Le caractère inéluctable d’infiltrations ne permet pas de caractériser un désordre de nature décennale

Amandine Roglin
Amandine Roglin

La circonstance selon laquelle des défauts d’étanchéités produiront de manière inéluctable des dégâts des eaux dans les pièces habitables d’une maison ne permet pas de caractériser un désordre de nature décennale dès lors qu’il n’est pas démontré que ces désordres apparaîtront de manière certaine dans le délai d’épreuve.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 21 septembre 2022, 21-15.455

I –

Un couple a confié des travaux de rénovation, d’aménagement et d’agrandissement de leur maison, et notamment la réparation et la modification de la couverture, à un entrepreneur.

Arguant de désordres qui seraient survenus après réception, les maîtres d’ouvrage ont assigné, après expertise, l’entrepreneur en réparation de leurs préjudices.

II –

En cause d’appel, le constructeur est condamné, la Cour ayant retenu que les malfaçons dont elle avait constaté l’existence constituaient des dommages au sens de l’article 1792 du code civil, l’ouvrage exécuté par l’entreprise « n’assurant pas, dès sa pose, le clos et le couvert » et que « la mauvaise exécution réalisée par l’entreprise [K] n’en cause pas moins un dommage qui compromet la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rend impropre à sa destination »

Le constructeur a formé un pourvoi en cassation.

Il était reproché à l’arrêt d’avoir statué ainsi alors que la Cour avait par ailleurs souligné que l’expert ne constatait aucun désordre engendré par les défauts d’étanchéité qu’il avait relevés, avant de conclure à « l’absence de désordres constatés, touchant à l’étanchéité ».

III –

La Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt rendu par la Cour d’Appel en ces termes :

« Vu l’article 1792 du code civil :

Aux termes de ce texte, tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination.

Pour condamner M. [K] au titre de la garantie décennale, l’arrêt retient que l’expert a constaté des désordres d’exécution caractérisés en ce qui concerne la couverture de la maison, que la précocité de l’action des maîtres de l’ouvrage explique que des désordres dus aux défauts d’étanchéité de la toiture n’aient pas été constatés largement au moment de l’expertise et que la mauvaise réalisation de la toiture n’en cause pas moins un dommage qui compromet la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rend impropre à sa destination, dès lors que l’expert conclut que, compte tenu des non-conformités relevées, il est certain que des défauts d’étanchéité avec dégâts des eaux dans les pièces habitables apparaîtront inéluctablement lors des pluies intenses avec bourrasques de vent.

En statuant ainsi, sans constater que les désordres devaient atteindre de manière certaine, dans les dix ans après la réception de l’ouvrage, la gravité requise pour la mise en œuvre de la garantie décennale, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

IV –

Cet arrêt est conforme à la jurisprudence en la matière laquelle exige de manière constante que les désordres revêtent le caractère décennal requis de manière certaine dans le délai d’épreuve.

Cette exigence stricte tranche avec la position des juridictions administratives qui retiennent la responsabilité décennale du constructeur dès lors qu’il est prouvé que le désordre sera, à terme, suffisamment grave (CE, 31 mai 2010, n° 317006).

La position de la Cour de cassation doit pousser les personnes débitrices de la garantie décennale à inviter l’expert judiciaire à se positionner sur le caractère certain de la survenance de désordres de nature décennale dans le délai d’épreuve, ce qui n’est pas toujours aisé, surtout lorsque l’action est introduite de manière précoce, comme en l’espèce, l’expert n’étant pas toujours en mesure d’anticiper ces événements qui peuvent se produire à plus ou moins long terme.

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