La demande de rétractation formulée à l’encontre d’une ordonnance d’ajournement d’une assemblée générale suffit-elle pour permettre au dirigeant à reconvoquer ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Dans un contexte de conflit d’associés important, les juges girondins interviennent dans un contentieux relatifs à l’ajournement d’une assemblée générale de SAS afin de déterminer si une demande de rétractation formulée à l’encontre d’une ordonnance de référé suffit à en suspendre ses effets.

 CA Bordeaux, 4e ch. com., 10 janv. 2023, n° 22/01177.

I –

Tout actionnaire peut demander au juge l’ajournement d’une assemblée générale, cette initiative semble être ouverte à tout intéressé, à l’exception de celui étant à l’origine de la convocation.

La décision du juge relève de son pouvoir souverain d’appréciation, qui doit rechercher des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsqu’un des associés invoque des manquements graves à l’information pour une opération soumise à leur vote, ou en cas de de dissolution proposée au vote.

Si le juge autorise l’ajournement, les associés doivent être informés suivant les mêmes modalités que la convocation elle-même (parallélisme des formes).

Les effets de cette décision sont simples : l’ajournement renvoie la tenue de l’ AG à une autre date, mais avec le même ordre du jour. Les convocations doivent donc être renvoyées aux associés.

En cas de modification de l’ordre du jour, il faudra par ailleurs respecter les délais applicables en assemblée réunie sur première convocation, puisque le juge n’a pas la faculté d’y déroger en fixant un délai différent.

Et si les associés se réunissent quand même ?

L’assemblée générale serait irrégulière, et pourrait être annulée par saisine du juge.

C’est l’objet du présent contentieux.

II –

Une SAS est composée de deux associés (51% – 49%), l’actionnaire majoritaire étant par ailleurs Président.

Des divergences opposent les coactionnaires, puisque le Président engage une action en référé en résiliation d’un contrat de licence de marque conclu entre la SAS, et la société contrôlée par le minoritaire.

Peu après, le Président convoque l’assemblée générale ordinaire d’approbation des comptes laquelle avait par ailleurs pour ordre du jour, la modification des statuts. En effet, les statuts sociaux imposaient une majorité de 75 % des voix pour autoriser la résiliation d’un tel contrat, et le Président souhaitait l’abaisser à 50% afin de lui permettre de voter lui seul à la majorité.

Le juge des référés est saisi d’une demande d’ajournement de cette assemblée générale.

La difficulté est que, les convocations de l’assemblée générale étaient d’ores et déjà adressées depuis +15 jours, lorsque le juge rend son ordonnance sur requête.

La particularité des ordonnances sur requête, différente des ordonnances rendues sur assignation des parties, est que de déroger au principe du contradictoire, en ce sens que le(s) défendeur(s) ne seront pas appelé à la procédure afin d’invoquer des arguments de défense. Seul le demandeur convainc le juge d’agir ou non.

La procédure n’était donc pas contradictoire, mais in extremis, le minoritaire réussit à faire signifier l’ordonnance du Président du Tribunal de commerce au Président, avant l’AG. Celle-ci est donc immédiatement ajournée.

Le juge avait ordonné l’ajournement de cette AG, ainsi que toutes celles ayant le même ordre du jour, jusqu’à la décision qui devait intervenir sur la résiliation dudit contrat…

Pour autant, le Président convoque promptement une nouvelle assemblée générale, qui s’est tenue (i) la veille de l’audience de plaidoirie, et (ii) en l’absence du minoritaire (qui n’y avait volontairement pas participé), avec presque le même ordre du jour : Approbation des comptes sociaux, modification des statuts envisagée, et de surcroit, une augmentation de capital.

C’est la raison pour laquelle le Président a été assigné par l’actionnaire minoritaire, afin d’obtenir l’annulation de cette seconde assemblée générale, et des délibérations approuvées par le majoritaire uniquement.

III –

Les premiers juges donnent raison à l’actionnaire minoritaire, et décident d’annuler intégralement l’AG réunie sur seconde convocation, pour avoir été tenue en violation de l’ordonnance de référé prononçant l’ajournement de cette assemblée générale, et ce, malgré la demande reconventionnelle du Président, de sursoir à statuer le temps d’obtenir le délibéré relatif à sa demande de rétractation de l’ordonnance.

Le majoritaire leur en fait grief, et interjette appel au motif que l’ordonnance d’ajournement avait bel et bien été respectée, puisque la première assemblée n’avait pas été tenue, et que surtout, une demande de rétractation de l’ordonnance était encore en cours… Par ailleurs, l’annulation ne pouvait concerner l’intégralité des résolutions votées puisque l’ordonnance ne concernait que 7 résolutions sur les 17 votées.

Or, l’ordonnance était exécutoire sur minute, c’est-à-dire immédiatement.

Elle permettait d’ajourner toutes les assemblées générales ayant le même ordre du jour, jusqu’au prononcé d’une décision définitive à intervenir dans la procédure pendante devant le juge des référés.

La Cour d’Appel indique même que :

« Leur argumentation, selon laquelle l’ordonnance a été respectée puisque l’assemblée générale du 15 février 2018 ne s’est pas tenue et que cette ordonnance ne pouvait s’appliquer à une autre assemblée générale puisqu’une demande de rétractation était en cours, est inopérante et empreinte de mauvaise foi dans la mesure où l’ordonnance rendue sur requête est exécutoire au seul vu de la minute tant qu’elle n’a pas été rétractée, et que la demande de rétractation a été formée postérieurement, le 12 mars 2018, de sorte c’est à bon droit que le tribunal a rejeté leur demande de sursis à statuer jusqu’à la décision (qui les a d’ailleurs déboutés le 12 juin 2018) ».

Les juges du second degré relèvent également, que l’ordonnance avait été rendue dans un contexte de mésentente aigue entre associés, et que l’ajournement avait pour objectif premier  de suspendre l’éventuelle résiliation unilatérale du contrat avant que les juges du fond ne soient intervenus.

La simple demande de rétractation ne suffisait donc pas à autoriser le Président de la SAS à écarter l’ordonnance d’ajournement de l’assemblée générale, qui s’applique immédiatement.

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