Poursuite d’une activité déficitaire : Quid de la responsabilité du dirigeant ?

Eléonore CATOIRE
Eléonore CATOIRE - Avocat

Source : Cour de Cassation, Chambre commerciale, 22 Septembre 2021, N°19-18.936

 

Rien n’interdit à une société de chercher le juste équilibre entre deux de ses activités.

 

I – Le dirigeant d’une société peut engager sa responsabilité à l’égard de la société et/ou des associés essentiellement en raison (i) de la violation de dispositions légales ou statutaires ou (ii) des fautes qu’il pourrait commettre dans la gestion de la société.

 

Le législateur n’ayant toutefois pas défini précisément, le soin et la compétence qu’il doit apporter à la gestion sociale de sa société, le droit prétorien est venu s’y substituer pour définir au cas par cas, les caractéristiques d’une faute de gestion.

 

Toutefois, la jurisprudence n’exige pas nécessairement d’acte positif. Le grief peut simplement découler de sa passivité ou de son incurie.

 

Par exemple, les mauvais résultats d’une société ne peuvent faire l’objet d’une sanction que s’ils s’accompagnent d’un désintérêt du dirigeant. Commet alors une faute de gestion, celui qui ne fait aucun effort sérieux pour redresser la situation d’une société en difficulté, et qui, malgré l’important déficit de l’entreprise, n’a pas convoqué les associés en assemblées générales pour les informer de la gravité de la situation, et de surcroit, solliciter de leur part, la prise d’une décision pouvant couvrir sa responsabilité personnelle, comme le renflouement de la trésorerie de la société, ou sa dissolution[1].

 

Les juges considèrent de manière constante que l’existence même d’un déficit n’est pas à elle seule significative d’une mauvaise gestion, et ce, à défaut de preuves contraires[2].

 

C’est à la société ou à l’associé qui considèrent la faute constituée, de démontrer concrètement en quoi les comportements reprochés au dirigeant peuvent être constitutifs d’une faute de gestion eu égard à l’éventail de décision de jurisprudence en la matière.

 

II – A l’origine de ce contentieux, une SARL, défenderesse à la cassation, exploite dans un immeuble qui lui appartient et depuis plusieurs décennies, un fonds de commerce de vêtements féminins, dont une partie est réservée à la création et la vente de robe d’évènements et de costumes de cérémonies.

 

Il y a quelques années, pour lutter face à la crise des petits commerces de prêt à porter, et sous l’impulsion de sa gérante, elle décide de louer le rez-de-chaussée à la marque CAMAIEU INTERNATIONAL par le biais d’un classique bail commercial, et pour le reste, de se consacrer à la création et la vente de robes d’événements et de costume de cérémonies.

 

Cette seconde activité se révèle être déficitaire plusieurs années de suite.

 

Faisant le cumul des griefs reprochés à la gérante, une associée décide de diligenter une action à son encontre aux fins (i) d’engager sa responsabilité pour faute de gestion et obtenir le versement de dommages et intérêts, (ii) d’obtenir la révocation judiciaire de la gérante, et (iii) la désignation d’un administrateur judiciaire.

 

Cet article s’oriente avant tout vers la problématique relative à la responsabilité du dirigeant dans l’hypothèse de la poursuite d’une activité déficitaire.

 

III – Considérant l’activité comme étant irrémédiablement compromise, la demanderesse sollicitait l’engagement de la responsabilité de la gérante, et le versement à son bénéfice, de dommages et intérêts. La poursuite de l’activité déficitaire était selon elle :

 

  Contraire à l’intérêt social.

 

  Et dans l’intérêt personnel de sa gérante, qui continuait de ce fait à percevoir une rémunération.

 

Les juges écartent la faute de gestion, et la déboutent de son pourvoi, au motif que :

 

  La poursuite de l’activité déficitaire n’est pas contraire à l’objet social :

 

  L’activité de gestion d’un bien immobilier était bien rattachée à l’objet social décrit dans les statuts, qui prévoyait précisément :

 

« a pour objet l’exploitation d’un commerce de confection pour hommes et dames et généralement, toutes opérations industrielles, commerciales, financières, civiles, mobilières ou immobilières, pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet social ou à tout objet similaire ou connexe ».

 

  Le paiement d’une importante indemnité de pas-de-porte, inhérente à la prise à bail du rez-de-chaussée, avait permis :

 

  (i) de mettre un terme à l’activité de prêt à porter (avec paiement des indemnités de licenciements), elle aussi déficitaire consécutivement à la crise économique,

 

  (ii) de reconstituer une trésorerie ayant permis l’obtention d’un prêt bancaire, lui-même destiné à réaliser divers travaux d’envergure pour rénover et aménager l’immeuble. Par ailleurs, la gérante s’était portée caution dudit prêt.

 

  Depuis l’arrêt de l’activité de vente de vêtements, et malgré l’activité déficitaire, les immobilisations brutes et les capitaux propres n’ont cessé d’augmenter.

 

  C’est grâce aux revenus locatifs mensuels et au paiement du pas-de-porte que la société a pu poursuivre ses activités sans la moindre difficulté puisqu’en effet, depuis la mise en location du rez-de-chaussée, le compte d’exploitation a constamment été bénéficiaire.

 

La Cour de cassation considère que :

 

« si l’activité de vente de la société est déficitaire, elle ne représente toutefois pas un chiffre conséquent et que les revenus locatifs compensent le maintien de cette activité, rien n’interdisant à une société de chercher à équilibrer une activité par une autre ».

 

  La poursuite de l’activité déficitaire dans l’intérêt exclusif de la gérante n’est pas démontrée.

 

L’argument selon lequel, la gérante avait maintenu l’activité déficitaire, dans le seul intérêt de continuer à se verser un salaire n’était pas fondé puisque :

 

  le principe du versement du salaire, son montant, et la légère augmentation (1.500 € à 1850 €) avaient été votés en assemblée générale par les associés,

 

  et n’était que la continuation logique du salaire préalablement perçu par la gérante en son ancienne qualité de chef acheteuse de la société.

 

En conclusion, les deux juridictions déboutent la demanderesse en constatant que l’activité, bien que déficitaire en effet, était compensée par les revenus locatifs générés par la location du rez-de-chaussée. Ces revenus permettaient d’équilibrer les comptes de la société, et se trouvaient être conformes à l’intérêt social défini dans les statuts.

 

En résumé, la Cour de cassation affirme que rien n’interdit à la société de chercher à équilibrer une activité par une autre.

 

Cette jurisprudence s’inscrit dans le prolongement de celle qui précisait déjà que le choix de conserver des activités diversifiées, fussent-elles déficitaires, ne peut pas être considéré comme une faute de gestion dès lors qu’il s’agit d’un choix stratégique dont la mise en œuvre n’a pas démontré qu’il ait été manifestement malheureux ni contraire aux intérêts de la société[3].

 

Il est par ailleurs assez logique que l’intrusion du juge dans la stratégie de l’entreprise se justifie lorsque celle-ci porte atteinte à l’équilibre économique de la société, notamment dans le cadre d’une cessation des paiements.

 

Toutefois, c’est de manière tout à fait logique et nécessaire que la Cour de Cassation considère ne pas avoir à se mêler de la politique menée par le dirigeant en l’espèce, puisque grâce à l’activité annexe, la société est à jour de ses obligations.

 

[1] Cass. com. 5-6-1961, Michel c/ Pannier.

 

[2] CA Paris 22-6-2001 n° 00-21262, 3e ch. C, Space Energy c/ Durand

 

[3] Cass. com. 21 septembre 2004 n° 1243 F-D, Sté Museum Partner LL P Delware c/ Taittinger

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