Quelle est la nature juridique d’une clause d’obligation de cession ?

Antoine DUMONT

Lorsqu’une clause d’obligation de cession insérée dans un pacte d’actionnaires est explicitement qualifiée de promesse de cession dans ce même pacte, la promesse de cession voit sa validité conditionnée à l’exigence d’un prix déterminé ou déterminable.

Source : Civ. Com., 17 novembre 2024, 23-10.185

I – Faits et procédure

Un pacte d’actionnaires est conclu entre trois associés d’une SAS.

Un article de ce pacte stipulait qu’en cas d’offre d’acquisition de la totalité des titres de la société, qu’elle émane d’un associé ou d’un tiers, les associés s’engageaient à céder leurs titres à l’acquéreur.

Le 3 mai 2013, l’un des associés propose le rachat des titres des deux autres associés, pour une somme de 2000 € chacun. L’un des associés refusent et l’associé leur ayant soumis la proposition de rachat met en œuvre la clause du pacte d’actionnaires mentionnée précédemment.

De son côté, l’associé ayant refusé l’offre de rachat assigne la société et les deux autres associés en nullité de la cession forcée de ses actions en arguant de l’absence de détermination du prix de cession au sein du pacte d’actionnaires.

Ce dernier voit sa demande de nullité de la cession d’actions rejetée en première instance. Cette décision ayant été confirmée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris en date du 28 mai 2020[1], l’associé forme alors un pourvoi en cassation.

II – La qualification claire de promesse de cession par le pacte d’actionnaires

L’argument principal au pourvoi réside dans le fait que la clause litigieuse énonce clairement qu’elle vaut promesse de vente : « chacun des associés reconnaît que les dispositions qui précèdent valent promesse de vente de ses titres ». En conséquence, il faut que celle-ci possède un prix de cession qui soit déterminé ou déterminable.

L’arrêt, qui qualifie cette clause de simple obligation de cession au prix fixé par l’offre, et non de promesse de vente, aurait dénaturé la portée de celle-ci et donc violé l’article 1103 du Code civil.

La Cour de cassation abonde et considère que l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dénature le pacte d’actionnaires et son article litigieux qui énonçait clairement que ce dernier constituait une promesse de vente.

De plus, la Cour de cassation rend son arrêt au visa de l’article 1134 du Code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 et repris en l’actuel article 1103 du Code civil, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites », ainsi l’arrêt de la cour d’appel viole ce texte.

La cour d’appel aurait dû maintenir la qualification de promesse de vente énoncée par le pacte d’actionnaires et, en conséquence, aurait dû en déduire que l’absence de détermination du prix était une cause d’annulation de la promesse.

En effet, toute promesse de vente qui ne contiendrait ni un prix déterminé ni un prix déterminable peut être annulée[2], c’est ce qu’a notamment rappelé la Cour de cassation dans un arrêt en date du 21 septembre 2022[3].

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris concernant le débouté de la demande de nullité de la cession d’actions.

III – Pour aller plus loin

L’article du pacte d’actionnaires au centre du litige constitue ce qu’il est communément appelé une « clause de sortie conjointe ». Plus précisément, il s’agit d’une clause d’obligation de sortie conjointe (« drag along »), plus contraignante que la clause de droit de sortie conjointe (« tag along »).

Si la clause de « tag along » permet par exemple à des minoritaires de quitter le capital de la société en cas de prise de contrôle par un investisseur qui ne leur conviendrait pas, la clause de « drag along » quant à elle permet d’éviter des situations de blocage en cas de rachat de société et d’opposition des minoritaires. Là où la première bénéficie d’avantage aux associés minoritaires, la seconde bénéficie aux associés majoritaires

D’autre part, dans le litige à l’étude, le pacte d’actionnaires qualifiait explicitement la clause de promesse de cession, c’est pour cette raison que la Cour de cassation n’a pas suivi la cour d’appel dans sa requalification en obligation de cession. Cependant, il convient de s’interroger sur la solution qu’aurait adopté la Cour de cassation en l’absence de cette énonciation claire dans le pacte d’actionnaires.

Dans le cas où la clause du pacte d’actionnaires était bien reconnue comme une obligation de cession, expression reprise dans l’intitulé de l’article, l’absence du caractère déterminé ou déterminable n’aurait pas permis d’annuler la cession des actions. Mais le prix proposé en l’espèce, 2000 €, peut par exemple faire penser à convoquer l’article 1169 du Code civil qui permet au juge de faire annuler une cession en cas de contrepartie illusoire ou dérisoire, ici le prix de cession.

Enfin, il est rappelé qu’en cas de conflit sur l’évaluation du prix de cession, il est possible de mandater un expert, soit par les parties, soit par ordonnance du président du tribunal, afin d’évaluer les droits sociaux[4]. Cette évaluation s’impose aux parties, à moins d’une erreur manifeste.


[1] CA Paris, 28 mai 2020, n°17/18478

[2] Article 1591 du Code civil

[3] Cass. Com., 21 septembre 2022, 20-16.994, publié au bulletin

[4] Article 1843-4 du Code civil

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