilleurs auteurs qualifient de massif [2] a des limites. On sait ainsi qu’il n’embrasse pas par exemple, ce que l’article 1166 du Code civil appelle, à propos de l’action oblique, les droits et actions exclusivement attachés à la personne ou ce que la Cour de cassation appelle les droits propres au débiteur.

 

Un arrêt du 11 juin 2014 nous en donne un exemple caractéristique dans un contexte éminemment notarial. En l’espèce, un débiteur, cohéritier indivisaire de son père est mis en liquidation judiciaire le 11 mars 2004 ; le liquidateur saisit le tribunal pour qu’il soit procédé à la liquidation et au partage de la succession. Le débiteur demande alors que lui soit attribué le bénéfice d’une créance de salaire différé et qu’il soit sursis aux opérations de partage. Il est débouté mais soutient notamment que « la reconnaissance de l’existence d’une créance de salaire différé est un droit exclusivement attaché à la personne de l’héritier qui s’en prétend titulaire ».

 

Il lui sera répondu sèchement que d’une part, la demande de reconnaissance d’une créance de salaire différé à l’égard de la succession n’entre pas dans la catégorie des droits propres du débiteur et d‘autre part, que l’arrêt retient exactement que, s’agissant de l’exercice d’un droit patrimonial, le débiteur en était dessaisi [3].

 

La solution n’allait pas de soi si l’on se souvient qu’il a été jugé que l’exercice des droits du débiteur en tant que salarié sont hors dessaisissement [4]. Le fait qu’il y ait en l’occurrence une conséquence patrimoniale, n’est en rien décisif ; on sait ainsi que selon la Cour de cassation, la faculté d’accepter une succession est un droit attaché à la personne [5] tout comme l’exercice de la faculté de rachat d’un contrat d’assurance [6].

 

Quoi qu’il en soit, la solution pourrait bien être différente après l’ordonnance du 12 mars 2014 qui a exclu de l’actif de la procédure collective les biens ou droits acquis au titre d’une succession ouverte après l’ouverture de la liquidation judiciaire, interdisant au liquidateur de les réaliser ou de provoquer le partage de l’indivision pouvant en résulter, sauf accord du débiteur [7]. Sachant que selon l’article L. 321-17 du Code rural, le bénéficiaire d’un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l’exploitant et au cours du règlement à la succession, on voit mal comment on pourrait maintenir la solution de l’arrêt du 11 juin 2014 si le liquidateur est sans pouvoir pour intervenir dans le règlement de la succession. On notera toutefois – distinguo critiquable mais imposé par la lettre des textes- que si comme en l’espèce, la succession s‘est ouverte avant l’ouverture de la procédure collective, le mandataire conservera ses pouvoirs, tant pour intervenir dans le règlement de la succession que pour invoquer le bénéfice d’une créance de salaire différé.

 

Frédéric VAUVILLE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Sur ce réflexe BODACC.FR, voir notre étude « le notaire face à la procédure collective du professionnel : le réflexe bodacc.fr », Rép. Defrénois 2011, art. 40021.

[2] voir F. Pérochon, Entreprises en difficulté, LGDJ 10° éd. n° 1153

[3] v. aussi Cass. Com 23 sept. 2014, n° 12-29 262, Act. Proc. Coll. 2014. 319 qui juge logiquement que la demande de remboursement d’un compte courant entre dans le domaine du dessaisissement

[4] voir Cass. Soc. 31 janvier 2012 n° 10-21106, BJE mai 2012, n° 73, note Daudet ; Ad. J. Vallansan op. cit n° 1166

[5] Cass. Com 3 mai 2006 : Bull. civ. IV n° 109 : D. 2006. AJ 1369, obs. Lienhard ; ibid. Pan. 2253, obs. F.-X. Lucas; Act. proc. coll. 2006, no 118, obs. Regnaut-Moutier; Gaz. Pal. 14-18 juill. 2006, p. 27, obs. Voinot; JCP E 2006, no 37, p. 1533, obs. Cabrillac; ibid., no 40, p. 1690, note Garçon; JCP N 2006, no 49, p. 2140, obs. Vauvillé; Rev. proc. coll. 2006. 357, obs. Lebel. 

[6] voir Cass. com. 11 décembre 2012 : Bull. civ. IV, no 225; D. 2013. Actu. 8 ; JCP E 2013. 1216, no 4, obs. Pétel; LEDEN janv. 2013, p. 4, obs. Rubellin; RJDA 2013, no 146; Act. proc. coll. 2013, no 30, obs. Borga; Bull. Joly Entrep. diff. 2013. 85, note Lisanti; Gaz. Pal. 1er-4 mai 2013, p. 22, obs. Voinot; Rev. proc. coll. 2013, no 95, obs. Dumont-Lefrand; Dr. et patr. sept. 2013. 54, obs. Saint-Alary-Houin.

[7] sur cette nouvelle donne, voir par exemple notre étude Regard notarial sur l’ordonnance du 12 mars 2014 in Defrénois 2014 page 743.

 

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