La mise en réserve des bénéfices par les associés majoritaires, sans distribution de dividendes, peut-elle être contestée ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Destinés à satisfaire l’avidité des associés, ou à récompenser la prise de risque initiale, les dividendes ne sont toutefois pas obligatoirement distribués chaque année, ce qui nourrit des débats réguliers au sein des sociétés, mais les associés peuvent-ils reprocher à la société l’absence de distribution ?

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 30 août 2023, 22-10.108, Inédit

Lorsqu’une société est bénéficiaire, ses associés peuvent percevoir une partie de ses bénéfices sous forme de distribution de dividendes, à charge pour le dirigeant d’arbitrer entre la distribution intégrale ou partielle de ceux-ci.

En effet, la mise en réserve d’une partie des bénéfices peut constituer un reflexe sain pour la pérennité de l’entreprise, mais parfois, réinvestir ou fidéliser les autres associés, il faut choisir.

Pour autant, parfois, la collectivité des associés vote en majorité pour une mise en réserve (systématique) des bénéfices, prenant le parti de la sécurité, ou l’investissement, créant un mécontentement chez certains d’entre eux…

I –

Dans un nouvel arrêt, quoi qu’inédit, la Cour de cassation statut de nouveau sur une mise en réserve critiquée des bénéfices. En effet, la question est régulièrement posée en jurisprudence de déterminer si une thésaurisation de ceux-ci peut constituer un abus.

Les lecteurs de la newsletter Chronos auront d’ores et déjà pris connaissance du dernier arrêt en la matière ( commenté en mai 2022 – https://vivaldi-chronos.com/le-refus-repete-de-distribuer-les-benefices-peut-il-constituer-un-abus-de-majorite/ ), qui considère qu’en l’absence de justification légitime, la mise en réserve pouvait en effet constituer un abus.

Pour mémoire, un abus de majorité (ou de minorité, ou d’égalité) se définit comme un acte remplissant les trois conditions suivantes cumulatives :

  • être contraire à l’intérêt social,
  • prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité
  • au détriment des membres de la minorité.

En l’occurrence, l’un des associés (majoritaire par exemple) peut avoir un intérêt particulier a stopper les distributions de dividendes, mais encore faut-il que cette retenue soit justifiée.

II –

Au cas d’espèce, les actionnaires majoritaires de la société bénéficiaient par leurs fonctions de direction, de rémunérations et/ou avantages dont l’associé minoritaire était privé. Ce dernier considérait que ses coassociés captaient une partie des bénéfices, de manière indirecte, en le laissant sur la touche.

Le minoritaire a donc assigné les parties concernées en abus de majorité pour obtenir l’annulation de la résolution votée en assemblée générale décidant de l’affectation de plus de 500 000 euros aux réserves de la société.

Les juges du fond donnent raison au minoritaire, et considèrent que l’absence de distribution de dividendes constitue une rupture d’égalité dès lors que les deux coassociés, de surcroit majoritaires, bénéficiaient par leurs fonctions, de rémunérations / avantages dont le troisième ne bénéficiaient pas, et qu’en raison de la participation très minoritaire au capital, il se trouvait privé de toute répartition de dividendes.

Il se pourvoit donc en cassation.

La Haute Cour décide toutefois de censurer ses collègues, en considérant qu’ils n’avaient pas constaté que les rémunérations litigieuses ou avantages versés aux actionnaires majoritaires étaient particulièrement injustifiés ou excessifs eu égard aux fonctions qu’ils exerçaient dans la société, en l’occurrence des fonctions de direction.

Ainsi donc, sauf à considérer qu’ils perçoivent une rémunération injustifiée, ou disproportionnée, l’abus de majorité n’est pas caractérisé, et le minoritaire est légitimement privé de ses droits à dividendes.

La captation des bénéfices deviendrait illégitime si les rémunérations/avantages attribués aux majoritaires étaient dépourvus de contrepartie, en l’occurrence, une rétribution disproportionnée au regard des fonctions réellement exercées au sein de la structure.

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