Une société doit-elle bénéficier de l’attribution d’un numéro SIREN pour jouir de la personnalité morale ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, opère un revirement de jurisprudence, en matière d’acte accompli pour le compte d’une société en formation, en considérant désormais que l’attribution d’un numéro SIREN ne sert qu’à l’identification de la société auprès des administrations et de certains organismes.

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 29 novembre 2023, 22-16.463, Publié au bulletin

Dans un arrêt qui reçoit l’honneur de la publication au bulletin, la Chambre commerciale de la Cour de cassation revient sur l’acquisition de la personnalité morale pour une société.

I –

Dans cette affaire, une SCI ( société civile immobilière) est propriétaire d’un bien immobilier.

Elle signe avec une SAS, une promesse de vente et d’achat de ce bien.

Quelques mois plus tard, une ordonnance du juge de l’exécution autorise la SAS à inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur le bien immobilier en garantie d’une créance qui trouverait son origine dans les dommages et intérêts qui seraient dus du fait de la nullité de ladite promesse, pour cause de vice de consentement.

En réaction, la SCI assigne la SAS aux fins de mainlevée de l’inscription d’hypothèque.

Au cours de la procédure, la SCI revendique l’argument tiré de la fin de non-recevoir  suivante : La SAS n’avait pas la qualité à agir puisqu’au jour de la conclusion de la promesse, celle-ci n’avait pas acquis la personnalité morale.

II –

L’article 1842 du Code civil prévoit que les sociétés ne jouissent de la personnalité morale, qu’à compter de l’immatriculation auprès du registre du commerce et des sociétés.

  • La jurisprudence judiciaire est d’ores et déjà intervenue pour considérer que, jusqu’à l’immatriculation effective, la société n’avait pas d’existence en tant que personne, de sorte que les juridictions ont considéré que :
  • Une action en justice intentée par ou contre une société non encore immatriculée était irrecevable (Ex : C.Cass, Com, 20 juin 2006, N°03.15.957).
  • Et par voie de conséquence, qu’une société n’était pas en capacité de contracter tant qu’elle n’était pas encore immatriculée, de sorte que ses engagements conclus en son nom avant, étaient nuls (C.Cass, Com, 10 février 2021, N°19.10.006).

Plus précisément, les juges judiciaires ont d’ores et déjà annulé l’achat d’un bien immobilier par une société non encore immatriculée (Cass, Com, 5 Octobre 2011, N°09.70.571).

La nullité est même considérée par le droit prétorien comme nullité absolue.

Les lecteurs de chronos sauront d’ores et déjà distinguer les nullités absolues et relatives, la première intervenant lorsque la règle violée a pour objet la sauvegarde de l’intérêt général, et la seconde intervenant pour des intérêts privés.

Les articles 1178 et suivant du Code civil prévoient alors que la nullité absolue peut être demandée par toute personne justifiant d’un intérêt, mais ne peut être couverte par la confirmation du contrat.

A contrario, la nullité relative ne peut être demandée que par ceux que la loi entend protéger, et peut être couverte. C’est la tout l’enjeu de la distinction de ces deux formes de nullité.

Les deux chambres de la Cour de cassation avaient un avis distinct sur la possibilité de couvrir l’irrégularité d’une action en justice intentée par ou contre une société.  La Chambre commerciale considèrait que l’irrégularité ne peut être couverte (C.Cass, Com, 21 février 2012, N°10.27.630), alors que la troisième Chambre civile affirmait le contraire si l’immatriculation de la société intervenait avant que le juge ne statue, ce qui entrainerait la reprise des actes litigieux (C.Cass, 3ème Civ, 9 Octobre 1996, N°93.10225).

  • La jurisprudence administrative a adopté une position encore différente en reconnaissant la personnalité « embryonnaire » de la société en formation, ils anticipaient l’acquisition de sa capacité juridique.

Dans cet arrêt, la question est donc posée de nouveau à la Chambre commerciale de la Cour de cassation, laquelle a publié son arrêt au bulletin.

Une société qui ne bénéficie pas de numéro SIREN bénéficie-t-elle de la personnalité juridique ?

III –

La Cour d’appel rejette les demandes formées par la SCI s’agissant de la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir, et refuse de rétracter l’ordonnance autorisant l’hypothèque judiciaire provisoire et sa main levée.

La SCI lui en fait grief, considérant :

« que la personnalité morale ne s’acquiert qu’au jour de l’attribution, à la société en cours de formation, du numéro unique d’identification, cette attribution réalisant l’immatriculation de la société au registre du commerce et des sociétés, laquelle reste en cours de réalisation tant que ce numéro n’a pas été attribué »

La Cour de cassation à son tour déboute la demanderesse au pourvoi, en considérant :

« 5. Selon l’article 1842 du code civil, les sociétés autres que celles en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

6. Il en résulte que l’attribution du numéro « système d’identification du répertoire des entreprises » (SIREN) par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui n’est destiné qu’à l’identification de la société auprès des administrations et des personnes ou organismes énumérés à l’article 1er de la loi n° 94-126 du 11 février 1994, ne conditionne pas l’acquisition de sa personnalité juridique »

Par cet arrêt, la Chambre commerciale décide d’opérer un revirement de sa jurisprudence antérieure, en considérant que l’attribution d’un numéro SIREN ne conditionne pas l’acquisition de la personnalité juridique d’une société.

IV –

L’arrêt objet de cet article fait parti d’un tryptique d’arrêts rendus par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 29 Novembre 2023, venant assouplir la possibilité de reprise des actes par une société en formation.

Avant cette date, la Haute Cour imposait un formalisme strict pour la reprise des actes durant la période de constitution d’une société jusqu’à l’immatriculation effective, ils devaient porter la mention « au nom de » ou « pour le compte de » la société en formation. Désormais, la Haute Cour reconnait l’indispensable appréciation souveraine des juges, par un examen des circonstances, pour déterminer la commune intention des parties.

En interprétant de manière plus souple l’article L210-6 du code de commerce, lequel prévoit que les personnes ayant agit au nom d’une société en formation avant qu’elle ait acquis une personnalité morale, soient solidairement et indéfiniment responsables des actes accomplis si la société, une fois immatriculée si la société ne reprend pas les engagements souscrits, la Haute Cour donne plus de liberté aux juges du fond dans la recherche de cette commune intention en fonction du cas d’espèce.

La société peut donc désormais être engagée en l’absence des mentions « au nom de » ou « pour le compte de », quand bien même celle-ci n’aurait pas encore reçu son numéro d’identification SIREN par l’INSEE.

Enfin, l’apport du troisième arrêt est relatif à l’absence de nécessité pour la société, de présenter exactement les mêmes caractéristiques une fois immatriculée. La validité des actes passés pour le compte de la société en cours de constitution n’implique pas, sauf dol / fraude, que la société effectivement immatriculée ait la même forme, et les mêmes associés que ceux annoncés dans l’acte objet du litige.

Ne ratez plus l’actualité !

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire, personnalisable en fonction des thèmes qui vous intéressent : Baux commerciaux, banque, sociétés, immobilier, ressources humaines, fiscalité… tout y est ! 

Print Friendly, PDF & Email
Partager cet article