Réseaux de distribution sélective et droit des ententes : l’arrêt Coty ou la possibilité pour le fournisseur d’interdire la revente sur eBay ou Amazon

Victoria GODEFROOD BERRA
Victoria GODEFROOD BERRA

 

Source : CJUE, 6 décembre 2017, Affaire C-230/16, Coty Germany GmbH c/ Parfümerie Akzente GmbH

 

A la base, une histoire simple entre un fournisseur de parfums de luxe et un de ses distributeurs agréés, membre de son réseau de distribution allemand, liés par un contrat de distribution sélective. Poursuivant son objectif de préservation de son image de luxe, le fournisseur insère, par voie d’avenant, dans le contrat en question une clause interdisant expressément de revendre en ligne ses produits via des plateformes tierces qui opèrent de façon visible à l’égard des consommateurs (ci-après la « clause litigieuse »).

 

Essuyant un refus du distributeur de signer cet avenant, le fournisseur introduit un recours devant les juridictions allemandes pour qu’il soit interdit à ce dernier de revendre les produits contractuels via des plateformes internet tierces telles qu’Amazon ou encore eBay. Les juges allemands s’interrogent sur la licéité de cette clause au regard du droit de la concurrence européen[1] et se tournent vers la CJUE.

 

La Cour de l’UE répond par l’arrêt ici commenté et apporte deux éclairages salvateurs pour les têtes de réseaux de distribution sélective.

 

I – SYSTEME DE DISTRIBUTION SELECTIVE ET INTERDICTION DES ENTENTES

 

Il est d’abord rappelé qu’un système de distribution sélective ne relève pas de l’interdiction des ententes prévue par l’article 101 du TFUE dès lors que les trois conditions suivantes sont cumulativement respectées :

 

1) le choix des distributeurs se fait en fonction de critères :

 

objectifs de caractère qualitatif ;

 

fixés d’une manière uniforme pour tous les distributeurs potentiels ;

 

appliqués de façon non-discriminatoire ;

 

2) les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution ; et

 

3) les critères définis ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire[2].

 

Concernant la nécessité de recourir à un réseau de distribution sélective pour les produits de luxe, la CJUE considère que les caractéristiques et les modalités propres d’un système de distribution sélective (notamment la présentation valorisante dans les points de vente) permettent de préserver la qualité de tels produits. Elle précise que la qualité des produits de luxe résulte de leurs caractéristiques matérielles, mais aussi de « l’allure et de l’image de prestige qui leur confèrent une sensation de luxe » permettant aux consommateurs de les distinguer des autres produits semblables. Par conséquent, toute atteinte à cette sensation de luxe pourrait affecter la qualité de ces produits aux yeux des consommateurs[3].

 

Il ressort de tous ces éléments que les produits de luxe peuvent nécessiter la mise en place d’un système de distribution sélective dès lors que les critères précités sont respectés.

 

L’effet anticoncurrentiel d’un accord vertical entre fournisseurs et distributeurs est ici inopérant puisque le système de distribution sélective ainsi mis en place n’évince aucun distributeur de manière arbitraire. Ce système de distribution sélective est donc conforme au droit des ententes.

 

II – CLAUSE CONTRACTUELLE ET INTERDICTION DES ENTENTES

 

II-1.

 

Concernant la licéité de la clause litigieuse au regard de l’article 101 du TFUE, la CJUE juge qu’une clause visant à préserver l’image de luxe des produits concernés est valable sous réserve que les conditions suivantes soient cumulativement respectées :

 

1) la clause doit avoir pour objectif de préserver l’image de luxe des produits contractuels ;

 

2) la clause doit s’appliquer de manière uniforme et non-discriminatoire aux distributeurs agréés ; et

 

3) la clause doit être proportionnée au regard de l’objectif poursuivi (cf. 1)).

 

De manière plus développée, la CJUE juge qu’une telle clause permet au fournisseur de contrôler que ses produits seront revendus dans un environnement ne mettant pas en péril la sensation et l’image de luxe de ses produits. En outre, contrairement à l’arrêt « Pierre Fabre Dermo-Cosmétique » précité, la clause litigieuse ne constitue pas une interdiction absolue aux distributeurs de revendre les produits en ligne, mais uniquement de les revendre via des plateformes tierces opérant de façon visible à l’égard des consommateurs. Le critère de proportionnalité est donc respecté.

 

En conclusion, la clause examinée ne constituerait pas une restriction de concurrence.

 

II-2

 

La CJUE va plus loin dans son raisonnement et adopte une position encore plus tranchée. En effet, elle avance que dans l’hypothèse où les juridictions de renvoi allemandes jugeraient que la clause litigieuse restreindrait la concurrence au sens du droit des ententes[4], celle-ci pourrait bénéficier d’une exemption au titre du Règlement UE n° 330/2010[5] sous réserve du respect de certaines conditions.

 

Pour bénéficier de cette exemption, la Cour du Luxembourg rappelle que :

 

les seuils de part de marché prévus à l’article 3 du règlement précité ne doivent pas être dépassés[6] ; 

 

la clause ne doit pas produire d’effets anticoncurrentiels graves indépendamment de la part de marché des entreprises concernées.

 

En l’espèce, la CJUE juge que la clause en question ne constitue ni une restriction de la clientèle, ni une restriction des ventes passives aux utilisateurs finaux, dans la mesure où les clients sont en mesure de trouver l’offre internet des distributeurs agréés via les moteurs de recherche.

 

En conclusion, les têtes de réseaux de distribution sélective du secteur du luxe peuvent interdire à leurs distributeurs agréés de revendre leurs produits via certaines plateformes internet tierces, mais attention, cette liberté reste conditionnée…

 

Victoria GODEFROOD-BERRA

Vivaldi-Avocats


[1] La clause litigieuse serait susceptible de constituer une restriction de concurrence notamment en ce qu’elle pourrait restreindre les modes de commercialisation des produits concernés. Ces pratiques sont prohibées par l’article 101 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

[2] La CJUE rappelle ainsi sa jurisprudence « Pierre Fabre Dermo-Cosmétique » qui pose le principe « d’interdiction d’interdire » de manière absolue la distribution sur internet dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, CJUE, 13 octobre 2011, Affaire C439/09, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS c/ Autorité de la concurrence et Ministre de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi.

[3] CJUE, 23 avril 2009, Affaire C-59/08, Copad c/ Christian Dior couture SA et Société industrielle lingerie (SIL), point 29.

[4] Article 101 du TFUE.

[5] Règlement UE n° 330/2010 du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées.

[6] « L’exemption prévue à l’article 2 s’applique à condition que la part de marché détenue par le fournisseur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il vend les biens ou services contractuels et que la part de marché détenue par l’acheteur ne dépasse pas 30 % du marché en cause sur lequel il achète les biens ou services contractuels.

2. Aux fins du paragraphe 1, lorsque, aux termes d’un accord multipartite, une entreprise achète les biens ou services contractuels à une entreprise partie à l’accord et vend les biens ou services contractuels à une autre entreprise partie à l’accord, la part de marché de la première entreprise doit respecter le seuil de part de marché prévu dans ce paragraphe, en tant qu’acheteur et fournisseur, pour que l’exemption prévue à l’article 2 s’applique ».

 

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