Bail commercial, résolution par notification de l’article 1226 du Code civil : pas de mise en demeure si elle est vaine !

Alexandre BOULICAUT
Alexandre BOULICAUT - Juriste

Si le créancier peut, à ses risques et périls, en cas d’inexécution suffisamment grave du contrat, le résoudre par voie de notification, après avoir, sauf urgence, préalablement mis en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable, une telle mise en demeure n’a pas a été délivrée, lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine.

SOURCE : Cass. com, 18 octobre 2023, n°20-21579, FS – B + R

C’est un arrêt important que vient de rendre la chambre commerciale de la Cour de cassation, le 18 octobre 2023, destiné à une très large publication (publication au Bulletin et au Rapport annuel de la Cour de cassation), dans une espèce relative à la résolution d’un contrat de maintenance d’une machine, suivant les dispositions de l’article 1226 du Code civil : la résolution unilatérale par voie de notification.

A l’instar de tout contrat, le bail commercial peut être résilié pour faute du cocontractant, y compris au moyen d’une clause résolutoire figurant au bail. A côté de la procédure de résiliation judiciaire et de la procédure d’acquisition de la clause résolutoire inscrite au bail, une autre procédure rarement mise en œuvre permet au créancier d’une obligation d’obtenir la résiliation du bail : la résiliation par notification. 

La réforme du droit des contrats, issue de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, dont les dispositions sont entrées en vigueur le 1er octobre 2016, a introduit dans le Code civil à son article 1226 un nouveau mécanisme qui permet au créancier d’une obligation d’obtenir la résiliation unilatérale du contrat [dont le bail commercial] en cas de manquement grave du débiteur.

L’ordonnance du 10 février 2016 n’est pas novatrice en la matière, puisque l’article 1226 du Code civil n’est que la codification de la jurisprudence de la Cour de cassation qui a jugé dès 1998, que :

« (…) la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, et que cette gravité, dont l’appréciation qui en est donnée par une autorité ordinale ne lie pas les tribunaux, n’est pas nécessairement exclusive d’un délai de préavis »[1].

Il est en ainsi que « le contrat soit à durée déterminée ou non », et il revient aujuge du fond de rechercher si le comportement revêt « une gravité suffisante » pour justifier la rupture unilatérale[2].

En pratique, et sauf urgence,  le créancier doit préalablement mettre en demeure l’autre partie de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable (article 1226 du Code civil, alinéa 1er). La mise en demeure doit mentionner expressément qu’à défaut pour la partie notifiée de satisfaire à son obligation, le demandeur sera en droit de résoudre le contrat (article 1226 du Code civil, alinéa 2). Lorsque l’inexécution persiste, celui qui a pris l’initiative de la mesure notifie à son cocontractant la résolution du contrat.

A ce titre, l’arrêt du 18 octobre 2023 apporte une précision fondamentale puisqu’il précise qu’une telle mise en demeure n’a pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine.

En l’espèce le comportement de l’une des parties était d’une gravité telle qu’il avait rendu matériellement impossible la poursuite des relations contractuelles (contexte d’extrême pression et de rupture relationnelle entre deux sociétés dans le cadre d’une prestation de maintenance d’une scie).

S’il trouve la résolution justifiée au regard des circonstances et des éléments probatoires, le juge en donne acte aux parties en la constatant et la résolution prend effet au jour de la réception de la notification par la partie défaillante (article 1229 du Code civil, alinéa 2).

En revanche, s’il estime la résolution injustifiée, le juge peut soit constater sur la demande du débiteur, la rupture du contrat comme définitivement consommée, soit ordonner l’exécution forcée du contrat, et assortir l’option choisie d’une condamnation duc créancier au paiement de dommages et intérêts (article 1228 du Code civil). L’aléa judiciaire ne doit donc jamais être négligé.

Les conditions de mise en œuvre de la résolution unilatérale sont en effet appréciées très strictement par le juge. A titre d’illustration, une Cour d’appel a purement et simplement débouté le locataire de sa demande de résiliation unilatérale du bail sur le fondement de l’article 1226 du Code civil au titre d’une absence de jouissance paisible des locaux du fait d’un défaut de conformité de ceux-ci aux normes incendie, ce dernier ayant été de surcroît condamné à payer à son bailleur des dommages et intérêts, aux motifs que :

« Les conditions de mise en œuvre de la résiliation par notification n’ont pas été respectées en ce que le locataire n’a pas laissé au bailleur un délai raisonnable pour exécuter les travaux qu’il demandait, de sorte que la résolution unilatérale ne pouvait être validée »[3].

C’est précisément en considération de ce risque d’indemnisation de la partie défaillante, que ce mode de résolution en est en pratique peu utilisé.


[1] Cass. civ 1ère, 13 octobre 1998, n°96-21485, FS – PB

[2] Cass. civ 1ère, 28 octobre 2003, n°01-03662

[3] CA de REIMS, 1ère chambre section civile, 10 mai 2022, n°21/00852, SAS VIDYA PATRIMOINE c/ SCI 54 BLD DU 14 JUILLET

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