Résolution du bail commercial par voie de notification (art. 1226 du Code civil) : dispense de mise en demeure préalable si cette dernière est vaine.

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Aux termes d’un arrêt en date du 25 janvier 2024, et pour la première fois à notre connaissance, la Haute juridiction se prononce sur l’application de l’article 1226 du Code civil (résolution du bail par voie de notification – lettre recommandée avec demande d’avis de réception) à un bail commercial, et juge que le preneur à bail est dispensé de mise en demeure préalable lorsqu’il résulte des circonstances de la cause, que cette mise en demeure est vaine (A rapprocher de Cass. com, 18 octobre 2023, n°20-21579, FS – B).

SOURCE : Cass. civ 3ème, 25 janvier 2024, n°22-16583, Inédit

La réforme du droit des contrats, issue de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016, a introduit dans le Code civil à son article 1226 un nouveau mécanisme qui permet au créancier d’une obligation d’obtenir la résiliation unilatérale du contrat [dont le bail commercial] en cas de manquement grave du débiteur.

L’ordonnance du 10 février 2016 n’est pas novatrice en la matière, puisque l’article 1226 du Code civil n’est que la codification de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a jugé dès 1998, que : « (…) la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, et que cette gravité, dont l’appréciation qui en est donnée par une autorité ordinale ne lie pas les tribunaux, n’est pas nécessairement exclusive d’un délai de préavis »[1] Il est en ainsi que « le contrat soit à durée déterminée ou non », et il revient au juge du fond de rechercher si le comportement revêt « une gravité suffisante » pour justifier la rupture unilatérale[2]

En pratique, et sauf urgence,  le créancier doit préalablement mettre en demeure l’autre partie de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable (article 1226 du Code civil, alinéa 1er). La mise en demeure doit mentionner expressément qu’à défaut pour la partie notifiée de satisfaire à son obligation, le demandeur sera en droit de résoudre le contrat (article 1226 du Code civil, alinéa 2). Lorsque l’inexécution persiste, celui qui a pris l’initiative de la mesure notifie à son cocontractant la résolution du contrat.

S’il trouve la résolution justifiée, le juge en donne acte aux parties en la constatant et la résolution prend effet au jour de la réception de la notification par la partie défaillante (article 1229 du Code civil, alinéa 2).

Aux termes d’un arrêt rendu le 25 janvier 2024, la Cour régulatrice s’est prononcée pour la première fois sur l’application des dispositions de l’article 1226 du Code civil, au bail commercial.

A la base du contentieux soumis à la censure de la Cour de cassation, trois baux commerciaux conclus sur des locaux dépendant d’un même immeuble, au profit d’un locataire unique.

En cours d’exécution du bail, le locataire quitte les locaux et cesse le service courant du paiement des loyers, en justifiant son départ par des agissements du gérant de la société bailleresse lui reprochant de s’être régulièrement introduit dans les locaux et d’y avoir eu des comportements déplacés envers plusieurs de ses salariées, le tout formalisé suivant lettre recommandée avec demande d’avis de réception.

Le bailleur assigne le locataire en paiement des loyers postérieurs au départ du locataire.

Reconventionnellement, le locataire sollicite le bénéfice de sa lettre recommandée et la résolution du bail par voie de notification à la date de son recommandé.

Echec pour le bailleur en cause d’appel qui se voit opposer par la Cour, la résolution des baux après avoir relevé à la lecture des pièces versés au débat, qu’à l’occasion des visites journalières dans les locaux, le gérant de la société bailleresse avait eu un comportement et des gestes déplacés à l’encontre de plusieurs salariées, et qu’il avait été par ailleurs poursuivi pour des faits d’agressions sexuelles.

La Cour en avait conclu que le comportement du gérant était de nature à porter atteinte à la jouissance paisible des locaux par le locataire, dont le personnel était constitué majoritairement de femmes, et justifiait la résolution des baux sans qu’il puisse être exigée une mise en demeure préalable, comme l’a par ailleurs soutenu le bailleur devant la Haute juridiction.

Le bailleur n’est pas plus couvert de succès devant la Haute juridiction qui rejette le pourvoi au visa des articles 1224 et 1226 du Code civil, et juge que c’est à bon droit que la juridiction du second degré a relevé que le comportement du gérant de la société bailleresse était d’une gravité telle qu’il avait rendu manifestement impossible la poursuite des relations contractuelles, de sorte qu’une mise en demeure préalable à la notification de la résolution des baux, qui eût été vaine, n’était pas nécessaire[3] (en ce sens Cass. com, 18 octobre 2023, n°20-21579, FS – B).


[1] Cass. civ 1ère, 13 octobre 1998, n°96-21485, FS – PB

[2] Cass. civ 1ère, 28 octobre 2003, n°01-03662, FS – PB

[3] https://vivaldi-chronos.com/bail-commercial-resolution-par-notification-de-larticle-1226-du-code-civil-pas-de-mise-en-demeure-si-elle-est-vaine/

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