Révocation abusive de gérant de SARL :  attention à la responsabilité solidaire des associés.

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat
Subject: A Japanese business office worker leaving his job with all his belonging in a layoff and economic recession.

Le gérant de SARL peut certes être révoqué de son mandat par l’assemblée générale, mais peut, en l’absence de « justes motifs » réclamer devant le juge, des dommages et intérêts pour le préjudicie subi. Attention toutefois aux associés de la SARL, si cette révocation est jugée abusive, ils peuvent se voir condamner solidairement avec la société, à verser à l’ancien gérant lesdits dommages et intérêts.

Cour d’Appel ANGERS 17 Janvier 2023 – N°19/02320

I –

L’article L223-25 du code de commerce prévoit, en son premier alinéa :

« Le gérant peut être révoqué par décision des associés dans les conditions de l’article L. 223-29, à moins que les statuts prévoient une majorité plus forte. Si la révocation est décidée sans juste motif, elle peut donner lieu à des dommages et intérêts ».

Les « justes motifs » exigées par le texte posent évidemment des difficultés d’interprétation, qui nécessitent l’intervention régulière des juges pour apprécier les circonstances du cas d’espèce.

Par exemple, la jurisprudence est d’ores et déjà intervenue pour indiquer que :

  • Le gérant doit avoir eu connaissance des motifs de sa révocation, et doit avoir pu présenter ses observations avant que le vote soit organisé (C.Cass, Com, 29 septembre 2015 N°14.11.491)
  • Le gérant commet une faute constitutive de juste motif de révocation dès lors qu’il contrevient  aux dispositions de l’article L223-21 du code de commerce en faisant fonctionner son compte courant de manière débitrice, et ce, malgré les avertissements donnés (C.Cass, Com, 27 mai 2015, N°14.14.540)
  • La mésentente importante entre les associés peut suffire à justifier la révocation d’un gérant de SARL si celle-ci est de nature à compromettre l’intérêt social (C.Cass, Com, 4 février 2014, N°13.10.778)

Le droit prétorien se construit au fur et à mesure des cas d’espèces soumis aux juges, le présent arrêt est une nouvelle illustration des justes motifs exigés pour révoquer un gérant de SARL, mais apporte aussi une précision : les associés de la SARL peuvent manifestement être condamnés solidairement au versement des dommages et intérêts.

II –

Dans ce cas d’espèce, la chronologie des faits a toute son importance, et sera brièvement reprise :

  1. Contexte

Une SARL était composée de deux époux, associés égalitaires, dont le mari était gérant. Un responsable technique est engagé en CDI dans la société, chacun des époux cède une partie de leurs parts sociales. L’entrée du salarié au capital fut progressive, par plusieurs cessions à son profit. Un pacte d’associés est signé, et il est alors désigné cogérant. Son contrat de travail est suspendu.

Les époux décident de créer une holding, et de lui céder des parts de la SARL pour faire entrer celle-ci au capital. L’ancien salarié réalise la même opération.

Ainsi, aux termes de ces montages, le capital était divisé par quart entre les deux holding et les deux époux qui avaient conservé une partie des parts sociales en nom propre.

La situation se complexifie dès lors que l’ancien salarié est convoqué par la gendarmerie dans le cadre d’une enquête préliminaire pour infraction au code de l’environnement, dont dépôt illégal de déchet dangereux par producteur/détenteur de déchets. Il est ainsi placé en garde à vue.

Quelques jours après, il démissionne de son mandat de gérant et concomitamment de son contrat de travail…. Mais ses associés finissent par le renommer en qualité de gérant.

L’ancien salarié décide alors de promouvoir sa compagne, secrétaire comptable, avec une augmentation de salaire, et réussit à acquérir, pour sa holding et sa compagne, davantage de parts sociales des époux pour un euro symbolique, sans garantie d’actif et de passif, outre une promesse unilatérale de vente pour d’autres parts sociales.

Finalement, les relations entre les associés se dégradent, et les époux décident de convoquer l’ancien salarié à une assemblée générale ayant pour ordre du jours sa révocation. Le rapport de gérance fourni avec la convocation, expose les motifs suivants :

– « de la dégradation du chiffre d’affaires et des résultats,

– d’un ‘climat troublé en matière de ressources humaines au sein de l’entreprise’, reproche lui étant fait d’avoir promu Mme [N],

– d’avoir ‘profité de l’état de faiblesse physique et psychologique de M. [S] [K]’ pour obtenir ‘la cession de 10% du capital… à un prix dérisoire’ et ‘l’engagement de céder le reste du capital, soit les 70% restant, à un prix non moins dérisoire »

– d’une perte de confiance ‘risquant de mettre en péril la bonne marche et la pérennité de la société’ ».

L’ancien salarié dont la révocation de son mandat de cogérance est envisagée, conteste fermement les motifs exposés dans un courrier adressé à la SARL. L’AG vote toutefois la fin de son mandat.

Le lendemain, les époux assignent sa holding et sa compagne devant le tribunal de commerce aux fins de prononcer la nullité des actes de cession précités, à l’euro symbolique. Ils n’ont pas gain de cause puisque le tribunal de commerce les déboute notamment pour absence de vices du consentement.

En réponse, l’ancien salarié assigne ses associés aux fins d’obtenir leur condamnation solidaire à l’indemniser du préjudice prétendument subi du fait de sa révocation, considérant que celle-ci était intervenue sans juste motif…. C’est l’objet de notre arrêt.

  • Procédure

Au cours de la procédure, la SARL est placée en redressement, puis en liquidation judiciaire, l’ancien salarié décide alors de déclarer une créance de +400 000 euros au titre de son indemnisation, et assigne le liquidation en intervention forcée.

Toujours au cours de la procédure, le procureur fait suite à l’enquête pénale susmentionnée, engage des poursuites contre les cogérants et la société. L’ancien salarié est relaxé, alors que le mari et  la société sont déclarés coupables.

III –

La problématique était donc de déterminer si les conditions de révocation de l’ancien salarié, de son mandat de cogérant étaient susceptibles d’être considérées comme dénuées de justes motifs.

Les premiers juges donnent raison à l’ancien salarié, et lui attribuent 80.000 euros au titre de ses dommages et intérêts en réparation du préjudice subi. Les époux interjettent appel pour soumettre le présent litige à l’étude des juges de la Cour d’Appel d’ANGERS.

IV –

Les juges du second degré amenés à prendre position rappellent que :

« Le juste motif peut consister en une faute du gérant, telle une violation de la loi ou des statuts, un manquement aux obligations lui incombant en sa qualité de gérant, présentant un caractère objectif de gravité, mais également en la nécessité de mettre un terme par la révocation du gérant concerné à une situation de nature à compromettre l’intérêt social ou le fonctionnement de la société, étant précisé qu’une situation objectivement contraire à l’intérêt social suffit à constituer un juste motif, sans qu’il soit nécessaire d’établir son imputabilité ».

Les appelants invoquaient les fautes de gestion et la mésentente entre associés, aboutissant à une perte de confiance des époux.

Ils rappellent les motifs évoqués dans la rapport de gérant à l’assemblée générale, et lui reprochent également :  

  • D’avoir profité de leur état de santé (problèmes cardiaques / dépression) pour imposer des cessions de parts sociales à prix dérisoire,
  • D’avoir fait conclure avec violence un pacte d’associé et une promesse unilatérale de vente, illustrée par des pressions considérables exercées sur eux, engendrant des conditions contractuelles inacceptables.
  • D’avoir fait pression sur les salariés pour qu’ils menacent les époux, et les poussent à céder leurs parts, et à démissionner du manat de cogérant.

A contrario, l’ancien salarié contestait avec conviction toutes accusations d’abus de faiblesse, puisque le tribunal de commerce les avait d’ores et déjà débouté de leurs demandes tendant à voir annuler les cessions de parts sociales.

Aux termes des débats, les juges d’appel ont considéré que les justes motifs n’étaient pas réunis, mais les projecteurs sont placés sur l’indemnisation du préjudice subi.

Appréciant les préjudices matériels et moraux de l’ancien gérant, la Cour d’Appel décide de lui attribuer 60.000 euros de dommages et intérêts.

V –

L’ancien gérant est allé plus loin encore, et a également recherché la mise en cause de la responsabilité personnelle des deux époux, qui avaient, à son sens, manifesté une « intention de nuire »

Les juges considèrent alors :

« Certes, il ne suffit pas, pour caractériser, sur le fondement de l’article 1382 du code civil dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, la faute personnelle de l’associé qui a voté en faveur de la révocation du gérant, et qui se définit comme étant une faute individuelle insusceptible d’être rattachée à l’expression de la volonté sociale, que la révocation du gérant soit intervenue sans justes motifs, ni même que les éléments apportés à l’appui de la justification d’un juste motif à la révocation soient inexacts.

Mais dans le cas présent, les époux [K] n’ont pas hésité à accuser M. [H] d’avoir exercé sur eux une violence morale en abusant de leur faiblesse, accusations qu’ils ont réitérées devant la cour alors qu’un jugement définitif les a écartées, et l’ont également accusé d’avoir détourné 10 000 euros. Il s’agit là de graves accusations à caractère vexatoire, qui s’avèrent sans fondement, d’autant que comme l’ont relevé les premiers juges, celle d’avoir fait pression pour obtenir la signature de l’acte de cession de parts sociales, du pacte social et de la promesse unilatérale de vente ne concerne que les rapports entre associés et non pas la fonction de gérant. Les premiers juges, dont la cour adopte les motifs, ont caractérisé l’intention de nuire de M. [K] qui, à travers des griefs injustifiés a voulu évincer M. [H] de la société et être dégagé de ses propres engagements sans considération de l’intérêt de celle-ci, à un moment où, pourtant, la société rencontrait des difficultés et alors que la mésentente qui existait entre les deux gérants, à laquelle M. [K] n’apparaît pas ni ne prétend même avoir tenté de remédier, si elle est bien certaine, n’avait jusqu’alors pas eu d’incidence sur la bonne marche de la société, et ne peut suffire à établir que le vote en faveur de la révocation de M. [H] était exclusive d’une intention de nuire par ailleurs caractérisée.

L’intention de nuire de Mme [K], partie prenante comme son mari, et qui a voté la révocation de M. [H] sur les mêmes motifs vexatoires qu’elle savait fallacieux, travaillant elle-même dans l’entreprise, doit être retenue.

Les époux [K] doivent donc être tenus in solidum avec la société MR Ouest au paiement de la somme de 60 000 euros ».

Ce qui est intéressant dans cet arrêt est la condamnation SOLIDAIRE des époux avec la société, qui est elle-même placée en procédure collective..

C’est-à-dire que l’ancien gérant obtient un sécurité importante pour obtenir le paiement de ses dommages et intérêts, puisque comme le rappelle l’article 1200 du Code Civil :

« Il y a solidarité de la part des débiteurs, lorsqu’ils sont obligés à une même chose, de manière que chacun puisse être contraint pour la totalité, et que le paiement fait par un seul libère les autres envers le créancier ».

L’ancien gérant pourra… directement attaquer la patrimoine personnel des époux solidaires, sans attendre l’issue de la procédure collective !

Ne ratez plus l’actualité !

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire, personnalisable en fonction des thèmes qui vous intéressent : Baux commerciaux, banque, sociétés, immobilier, ressources humaines, fiscalité… tout y est ! 

Partager cet article