Les obligations continues du bailleur de délivrer au preneur la chose louée et de lui en assurer la jouissance paisible sont exigibles pendant toute la durée du bail, de sorte que la persistance du manquement du bailleur à celles-ci constitue un fait permettant au locataire d’exercer l’action en résiliation du bail.
Cour de cassation, 10 juillet 2025, n° 23-20.491
I –
Un bail commercial a été consenti à une société commerciale portant sur un terrain, des hangars et des bureaux destinés à une activité d’exploitation forestière, de négoce de bois d’œuvre et de scierie.
La locataire a par la suite reproché au bailleur d’avoir réduit d’un tiers la surface des lieux loués, en y édifiant un hangar et un parking donnés à bail à un tiers, et d’avoir ainsi entravé l’accès aux bâtiments loués.
La locataire a alors assigné le bailleur en résiliation du contrat de bail et en indemnisation du préjudice subi.
II –
La cour d’appel a jugé l’action en résiliation du bail, intentée par la locataire sur le fondement des manquements du bailleur à ses obligations de délivrance conforme et de jouissance paisible, partiellement irrecevable comme prescrite.
Elle a retenu que le délai de prescription quinquennale prévu à l’article 2224 du code civil court à compter du jour où la locataire a eu connaissance de la réduction de la surface des lieux loués ainsi que des difficultés d’accès aux bâtiments.
Constatant que ces éléments étaient portés à la connaissance de la locataire depuis plus de cinq ans au jour de l’assignation, elle a jugé que l’action, sur ce fondement, était partiellement prescrite.
III –
La locataire a formé un pourvoi en cassation, et fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite son action en résiliation du bail aux torts du bailleur, en ce qu’elle est fondée sur un manquement du bailleur à son obligation de délivrance et de jouissance paisible.
La locataire soutient que, en jugeant que le délai de prescription de l’action en résiliation fondée sur le manquement du bailleur à son obligation de délivrance ou de jouissance paisible court à compter du jour de la connaissance de la réduction de la surface louée et de la difficulté à accéder au hangar, la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 2224 du code civil.
Selon elle, la prescription de l’action en résiliation du bail fondée sur un tel manquement ne peut commencer à courir qu’à compter de la cessation du manquement imputé au bailleur.
IV –
La Cour de cassation fonde sa décision sur les articles 1709, 1719 et 2224 du code civil.
Elle rappelle, d’une part, que selon l’article 2224, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Elle précise, d’autre part, que le contrat de bail (article 1709) impose au bailleur, en vertu de l’article 1719, des obligations essentielles, notamment celle de délivrer la chose louée et d’en assurer la jouissance paisible pendant toute la durée du bail.
La Haute Juridiction souligne que ces obligations sont de nature continue : elles s’imposent au bailleur tout au long de l’exécution du contrat. En conséquence, tant que le manquement persiste, en l’espèce la réduction de la surface louée et l’atteinte à l’accès aux lieux, le locataire demeure fondé à exercer une action en résiliation.
Le point de départ du délai de prescription ne saurait donc être fixé au seul jour où le locataire a eu connaissance des faits, dès lors que ceux-ci perdurent.
En retenant comme point de départ de la prescription la date de la connaissance du manquement, la cour d’appel a méconnu la nature continue des obligations contractuelles du bailleur et, ce faisant, a violé les textes précités.
V –
Par cette décision, la Cour de cassation réaffirme la nature continue des obligations de délivrance conforme et de jouissance paisible incombant au bailleur pendant toute la durée du bail.
Elle précise que, dans le cadre d’une action en résiliation fondée sur la violation de ces obligations, le point de départ du délai de prescription quinquennale ne peut être fixé qu’à la cessation du manquement, et non au seul moment où le preneur en a eu connaissance, dès lors que le trouble subsiste.
Cette solution protège les droits du locataire face à un manquement contractuel durable, en empêchant le bailleur de se prévaloir du temps écoulé alors que son inexécution se poursuit.