Plafonnement du déplafonnement : qui fixe l’échéancier de l’article L145-34 al4 du Code de commerce ?

Sylvain VERBRUGGHE
Sylvain VERBRUGGHE

 

SOURCE : 3ème civ, 9 mars 2018, demande d’avis n°17-70.040

 

Le preneur peut accepter ou obtenir au cours du bail commercial, de nouvelles surfaces annexées aux locaux, une adaptation de la destination du bail à l’environnement commercial, une sous location, une modification du loyer, la réalisation de travaux d’amélioration, etc… sans s’interroger sur les conséquences de ces modifications aux stipulations du bail initial lesquelles, lorsqu’elle sont qualifiées de notables et favorables, entrainent le déplafonnement du loyer du bail renouvelé, c’est-à-dire la fixation du loyer à la valeur locative qui peut, dans certaines communes, s’élever au double du dernier loyer payé.

 

Pour pallier cette situation particulièrement dangereuse pour le fonds de commerce du preneur qui avait omis d’encadrer juridiquement ses « acquisitions » par une convention adhoc ayant pour objet d’exclure expressément le déplafonnement dans l’hypothèse litigieuse, la loi Pinel a inséré au Code de commerce un plafonnement du déplafonnement limité aux déplafonnements qui ne sont pas à l’origine d’une carence du preneur

 

Plus précisément, aux termes de l’article L145-34 al 4 du Code de commerce :

 

« En cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 ou s’il est fait exception aux règles de plafonnement par suite d’une clause du contrat relative à la durée du bail, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente »,

 

Dispositif qui a laissé la doctrine perplexe[1] :

 

– le loyer « acquitté » est-il le loyer dû ou le loyer effectivement payé ?

 

– « l’année précédente » est-elle l’année civile ou les douze mois calendaires précédents ?

 

– Comment combiner l’étalement du plafonnement et l’indexation ?

 

– Quid si la valeur locative n’est pas atteinte lors du renouvellement suivant, ce qui est susceptible de se produire lorsque, au titre de la modification des obligation des parties, le loyer initial a été fixé à un montant anormalement bas ?

 

Le Tribunal de Grande Instance de DIEPPE s’est, pour sa part, interrogé sur l’office du juge des loyers commerciaux quant à l’application de l’échéancier Pinel, et a saisi la Cour de cassation pour avis :

 

« Les dispositions de l’article L. 145-34 du code de commerce aux termes desquelles, en cas de modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33 du même code, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente,

 

– donnent-elles uniquement compétence au juge des loyers commerciaux pour fixer le montant du loyer déplafonné à la date du renouvellement du bail, les parties s’accordant ensuite librement pour définir les modalités d’application du taux d’augmentation une année sur l’autre, laquelle peut ne pas être de 10 % chaque année (l’article L. 145-34 évoquant un plafond de 10 % mais n’interdisant pas des augmentations comprises entre 0,1 % et 10 %) ?

 

– donnent-elles uniquement compétence au juge des loyers commerciaux pour fixer le montant du loyer déplafonné à la date du renouvellement du bail, les augmentations ultérieures s’effectuant automatiquement par paliers de 10 % jusqu’à épuisement du loyer plafonné sans discussion possible entre les parties ?

 

– donnent-elles compétence au juge des loyers commerciaux pour fixer le montant du loyer déplafonné non seulement à la date du renouvellement du bail, mais également dans le cadre d’un échéancier pour chacune des neuf années suivant ce renouvellement du bail en faisant application d’un taux annuel de progression de 10 % automatiquement ou de moins de 10 % le cas échéant ?” ;

 

Réponse de la Troisième Chambre civile de la Cour de cassation, qui procède par interprétation stricte des dispositions de l’article R.145-23 du Code de commerce : le dispositif étant distinct de celui de la fixation du loyer,

 

« il revient aux parties, et non au juge des loyers commerciaux dont la compétence est limitée aux contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé, d’établir l’échéancier de l’augmentation progressive du loyer que le bailleur est en droit de percevoir.

 

L’étalement prévu par le texte s’opère annuellement par l’application d’un taux qui doit être égal à 10 % du loyer de l’année précédente, sauf lorsque la différence entre la valeur locative restant à atteindre et le loyer de cette année est inférieure à ce taux.

 

L’étalement n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent convenir de ne pas l’appliquer. »

 

Plus clairement dit, le juge des loyers fixe le loyer de renouvellement, les parties s’accordent sur l’échéancier ou à défaut, saisissent le Tribunal de Grande Instance pour ce faire. Le Tribunal aura-il alors la faculté d’établir un échéancier inférieur à 10% d’augmentation de loyer par an ? Non pour la Cour de cassation, qui évoque logiquement un taux égal à 10% d’augmentation par an jusqu’à atteindre la valeur locative.

 

Cette dernière position pourra sans doute éviter une saisine du Tribunal pour la simple fixation d’un échéancier…

 

Sylvain VERBRUGGHE

Vivaldi-Avocats


[1] Joachim BERNIER, Plafonnement du loyer déplafonné : qui définit les modalités de l’échéancier ? Article du 22 mars 2018

 

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