La Cour de cassation vient de juger qu’un salarié soumis à une convention en forfait en jours dont il ne conteste pas la validité ne peut pas réclamer le paiement en heures supplémentaires du temps de travail qu’il a presté le dimanche[1].
On ne peut qu’approuver cette décision.
Un salarié qui était soumis à une convention annuelle de forfait en jours dont il ne contestait pas la validité avait saisi le juge prud’homal d’une demande de rappel d’heures supplémentaires en contrepartie d’heures prestées le dimanche.
Préalablement à l’analyse de cet arrêt, celui-ci nous permet de faire un bref rappel liminaire sur le mécanisme et les enjeux de la convention annuelle de forfait en jours.
- Mécanisme du forfait jours
Pour rappel, la convention forfait jours définit la durée de travail d’un salarié en fixant un nombre de jours travaillé sur une année.
Classiquement, le nombre de jours est fixé à 218 jours par an.
Certains accords ou conventions collectifs peuvent prévoir un nombre de jour inférieur : 217, 214, etc…
Pour comptabiliser les jours travaillés sur une année, le calcul se fait comme suit :
365 (ou 366 jours) – [nb de congés payés + jours fériés + 47 week-ends + RTT]
Les « RTT » (jours de repos en plus des congés, des repos hebdomadaires et des jours fériés) est donc la variable d’ajustement suivant que l’on se trouve en année bissextile ou si un jour férié tombe un dimanche pour faire en sorte qu’à la fin de l’année, les jours travaillés par le salarié correspondent au nombre de jours défini dans la convention annuelle de forfait en jours stipulée dans le contrat de travail.
- Les enjeux du forfait jours
La convention annuelle forfait en jours fait couler beaucoup d’encre depuis une décennie.
On connaît désormais bien le contentieux lié à la validité de la convention annuelle de forfait en jours.
En effet, la Cour de cassation a rappelé, dans plusieurs arrêts, les exigences conditionnant la validité d’une convention annuelle de forfait en jours :
- La convention annuelle de forfait en jours doit être expressément prévue au contrat de travail ou dans un avenant (il convient donc qu’elle soit individuelle et que le salarié ait donné expressément son accord pour définir sa durée de travail en forfait annuel en jours)[2]
- La possibilité de conclure une convention annuelle de forfait en jours doit obligatoirement être prévue dans un accord d’entreprise ou une convention collective[3].
- La convention annuelle de forfait en jours doit viser exclusivement les salariés et les cadres autonomes dans l’organisation de leur temps de travail[4]
- Dès lors que la convention forfait jours s’inscrit dans le Livre II du Code du travail, l’accord d’entreprise ou la convention collective qui ouvrent la possibilité de conclure une convention annuelle en forfait jours doit définir les garanties assurant le respect du temps de repos et donc le respect des durées maximales de travail (un maximum de 48 heures travaillées sur une semaine ou 44 heures sur 12 semaines consécutives, une durée journalière de travail maximum de 10 heures, 11 heures de repos obligatoire entre deux journées et une journée de repos par semaine, soit 35 heures de repos continu sur une semaine – suite à ces arrêts, la Loi du 8 août 2016 a instauré l’article L.3121-62 du Code du travail qui prévoit que les salariés soumis au forfait jours ne sont pas soumis aux durées maximales hebdomadaires et journalières de travail ; restent donc le repos obligatoire de 11 heures entre deux journées et le repos hebdomadaire)[5] ;
Les garanties à prévoir sont : un entretien spécifique au moins une fois par an sur la charge de travail et la compatibilité entre la charge de travail et la vie de famille – un décompte mensuel des jours travaillés et des jours de repos suffisamment précis pour apprécier les amplitudes de travail.
Sur cette dernière exigence, bon nombre de conventions collectives et accords d’entreprises ont été jugés comme insuffisants quant aux garanties prévues pour assurer le respect du temps de repos (la dernière en date : convention collective nationale des commerces de détail non alimentaires du 9 mai 2012[6]).
Incidemment, les conventions individuelles de forfait en jours qui avaient été stipulées en application de ces accords collectifs étaient jugées nulles.
Les conséquences financières étaient lourdes pour les employeurs.
En effet, dès lors que les conventions annuelles forfait en jours étaient jugées nulles, il était appliqué la durée légale de travail, soit 35 heures par semaine.
Les salariées pouvaient donc réclamer le paiement des heures prestées au-delà de 35 heures par semaines, l’indemnisation du préjudice subi du fait du non-respect des temps de repos voire une indemnité pour travail dissimulée à hauteur de 6 mois de salaire.
Suite à ces nombreux arrêts de la Cour de cassation visant telle ou telle convention collective, au regard des enjeux financiers, les partenaires de branche ou les partenaires sociaux dans les entreprises se sont empressés de conclure des avenants venant pallier les carences des accords et conventions initiaux en prévoyant l’encadrement des conventions annuelles de forfaits en jours par des décomptes mensuels et des entretiens annuels spécifiques sur la charge de travail.
De plus, l’Ordonnance MACRON de septembre 2017 a prévu que le contrat de travail et la convention individuelle de forfait en jours pouvaient pallier les carences des accords ou conventions collectifs en prévoyant l’encadrement du forfaits jours par les décomptes mensuels et les entretiens (au moins une fois par an) spécifiques sur la charge de travail.
Il en résulte qu’aujourd’hui, sauf exception, sur la question de la validité de la convention forfait jours, le contentieux s’est essentiellement resserré sur la question de l’autonomie effective des salariés et cadres soumis au forfait jours et sur le caractère individuel des conventions forfaits jours appliqués au salarié.
A côté de ce contentieux, reste la question de l’opposabilité de la convention annuelle de forfait en jours.
En effet, la Cour de cassation a jugé qu’il n’était pas suffisant que la convention annuelle de forfait en jours soit régulière, l’employeur devant mettre effectivement en place dans l’entreprise les garanties prévues à savoir décomptes mensuels et entretiens spécifiques[7].
A défaut de mise en place effective de ces garanties (à noter qu’il reste à notre sens une zone d’ombre et d’attention sur les décomptes mensuels mis en place et la manière avec laquelle ils permettent à l’employeur de s’assurer du respect des repos obligatoires et plus particulièrement des 11 heures de repos entre deux journées), les sanctions sont les mêmes que l’annulation des convention annuelles de forfait en jours : heures supplémentaires prestées au-delà de la durée légale de travail, indemnisation du non-respect du temps de repos, indemnité pour travail dissimulé.
Le contentieux sur la question de l’opposabilité de la convention annuelle de forfait en jours reste encore très présent puisqu’il est à remarquer que beaucoup d’employeurs omettent la mise en place effective des garanties susvisées.
Néanmoins, on rappellera qu’il ne suffit pas aux salariés de démontrer la nullité ou l’inopposabilité de la convention forfait jours pour obtenir un rappel d’heures supplémentaires ; en effet, il appartient aux salariés de justifier, par des éléments probants et suffisamment précis, des heures prestées et sur la base desquelles ils sollicitent le paiement d’heures supplémentaires[8].
La charge de la preuve des heures supplémentaires ne pesant pas exclusivement sur le salarié, il appartient à l’employeur d’apporter des éléments qui permettent de discuter des heures présentées comme étant prestées par le salarié. On notera qu’il s’agit là d’un exercice bien difficile puisque la Cour de cassation a pu rappeler que l’employeur avait une obligation de mettre en place des outils de contrôle du temps de travail pour les horaires individualisés. Or, par définition, dans le cadre de l’application du forfait jours, l’employeur n’a pas mis en place de tels outils de contrôle puisque le salarié était au forfait jours[9]…
On rappellera également que la mise en place effective des garanties encadrant le forfait jours n’est pas suffisante puisqu’il appartient à l’employeur de tirer les enseignements des entretiens et des décomptes mensuels et de mettre en place des mesures correctrices s’il constate que la charge de travail du salarié est excessive et n’est pas en mesure de garantir le respect du temps de repos du salarié.
- La portée de l’arrêt du 21 septembre 2022
En l’occurrence, dans l’arrêt du 21 septembre 2022, le salarié ne remettait en cause ni la validité de la convention ni son opposabilité.
Il se limitait à solliciter le paiement d’heures supplémentaires en rémunération d’heures travaillées certains dimanches alors que par définition, le dimanche est le jour de repos hebdomadaire et que, comme ci-dessus rappelé, les salariés au forfaits jours restent soumis au repos obligatoire (11 heures de repos entre deux journées et un jour de repos par semaine – 35 heures continues – qui doit, sauf exception liée à la branche d’activité, correspondre au dimanche).
Dans son pourvoi, le salarié soutenait que le non-respect des règles relatives au repos hebdomadaire prévu aux dispositions des articles L.3132-1 à L 3132-3 du Code du travail conduisait à considérer que les heures de travail accomplies en violation de ces dispositions échappent aux règles du forfait et doivent être considérées comme des heures supplémentaires et rémunérées comme telles.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi. Ainsi, elle a jugé que le salarié soumis à une convention de forfait en jours dont il ne conteste pas la validité ne peut pas réclamer le paiement d’heures supplémentaires. Ainsi, le non-respect par l’employeur du repos dominical d’un salarié soumis à une convention de forfait en jours ne peut pas conduire à considérer que les heures effectuées le dimanche sont des heures supplémentaires échappant aux règles du forfait.
La solution de la chambre sociale de la Cour de cassation ne peut qu’être approuvée.
En effet, la convention de forfait en jours est, lorsqu’elle est valide, étrangère à tout décompte horaire de la durée du travail.
La Cour avait déjà eu l’occasion de le rappeler pour les salariés soumis à une convention dont le nombre de jours sur l’année est inférieur à 218 jours en jugeant que les intéressés ne sont pas des salariés à temps partiel.
Ceci étant, il convient de noter que les demandes présentées par le salarié étaient bien mal formulées.
En effet, le salarié aurait pu (du ?) demander, en cas de dépassement du nombre de jours prévus dans le forfait, le paiement des jours excédentaires avec application :
- du taux de majoration – d’au moins 10 % – prévu par l’avenant à sa convention individuelle si la possibilité de racheter des jours de repos non pris était convenue avec l’employeur.
- d’un taux de majoration fixé par le juge – dans le respect du minimum de 10 % – en l’absence d’accord entre salarié et employeur sur la possibilité pour le salarié de racheter des jours.
Le salarié aurait pu également se prévaloir de la violation des dispositions légales relatives au repos dominical pour réclamer des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.
[1] Cass. soc., 21 septembre 2022, n° 21-14.106
[2] Article L.3121-55 du Code du travail ; Cass. soc., 4 novembre 2015, n° 14-10.419
[3] Cass. soc., 19 septembre 2012, n° 11-19.016 ; Cass. soc., 9 mai 2018, n° 16-26.910)
[4] Article L. 3121-56 du Code du travail
[5] Cass. soc., 5 octobre 2017, n° 16-23.106 ; Cass. soc., 17 janvier 2018, n° 16-15.124 ; Cass. soc., 8 septembre 2016, n° 14-26.256
[6] Cass. soc., 14 décembre 2022, n° 20-20.572
[7] Cass. soc., 2 juillet 2014, n° 13-11.940 ; Cass. soc., 22 juin 2016, n° 14-15.171
[8] Cass. soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919 ; Cass. soc., 8 juillet 2020, n° 18-26.385 ; Cass. soc., 27 juillet 2021, n° 17-31.046