Peut-on produire devant le juge prud’homal une preuve obtenue de façon déloyale ?

Judith Ozuch
Judith Ozuch

Le juge civil peut dorénavant tenir compte, sous conditions, d’éléments de preuve obtenus de façon déloyale.  

Sources : Cour de cassation, Assemblée plénière, 22-12-2023, n° 20-20.648

Jusqu’au 22 décembre 2023, la Cour de cassation considérait que lorsqu’une preuve était obtenue de manière déloyale, à savoir à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème, un juge ne pouvait pas tenir compte de ce type de preuve[1]. Elle opère depuis un revirement de jurisprudence considérant que le juge civil ne peut pas écarter d’emblée des éléments de preuves obtenus de façon déloyale.

Affaire 1 : Un enregistrement clandestin comme mode de preuve

Un responsable commercial « grands comptes » était licencié pour faute grave. Les juges d’appel ont considéré que les preuves de l’employeur, à savoir l’enregistrement de l’entretien préalable à l’insu du salarié, avaient été récupérées de façon déloyale et qu’elles n’étaient donc pas recevables.

L’employeur a formé un pourvoi en cassation considérant « que l’enregistrement audio, même obtenu à l’insu d’un salarié, est recevable et peut être produit et utilisé en justice dès lors qu’il ne porte pas atteinte aux droits du salarié, qu’il est indispensable au droit à la preuve et à la protection des intérêts de l’employeur et qu’il a pu être discuté dans le cadre d’un procès équitable ».

La Cour de cassation était donc, à nouveau, interrogée sur la recevabilité en justice d’une preuve obtenue de façon déloyale.

La Cour de cassation rend une décision pédagogique.

Dans un premier temps, elle rappelle que « la Cour européenne des droits de l’homme ne retient pas par principe l’irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales ». Les juges européens considèrent « qu’il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence ».

Ensuite, la Haute juridiction rappelle le principe en matière pénale « aucune disposition légale ne permet au juge répressif d’écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale[2] ».

Enfin, elle relève « la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites » et invoque l’existence d’un « risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile ».

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation opère donc un revirement de jurisprudence en considérant que « dans un procès civil, l‘illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».

La Cour de cassation a ainsi renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris qui devra « procéder au contrôle de proportionnalité tel qu’énoncé » par la Cour de cassation sans pouvoir écarter d’emblée les preuves obtenues de manière déloyale comme l’avait fait la première cour d’appel.

La méthodologie est posée :

  1. Le juge doit s’interroger sur la légitimité du contrôle opéré par l’employeur ;
  2. Il doit vérifier s’il existait des raisons concrètes qui justifiaient un tel recours ;
  3. Il doit rechercher si l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens plus respectueux de la vie personnelle du salarié ;
  4. Enfin, il doit apprécier le caractère proportionné de l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle au regard du but poursuivi.

Affaire 2 : L’ouverture du compte Facebook du salarié – une preuve déloyale qui ne peut être invoquée s’agissant d’éléments relevant de la vie privée du salarié

Le remplaçant d’un salarié avait découvert sur le compte Facebook de celui-ci, resté accessible sur son ordinateur professionnel, une conversation avec une autre salariée de l’entreprise.

Dans cette conversation, le salarié absent sous-entendait, dans des termes insultants, que la promotion dont avait bénéficié l’intérimaire était liée à son orientation sexuelle et à celle de son supérieur hiérarchique. Le salarié intérimaire avait alors transmis cet échange à l’employeur ce qui avait entraîné le licenciement pour faute grave du salarié à l’origine de la conversation, en raison des propos insultants tenus.

L’Assemblée plénière de la Cour de cassation rejette la possibilité d’ invoquer cet élément de preuve pour fonder le licenciement du salarié considérant « qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ».

Les juges ont alors décidé qu’ « une conversation privée qui n’était pas destinée à être rendue publique ne pouvant constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail, il en résulte que le licenciement, prononcé pour motif disciplinaire, est insusceptible d’être justifié ».

La Cour de cassation considère que « les juges n’avaient pas à s’interroger sur la valeur de la preuve provenant de la messagerie Facebook ».

Cette décision est conforme à la jurisprudence habituelle de la Cour.


[1] Cass. ass. plén. 7-1-2011 nos 09-14.316 et 09-14.667

[2] Cass. crim. 11-6-2002 n° 01-85.559

Print Friendly, PDF & Email
Partager cet article