Source : CA PARIS, P5 – CH 4, 05 janvier 2022 n° 20/00737
I – UN PROCES FLEUVE QUI OPPOSE PRINCIPALEMENT DEUX FRANCHISEURS AU MINISTRE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES, LEQUEL Y A ASSOCIE, COMME CELA DEVIENT (UN MALHEUREUX) L’USAGE, DIVERS FRANCHISES QUI, POUR PARTIE D’AILLEURS ONT VU LEUR INTERVENTION VOLONTAIRE DECLAREE IRRECEVABLE.
Et, comme à son habitude, la Chambre spécialisée a dû répondre dans un Arrêt fleuve de soixante-quinze pages à divers moyens qui, pour l’essentiel, ont été rejetés, à l’exception du caractère apparemment déséquilibré de la clause d’intuitu personae introduite dans le contrat de franchise pesant sur la seule « tête » du franchisé sanctionné au regard de l’ancien article L.442-6, I, 2° du Code de Commerce devenu, depuis, l’article L.442-1 du même Code.
L’affaire qu’avait à trancher, la Cour, opposait principalement la franchise DOMINO’S et les franchisés de la société qu’elle avait rachetée, PIZZA SPRINT, avec pour projet de l’acquéreur de transformer les franchisés PIZZA SPRINT en franchisés DOMINO’S. Les franchisés qui s’opposaient à cette transformation ont saisi la DGCCRF laquelle a examiné une nouvelle convention et a tenté, sous le mandat du Ministre de l’Economie d’obtenir l’annulation de certaines clauses des anciens et même du nouveau contrat de franchise.
Les demandes étant nombreuses, CHRONOS se contentera d’examiner la partie de la décision (ci-après : « l’Arrêt ») concernant la clause d’intuitu personae, dont le caractère déséquilibré a vraisemblablement emporté le choix des Magistrats ayant rédigé l’Arrêt, quant à l’importance de la sanction : 500 000 € d’amende civile et surtout de la publication de la décision sur les sites internet des franchiseurs, ainsi que dans les principaux journaux nationaux.
A cet égard, la Cour constate « que la clause d’intuitu personae figurant au contrat de franchise PIZZA SPRINT est rédigé en considération de la personne du franchisé. Elle rappelle l’impossibilité de cession ou de transmission du contrat, sans l’accord préalable et express du franchiseur. Cette clause prévoit également l’obligation du franchisé et le droit du franchiseur (…) », sont ensuite décrites les situations dans lesquelles toute modification dans la géographie du capital social permet aux franchiseurs de s’opposer à la cession ou, à défaut, prononcer la résiliation anticipée avec les sanctions y attachées du contrat de franchise.
L’Arrêt relève encore que « la clause d’intuitu personae n’est prévue qu’au seul bénéfice du franchiseur. Or, l’économie du contrat de franchise PIZZA SPRINT, comme de tout contrat de franchise, suppose également une prise en considération du franchiseur par le franchisé qui a fait choix de rejoindre le réseau sur la base d’un certain nombre de critères, tels que le concept de franchise, de la notoriété de la marque, de la solidité de la tête de réseau, des perspectives de développement de l’enseigne. Aussi, sans qu’il y ait nécessairement un changement de la personne morale, un changement dans la structure de l’actionnariat du franchiseur ou un changement du dirigeant sont de nature à avoir également une incidence sur ces critères de choix du franchisé, tel que le rachat par un réseau concurrent et de bouleverser l’équilibre de son équilibre de son entreprise, ce qui d’autant plus problématique dans le cas, où, en l’espèce, le franchisé ne peut résilier le contrat à son initiative sans frais ».
Et la Cour de considérer que l’intuitu personae « unilatéral », « en ce qu’elle permet au franchiseur de décider de la fin anticipée du contrat de franchise, sans frais pour tout projet ayant une « incidence » sur la répartition actuelle du capital ou de celui du principal actionnaire, ou dans l’identité du dirigeant du franchisé et en ce qu’elle ne prévoit pas la réciprocité pour le franchisé, crée un déséquilibre significatif entre les droits du franchiseur et les obligations du franchisé ».
Si l’on peut admettre la nécessité de clarifier, au regard notamment de l’intuitu personae, les relations entre franchiseur et franchisé, le chemin qu’emprunte l’Arrêt va à contresens de l’idée qu’il veut défendre (II) en adoptant une sanction basée sur le déséquilibre significatif, sans retenir, préalablement, l’existence d’un contrat d’adhésion dont la démonstration semble, à notre avis, difficile à apporter, s’agissant d’un contrat de franchise (III).
II – DE L’INTUITU PERSONAE DANS LES CONTRATS DE FRANCHISE
II – 1. L’intuitu personae est-il dans la nature du contrat de franchise, ou doit-il être stipulé ?
A lire l’Arrêt, la réponse est évidente. L’intuitu personae est dans la nature du contrat de franchise, il est susceptible d’être opposé indistinctement par le franchiseur et le franchisé. Si l’on admet cette norme, la question qui vient naturellement à l’esprit est pourquoi, la Cour prononce-t-elle, l’annulation de la stipulation litigieuse permettant au franchisé de se libérer de la clause d’intuitu personae là où la logique aurait dû conduire, si ce n’est les parties au litige, au moins la Cour, à considérer que le changement dans le contrôle du franchiseur, permettait au franchisé, par la réciprocité de la notion d’intuitu personae à se libérer, par anticipation, du contrat de franchise.
C’est l’un des aspects sur lequel le raisonnement de l’Arrêt pêche, laissant, en définitive, encore la place aux débats sur la circulation du contrat de franchise.
En effet, le contrat de franchise est susceptible de circuler à l’initiative du franchiseur ou du franchisé, dans diverses hypothèses, comme la cession du contrat, le changement de contrôle de la société du franchiseur ou du franchisé, là encore par des cessions de titres, scission, apport partiel d’actifs, fusion-absorption, etc.
Cette circulation pourrait être soumise à des conditions selon la qualification du contrat retenu :
Si la franchise n’est pas, par nature, un contrat intuitu personae, alors, sauf stipulation contraire, le contrat pourra circuler librement sans contrainte ;
Dans le cas contraire, et même en l’absence de stipulation expresse, le contrat de franchise qualifié par nature d’intuitu personae ne pourra circuler sans l’accord des parties.
Sur la nature de ce contrat, Doctrines et Jurisprudences émettent des avis divergents.
Ainsi, sans que ces exemples ne soient limitatifs :
La Cour de Cassation a-t-elle jugé, à propos de changement dans le contrôle d’une société[1], dans un litige portant sur un contrat de distribution exclusif, tout en reconnaissant le caractère intuitu personae du contrat que celui-ci, en raison « du principe d’autonomie de la personne morale » et en l’absence de stipulation contractuelle, ne pouvait être considéré ab initio comme ayant été conclu en considération de la personne des actionnaires et du dirigeant (les deux ayant changé) ;
A l’inverse, la même Chambre Commerciale avait, en 2008[2], jugé que la transmission du contrat de franchise par fusion absorption ou par l’effet d’un apport partiel d’actifs impose l’accord du franchisé, lorsque la convention stipule que le contrat de franchise est « conclu en considération de la personne du franchiseur » ;
En revanche, pour la Cour de VERSAILLES, qui avait à statuer sur la possibilité, s’agissant de transmettre au visa de l’article L.642-7 du Code de Commerce, un contrat de franchise en cours au cessionnaire des actifs de la procédure collective[3] que « le contrat de franchise fait partie des contrats en cours, susceptibles d’être transférés sans accord préalable du cocontractant franchisé », réduisant à portion congrue l’intuitu personae ;
Pour la Cour d’Appel d’ORLEANS, en revanche, le contrat de franchise « est en effet, incessible par nature, sauf à méconnaître son objet que celui-ci étant la mise à disposition d’un savoir faire original, substantiel et secret du franchiseur, qu’il est, par hypothèse, seul en mesure de transmettre, il est impossible que le franchisé se soit engagé en considération de la personne du franchiseur, seul le créateur et détenteur du savoir faire qui leur transmet (…) qu’il puisse être lié un nouveau franchisé sans nouvel accord de volonté de leur part »[4] ;
Chorus, la Cour d’Appel de LIMOGES[5] admet qu’un intuitu personae réciproque existe dans le contrat de franchise[6], cela découle « de l’objet même de la franchise, la mise à disposition de l’expérience du franchiseur (…) ». Ainsi, la juridiction du second degré fait-elle de l’intuitu personae une notion objective découlant de la nature du contrat et non de la volonté des parties, alors que certains Juges admettent qu’on peut stipuler que le contrat n’est pas conclu intuitu personae à l’égard du franchiseur[7] à l’inverse de ce qu’a statué la Cour d’Appel de PARIS.
Ce panégyrique, au demeurant incomplet, reconnait, dans tous les cas, un fonds d’intuitu personae du contrat de franchise plus ou moins important selon les Juridictions saisies du litige. Pour les plus perméables à l’intuitu personae, celui-ci transcendera les stipulations du contrat, même confronté à sa cession dans le cadre de la liquidation des actifs du franchisé ou du franchiseur, pour d’autres, l’intuitu personae doit être interprété à l’aune de la convention des parties.
Nous partageons, l’avis du Professeur Nicolas DISSAUX[8], selon lequel « la personne du franchisé détermine le consentement du franchiseur et justifie des clauses par lesquelles celui-ci se réserve le droit de regard en cas de cession de parts constituant le capital social de son partenaire, de même la personne du franchiseur détermine le consentement du franchisé » et ce à raison de l’objet même du contrat qui est le partage d’un savoir faire secret et substantiel, ce qui suppose la reconnaissance, par nature, du caractère intuitu personae du contrat de franchise.
Partant de ce principe, détruire l’intuitu personae auquel doit répondre contractuellement le franchisé par le déséquilibre significatif revient, comme il a été dit plus haut, à redonner une liberté de circulation du contrat de franchise, contraire même à l’esprit du contrat. Il existait, vraisemblablement, d’autres chemins à explorer, comme le manquement du franchiseur à son obligation de loyauté ou l’abus de droit de ne pas agréer[9]. Mais ce qui est encore plus surprenant, dans cette décision, est la reconnaissance d’un déséquilibre significatif dans un contrat de franchise, sans avoir, préalablement, qualifié le contrat d’adhésion.
III – LE CONTRAT DE FRANCHISE PEUT-IL ETRE UN CONTRAT D’ADHESION
Le contrat d’adhésion est défini à l’article 1110 alinéa 2 nouveau issu de l’Ordonnance de 2016 comme suit :
« Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales soustraites à la négociation sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».
La preuve du contrat d’adhésion peut être rapportée par la présomption du faisceau d’indice admis dans les décisions suivantes :
La position du distributeur sur le marché lui conférant une puissance de négociation incontestable[10];
La sous-mission des fournisseurs aux exigences d’un groupement d’achat caractérisant ainsi l’existence d’une sous-mission [11];
La structuration du marché dans lequel évoluent les parties au contrat, etc.
La reconnaissance même du contrat d’adhésion est consubstantielle à l’appréciation du déséquilibre significatif. D’abord, au visa de l’article 1171 nouveau du Code Civil qui n’autorise l’appréciation du déséquilibre significatif par les Juridictions saisies que sur la base des contrats d’adhésion et ensuite, au regard de la Jurisprudence de la Cour de Cassation qui, au visa de l’article L.442-6, I, 2 (désormais L. 442-1) du Code de Commerce qui juge[12] :
« un déséquilibre significatif dans les relations entre partenaires commerciaux ne peut s’apprécier que dans le cadre d’un contrat d’adhésion »[13]
Ce qui est encore plus surprenant, est que par deux décisions rendues le même jour, c’est-à-dire le 05 janvier 2022, la même chambre écarte l’appréciation du déséquilibre significatif en jugeant que la relation des parties n’était pas qualifiable de contrat d’adhésion, alors que dans l’affaire commentée, elle ne se pose pas la question à l’instar peut-être des Conseils des franchiseurs qui ont raté une occasion de couper cours à tout débat puisqu’à notre avis, le contrat de franchise, quelle que soit la manière dont il est conclu, passe difficilement le cap de la qualification du contrat d’adhésion.
Cet Arrêt est d’ailleurs l’occasion d’apprécier les limites de l’enseignement doctrinal d’une décision de justice lorsque tous les moyens susceptibles d’être développés n’ont pas été présentés devant la Juridiction saisie.
Toute la question est de savoir ce que pourrait faire la Cour de Cassation saisie d’un pourvoi. L’exigence préalable de la reconnaissance d’un contrat d’adhésion avant de statuer sur le déséquilibre significatif est-il d’ordre public ? auquel cas, le moyen pourrait être soutenu pour la première fois devant la Cour de Cassation. Dans le cas contraire, le défaut de base légale pourrait être également soulevé puisqu’il paraît difficile de reconnaître à une convention un caractère d’intuitu personae et ensuite annuler la décision, d’une stipulation qui, même si elle peut être jugée déséquilibrée, consacre ce caractère intuitu personae.
[1] Cass. Com. 29 janvier 2013 n° 11-23.676 publié au bulletin
[2] Cass. Com. 03 juillet 2008 n° 06-13.761 – FS-P-B
[3] CA VERSAILLES, 23 juin 1988,Gaz. Pal. 1988, 1, sommaire page 122
[4] CA ORLEANS, 14 septembre 2000, Dalloz 2001, p. 1017, note Y. Marot
[5] CA LIMOGES, 28 janvier 2019 N) 17/01340
[6] Considération de la personne du franchisé Cass. Com. 14 novembre 2018 n° 17-19.851 et de la personne du franchiseur Cass. Com. 24 novembre 2009 n° 04-14.429, Cass.Com. 03 juin 2008 n° 06-13.761 publié au bulletin
[7] Notamment CA DIJON 08 avril 2010 n° 09/00679
[8] Guide de la franchise 2021/2022, guide Dalloz, réf. 121.124
[9] Voir en ce sens Cass. Com. 03 novembre 2004 n° 02-17.919
[10] Cass. Com. 26 avril 2017 n° 15-27.865
[11] Cass. Com. 27 novembre 2015 n° 14-11.387
[12] Cass. Com. 20 novembre 2019 n° 18-12.823 F-P+B
[13] La Cour d’Appel de PARIS a d’ailleurs emboité le pas avec CA PARIS, P5 – Ch 4, 05 janvier 2022 n° 20/06627