Une troisième condamnation pour Apple au titre de sa clause d’anti-steering

Thomas Chinaglia

L’analyse conjointe de la décision Spotify de la Commission européenne (4 mars 2024), du jugement californien (30 avril 2025) et de la première sanction au titre de l’article 5(4) du DMA (23 avril 2025) montre qu’Apple persistait à imposer sa clause d’anti‑steering, révélant un esprit infractionnel persistant malgré l’évidence de son illégalité.

Comm. UE, 23 avr. 2025, DMA.100109

I –

Après des années de relative tranquillité, Apple fait face à plusieurs sanctions en Europe et aux États-Unis pour sa clause d’anti‑steering, qui limite la liberté des éditeurs d’applications de proposer des offres hors‑App Store.

La Commission européenne a condamné Apple le 23 avril 2025 à 500 millions d’euros pour violation de l’article 5(4) du DMA, tandis qu’un jugement californien du 30 avril 2025 a ordonné la suppression de cette clause et de toutes commissions ou restrictions imposées aux éditeurs.

Ces décisions confirment la ligne de défense très confrontationnelle d’Apple, qui dénie pratiquement toute légitimité aux contraintes réglementaires, et illustrent comment la société persiste dans un comportement jugé illégal malgré les sanctions antérieures, notamment la sanction Spotify de 2024 (1,8 milliard d’euros).

Pour rappel, le DMA, ou Digital Markets Acte (Règlement UE 2022/1925), est une loi européenne adoptée en 2022 visant à encadrer les grands acteurs numériques dits « gatekeepers » (portails, plateformes ou écosystèmes ayant un pouvoir de marché significatif).

II –

Dès l’examen des faits, il est particulièrement révélateur de constater que, selon la décision de la Commission, Apple a fait le choix, dès le départ et de manière systématique, de ne pas se conformer au DMA en matière d’interdiction de la clause d’anti‑steering. Ce refus s’est concrétisé par le maintien de ses conditions générales initiales incluant cette restriction, position qu’Apple n’a d’ailleurs pas contestée au cours de la procédure DMA ayant conduit à la décision du 23 avril 2025.

La décision montre qu’alors même qu’Apple venait d’être sanctionnée pour cette clause sous l’angle du droit de la concurrence, l’entreprise a volontairement « respecté » le DMA tout en conservant ses conditions générales illégales. Elle a même ajouté de nouvelles conditions, non cumulatives, introduisant de nouvelles restrictions sur l’anti‑steering ainsi que des dispositions spécifiques au secteur du streaming musical imposant des commissions et limitations supplémentaires.

Ainsi, à la date d’entrée en vigueur pleine et entière du DMA en Europe, le 7 mars 2024, Apple a présenté un ensemble de conditions générales mutuellement exclusives, dans lequel les infractions déjà sanctionnées étaient maintenues et de nouvelles étaient créées, en dépit de l’article 5(4) du DMA, qui cible précisément ces pratiques.

Une enquête de la Commission sur ces conditions a été ouverte très rapidement, dès le 24 mars 2024, mais il a fallu près d’un an pour qu’Apple soit sanctionné. Entre-temps, en août 2024, Apple a soumis à la consultation publique un nouveau jeu de conditions générales qu’elle n’a jamais appliquées, et que la Commission a choisi de ne pas examiner dans sa décision finale.

III –

Dans sa décision, la Commission européenne a analysé en détail les conditions générales imposées par Apple et a relevé plusieurs pratiques contraires au DMA. Apple n’a pas contesté que ses conditions initiales violaient le règlement, aggravant ainsi la gravité de l’infraction.

Pour les nouvelles conditions, Apple a imposé des commissions cumulatives sur les applications et des taux allant jusqu’à 27 % pour le streaming musical, ce qui a été jugé anticoncurrentiel. Elle a également restreint les liens externes au site de l’éditeur et imposé le design et la formulation d’une fenêtre pop-up, destinée à avertir l’utilisateur, ce qui a été considéré comme non neutre, alarmant et limitant inutilement l’accès aux offres hors-app.

La Commission a souligné que le problème n’était pas l’existence de la fenêtre elle-même, mais la manière dont Apple en contrôlait l’affichage et le contenu, renforçant sa position au détriment des éditeurs et des utilisateurs. Ces pratiques rappellent des décisions récentes de l’Autorité de la concurrence et de la CNIL sanctionnant Apple pour des dispositifs similaires liés à la protection des données.

La décision de la Commission révèle qu’Apple a tenté de contester la notion de gratuité et de jouer sur les ambiguïtés du DMA pour justifier sa clause d’anti‑steering, argument déjà rejeté par la juge américaine Gonzalez Rogers, qui avait exigé une suppression immédiate des frais aux États-Unis.

En Europe, la Commission a ordonné à Apple de se conformer à l’article 5(4) du DMA sous 60 jours, ce que l’entreprise a fait en modifiant ses conditions générales en juin 2025. Toutefois, ces nouvelles conditions maintiennent encore des commissions et restrictions, et feront l’objet d’une refonte complète en janvier 2026, compliquant l’évaluation de leur conformité et laissant persister, selon la Commission, un comportement potentiellement illégal, comme le confirment trois décisions en moins de deux ans.

IV –

Face à la persistance d’Apple dans des pratiques illicites, la juge américaine a rendu un jugement sévère, soulignant le caractère délibéré des agissements de l’entreprise, tel que mis en évidence par les documents obtenus lors de la procédure de discovery. La juge a notamment relevé que chaque fois qu’Apple avait la possibilité de modifier son comportement, la société choisissait systématiquement l’option la plus anticoncurrentielle, une décision souvent validée au plus haut niveau de la direction, notamment par Tim Cook, qui aurait par exemple approuvé l’application d’une commission à 27 %.

La Commission européenne, plus tempérée, a estimé que le comportement d’Apple constituait une infraction « au moins par négligence », dans la mesure où l’entreprise n’a même pas modifié ses conditions générales originelles, ce qui a potentiellement impacté un grand nombre d’éditeurs d’applications en Europe. Sur cette base, la Commission a retenu qu’Apple avait commis une infraction sérieuse au DMA, infraction que l’entreprise conteste, défendant notamment qu’aucune sanction financière ne devrait lui être imposée, malgré un chiffre d’affaires annuel de 360 milliards de dollars et la plus forte capitalisation boursière au monde.

La Commission a toutefois relevé une circonstance atténuante liée au caractère récent et innovant du cadre juridique qu’est le DMA. Apple a fait appel de cette décision, estimant que l’amende et les conclusions de la Commission excèdent ce que la loi impose, laissant l’affaire ouverte pour la suite.

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