Responsabilité du propriétaire du terrain en tant que détenteur de déchet

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : CE 1° et 6° s-s-r., 24 octobre 2014, n° 361231, mentionné aux tables du recueil Lebon

 

Aux termes de l’article L 541-2 actuel du code de l’environnement :

 

« Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. »

 

Nous vous précisions, dans un précédent commentaire[1], que le Conseil d’Etat « en l’absence de détenteur connu de déchets sur un terrain », retenait la responsabilité du propriétaire du terrain « notamment s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain »[2]. 

 

Dans cette affaire, la Cour de renvoi avait ainsi pu retenir la responsabilité du propriétaire du terrain sur le fondement de la négligence, non seulement pour n’avoir pris aucune initiative pour assurer l’élimination des déchets, mais surtout pour avoir procédé à l’enfouissement des déchets et empêché l’ADEME de pénétrer sur le site pour en évacuer les produits toxiques[3].

 

Par cet arrêt du 24 octobre 2014, le Conseil d’Etat semble désormais élargir cette responsabilité du propriétaire.

 

En l’espèce, une ICPE bénéficie d’une liquidation judiciaire en 1991. Le préfet a rappelé puis mis en demeure le liquidateur de se conformer à son obligation de remise en état, qui n’a pu être réalisée, faute de disposer des finances nécessaires. Toutefois, une partie de ses salariés poursuit l’activité, sans autorisation, jusqu’en 1994.

 

Dans ce contexte dans lequel le producteur du déchet ne saurait être poursuivi, le Préfet a mis en demeure la société de crédit bail de l’ICPE, devenue en 1994 propriétaire d’une partie du site pollué, de procéder à la remise en état des lieux.

 

Ce propriétaire du terrain s’étant, semble-t-il, conformé à cette obligation, sans en accepter le bien fondé, a saisi le tribunal administratif d’une demande de condamnation de l’Etat en réparation de son préjudice résultant de l’illégalité fautive des arrêtés préfectoraux pris à son encontre.

 

Pour juger que le propriétaire du site était responsable de l’élimination des déchets, la Cour administrative d’appel de Paris se fonde sur sa seule qualité de propriétaire, motif logiquement censuré par le Conseil d’Etat :

 

« Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en se fondant, pour juger que la société Unibail-Rodamco était responsable de l’élimination de ces déchets, sur la seule circonstance qu’elle était propriétaire des terrains pollués par des solvants chlorés provenant de l’exploitation de l’Imprimerie François, alors qu’il lui appartenait de se prononcer au regard des principes rappelés au point 5, la cour administrative d’appel de Paris a commis une erreur de droit ; que, par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu’il statue sur l’indemnisation des préjudices résultant des illégalités fautives qui entacheraient les arrêtés préfectoraux des 19 octobre 1994, 17 janvier 1996 et 5 octobre 1998 ».

 

Néanmoins, le Conseil d’Etat semble ouvrir une nouvelle voie de condamnation à l’encontre du propriétaire, puisque selon « les principes rappelés au point 5 » ci-avant cités par la Haute juridiction, le propriétaire peut non seulement, conformément à l’arrêt du Commune de Palais sur Vienne du 26 juillet 2011, voir sa responsabilité retenu pour « négligence », mais également, de manière alternative :

 

« s’il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations ».

 

Tel semble, a priori, être le cas en l’espèce, de sorte que, si son arrêt est annulé pour erreur de droit, la Cour administrative d’appel de Paris, ne devra donc pas nécessairement modifier sa position, mais déterminer si le crédit bailleur devenu propriétaire :

 

1. était au courant de l’existence des déchets sur le site acquis ;

2. savait que l’ICPE ne serait pas en mesure de satisfaire à son obligation de remise en état des lieux ;

 

ces critères étant cumulatifs.

 

S’agissant d’une ICPE initialement autorisée, en liquidation judiciaire à la date d’acquisition, il ne devrait pas être difficile pour la Cour administrative d’appel de Paris de retenir, sur ce fondement, la responsabilité du propriétaire, même en l’absence de négligence de sa part…

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats

 


[1] Cf article vivaldi-chronos sous Cass, 3e civ, 11 juillet 2012, n°11-10478. P B + I.

[2] CE, 26/07/11, Commune de Palais sur Vienne, n°328651. En ce sens également, avec la même formulation, CAA Bordeaux, 1er mars 2012, n°11BX01933.

[3] Cf CE, 6ème / 1ère SSR, 25 septembre 2013, n°358923

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