Validité d’une clause d’approvisionnement exclusif dans un contrat de franchise sur fond de rupture brutale de relation commerciale établie

 

 

Source : Cass. com., 20 décembre 2017, n° 16-20501

 

I – Double rupture inhérente à la clause d’approvisionnement exclusif du contrat de franchise

 

Un franchiseur a conclu un contrat de 9 ans avec l’un de ses franchisés. Ce contrat de franchise comprenait, pour le franchisé actif dans le secteur de la boulangerie, une obligation de s’approvisionner exclusivement auprès d’un fournisseur ayant développé un process innovant de fabrication de pain traditionnels et spéciaux au levain naturel, livrés congelés.

 

Estimant que le franchiseur avait manqué à plusieurs de ses obligations, le franchisé a résilié le contrat de franchise avant son terme. Action-réaction : le franchisé a été assigné d’un côté par le franchiseur pour résiliation anticipée du contrat de franchise, et de l’autre par le fournisseur précité pour rupture brutale de relation commerciale établie en raison de la rupture sans préavis du contrat de franchise et donc de la convention de fourniture exclusive.

 

L’arrêt commenté est particulièrement intéressant au regard de l’action menée par le fournisseur référencé qui cherche dans le cas d’espèce à obtenir l’indemnisation du préjudice qu’il a subi suite à la rupture (brutale) du contrat de franchise.

 

En défense, le franchisé s’est vu rejeter les deux arguments qu’il a soulevés, les juges du second degré ayant en outre été soutenus par la Cour de cassation.

 

Un contrat peut en cacher un autre

 

Si le fournisseur se fondait sur l’existence d’une stipulation pour autrui, le franchisé contestait cette qualification en soutenant que le fournisseur même référencé dans le contrat de franchise n’en était qu’un tiers.

 

La Cour d’appel de Paris confirmée par la Haute juridiction a alors rappelé que la stipulation pour autrui était un contrat en vertu duquel le stipulant (en l’espèce, le franchiseur) demandait au promettant (en l’espèce, le franchisé) de s’engager envers le tiers bénéficiaire (en l’espèce, le fournisseur désigné explicitement dans le contrat de franchise) à se fournir exclusivement auprès de ce dernier.

 

Par conséquent et sans dénaturation, les juges tranchent en la faveur de l’existence d’une volonté manifeste des parties (en l’espèce, le franchiseur et le franchisé) de faire naître au profit du fournisseur un droit contre le franchisé et cela dès la conclusion du contrat de franchise. En d’autres termes, un contrat liait bien juridiquement le franchisé au fournisseur référencé.

 

Ainsi, la reconnaissance de ce lien contractuel entre le franchisé et le fournisseur référencé dans le contrat de franchise permet à ce dernier de solliciter la perte de marge dont il aurait dû bénéficier si le contrat de franchise avait été mené jusqu’à son terme ou du moins la marge qu’il aurait dû effectuer pendant le préavis du franchisé.

 

Une clause d’approvisionnement exclusif nécessaire pour préserver l’identité et la réputation du réseau de franchise

 

Le franchisé opposait également l’illicéité de la clause d’approvisionnement exclusif au regard du droit européen de la concurrence au sens où elle s’assimilerait selon lui à une clause de non-concurrence non-conforme au Règlement d’exemption n° 330/2010 du 20 avril 2010, sa durée étant supérieure à 5 ans (en l’espèce, le contrat présentait une durée de 9 ans).

 

Si les juges de seconde instance ont confirmé l’analyse de la clause litigieuse en une clause de non-concurrence au sens du règlement précité, ils ont aussi rappelé qu’en matière de franchise, la clause d’approvisionnement exclusif pouvait s’avérer indispensable pour protéger le savoir-faire transmis et l’assistance apportée par le franchiseur contre ses concurrents au sens. En d’autres termes, cette clause garantit la qualité et l’identité uniformes des gammes de produits distribués par les franchisés et in fine l’image et l’identité du réseau de franchise, elle présente donc un caractère essentiel dans la protection du réseau.

 

En l’espèce, approuvant la nécessité pour le franchiseur de retrouver chez l’ensemble de ses franchisés une homogénéité de l’image et de la qualité des produits de boulangerie fabriqués selon un cahier des charges et un procédé propres au fournisseur en question, la Cour de cassation valide le fait que la clause d’achat exclusif est bien indispensable au contrat de franchise.

 

Ainsi, à défaut pour le franchisé de démontrer que la clause d’approvisionnement exclusif ne présente pas un caractère indispensable, cette clause ne constitue pas une restriction de concurrence au sens de l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et de l’article L. 420-1 du Code de commerce prohibant les ententes illicites.

 

En revanche, est illicite et même restrictive de concurrence la clause d’approvisionnement exclusif qui porte sur des produits ne contribuant pas à l’image et à l’identité du réseau, mais allant au-delà de ce qui est nécessaire pour maintenir l’identité et la réputation du réseau. Par exemple, est illicite la clause d’approvisionnement exclusif qui impose au franchisé d’acheter tout le matériel nécessaire à l’exploitation de la franchise auprès de son franchiseur.

 

II – L’ingénierie contractuelle, source de sécurité entre les parties

 

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il convient de se demander si les franchiseurs ne peuvent pas gagner à « assouplir » les contrats présentés aux franchisés. En effet, l’insertion de clauses alternatives ou l’aménagement des clauses d’approvisionnement exclusif pourrait constituer le socle d’une relation contractuelle moins contraignante pour les franchisés et donc moins propice à la résiliation anticipée pour les franchiseurs. La relation contractuelle serait in fine davantage « gagnante-gagnante » avec une rédaction plus souple et équilibrée.

 

Le droit des contrats propose dans ce sens un « petit clausier » riche de clauses trop peu utilisées : les clauses de réduction de prix (remise accordée pour la quote-part de marchandises achetées excédant l’obligation prévue au contrat), les clauses d’audit (vérification de la conformité des produits faisant l’objet de l’approvisionnement pouvant donner lieu à des discussions entre franchiseur et franchisé) ou encore les clauses de tolérance (livraison d’une quantité plus ou en moins un pourcentage permettant au franchiseur de proposer des conditions tarifaires plus avantageuses à ses franchisés).

 

L’ingénierie contractuelle présente des outils juridiques performants pour équilibrer et sécuriser une relation d’affaires. Un bon contrat valant mieux qu’un (mauvais) procès, c’est manifestement à tort qu’ils seraient ignorés…

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats

 

 

 

 

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