Responsabilité du dirigeant d’une société en liquidation judiciaire vis-à-vis de l’Administration Fiscale : comment apprécier le délai de prescription ?

Eric DELFLY
Eric DELFLY - Avocat associé

Pour pouvoir agir contre le dirigeant, l’Administration doit justifier que l’action ouverte tendant au recouvrement de la dette fiscale contre le débiteur principal n’est pas atteinte de prescription. Une précision qu’il convient de garder à l’esprit

Source : Cass. Com. 06 juillet 2022 n° 20-14.532

I –

Le litige soumis à l’appréciation de la Haute Cour, opposait l’Administration Fiscale à un ancien dirigeant d’une société, dont les opérations de liquidation judiciaire avaient été clôturées huit années après son ouverture.

Le comptable public fondait son action sur les dispositions bien connues de l’article L.267 du Livre des Procédures Fiscales (ci-après : « le LPF »), dont l’alinéa 1 peut être intégralement cité pour mémoire :

« Lorsqu’un dirigeant d’une société, d’une personne morale ou de tout autre groupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l’inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s’il n’est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d’une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal judiciaire. A cette fin, le comptable public compétent assigne le dirigeant devant le président du tribunal judiciaire du lieu du siège social. Cette disposition est applicable à toute personne exerçant en droit ou en fait, directement ou indirectement, la direction effective de la société, de la personne morale ou du groupement ».

Le côté scélérat de ce texte, souvent appliqué avec rigueur par les Juridictions Judiciaires lorsqu’elles sont saisies par l’Administration Fiscale, tient à l’absence de délai de prescription, la Cour de Cassation estimant que le recours de l’Administration à l’encontre du dirigeant doit être introduite dans un délai satisfaisant, notion, à ce point abstraite qu’elle autorise l’arbitraire du Juge, mais aussi de l’Administration.

Il n’en en effet pas rare que des dirigeants déjà « rincés » par la procédure collective de la société dont ils avaient le contrôle, se retrouvent à devoir défendre un nouveau contentieux, dix ans après[1]

II –

Cette solution s’inscrit dans un schéma qui nécessite de se rappeler que la prescription de l’action en recouvrement des créances fiscales contre le débiteur principal est suspendue par l’effet de l’ouverture de la procédure collective[2], ladite suspension prenant fin avec la clôture de la procédure collective[3]. En se rappelant qu’une procédure collective peut ne pas être clôturée, comme en l’espèce, avant plusieurs années, voire quelquefois plusieurs dizaines d’années, se pose nécessairement en toile de fonds, la date à laquelle l’Administration cessera de disposer d’un recours en solidarité contre le dirigeant.

La Cour d’Appel de GRENOBLE avait, quant à elle, imaginé une solution qui a été l’objet de la censure, laquelle consistait à distinguer le délai de prescription de l’Administration à l’encontre du débiteur principal et celui à l’encontre du dirigeant. Ainsi, s’agissant du débiteur principal, ce sont les règles ci-avant posées qui s’appliquent, alors que contre le dirigeant, la Cour a fait application du délai de prescription quadriennale.

A tort, répond la Cour de Cassation qui juge que l’action ouverte par le comptable public peut être exercée tant que les poursuites tendant au recouvrement de la dette fiscale de la société ne sont pas atteintes par la prescription. Celle-ci aurait dû être atteinte, ce qui n’était pas le cas, douze ans après l’ouverture de la procédure collective, c’est-à-dire les huit ans de l’ouverture de la procédure collective jusqu’à la clôture, auxquels s’ajoutaient les quatre ans de délai de prescription fiscal. En statuant ainsi, la Cour fait un lien entre l’action contre le dirigeant de la société et sa procédure collective, rallongeant très sensiblement le délai de l’action de l’Administration à l’encontre des dirigeants.

La Cour de Cassation rappelle toutefois, maigre consolation, que l’Administration doit engager la responsabilité solidaire du dirigeant dans un délai satisfaisant à compter du constat de l’impossibilité définitive de recouvrer les impositions et pénalités dues par la société. A cet égard, la Cour d’Appel, dans son Arrêt censuré, avait relevé que le comptable public avait été informé, dès le mois de septembre 2008, par le rapport de l’Administrateur du redressement judiciaire de la société et de la situation largement obérée de celle-ci, qui était de nature à convaincre l’Administration de l’impossibilité de recouvrer sa créance fiscale alors qu’avait été introduite la procédure le 25 août 2017, c’est-à-dire neuf ans après cette information.

La partie n’est pas forcément perdue pour le débiteur qui a déjà eu à souffrir d’une action en responsabilité l’ayant condamné à supporter, à hauteur de 150 000 €, l’insuffisance d’actif. En effet, la Cour d’Appel de LYON, devant laquelle l’affaire a été renvoyée, aura forcément à apprécier le délai raisonnable entre la date à laquelle l’Administration a pu se convaincre du caractère irrecouvrable de sa créance fiscale vis-à-vis du débiteur principal et la date à laquelle elle a finalement décidé d’agir. Huit ans, au regard des éléments pouvant être identifiés dans l’exposé des faits par la Cour d’Appel de GRENOBLE qui semblent pouvoir être exploités pour faire juger le caractère tardif du recours.

Eric DELFLY

VIVALDI-AVOCATS


[1] Pour la spécificité de l’action en responsabilité solidaire et l’absence de délai de prescription, voir Cass. Com. 09 mars 1993 n° 91-10.654

[2] Article L.622-21, 3 du Code de Commerce et Cass. Com. 09 septembre 2020 n° 19-10.206 F S – PB

[3] Cass. Com. 15 mars 2005 n° 03-17.783 publié au Bulletin

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