SOURCE : 3ème civ, 5 octobre 2017, n°16-18059, FS – P+B+I
Il résulte des dispositions de l’article L145-34 du Code de commerce qu’à moins d’une modification notable des éléments composant la valeur locative, listés au 1° à 4° de l’article L145-33 du Code de commerce, le loyer du bail renouvelé doit, sauf exceptions, être plafonné.
Parmi ces « éléments » figurent les « obligations des parties », et notamment, les travaux d’améliorations du preneur sur les locaux, qui peuvent, aux termes de l’article R145-8 du Code de commerce, être invoqués par le bailleur pour légitimer une demande de déplafonnement ou figurer dans l’assiette de calcul de la valeur locative des locaux lorsque « directement ou indirectement, notamment par l’acceptation d’un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge. »[1] A défaut, ces travaux ne peuvent être invoqués qu’au cours du second renouvellement du bail (si tant est que le bailleur accède aux travaux[2]).
Il en résulte qu’en cas de fixation du loyer à la valeur locative, un abattement doit être pratiqué sur le montant du loyer de renouvellement de manière à écarter les travaux d’amélioration réalisés par le preneur.
Le principe souffre toutefois d’une exception concernant la fixation du loyer des locaux construits ou aménagés en vue d’une seule utilisation (article R145-10 du code de commerce), autrement qualifiés de « locaux monovalent ». En effet, dans ce type de locaux (hôtel, garage automobile, salle de spectacle, etc., dont la modification de la destination serait particulièrement couteuse), la jurisprudence considère qu’il n’y a pas lieu de rechercher si le bailleur a participé ou non aux travaux d’amélioration du preneur : l’ensemble de ces travaux, qu’ils aient ou non accédé au bailleur, entre dans l’assiette du calcul de la valeur locative, sans qu’il y ait lieu de pratiquer un abattement[3].
La rédaction ambigüe d’un arrêt du 3 mai 2007[4] publié au bulletin avait toutefois jeté le trouble dans l’esprit de certains commentateurs :
« Attendu, d’autre part, qu’ayant retenu que par sa nature, le commerce exploité par la société Hôtel de la Paix République relevait de l’article 23-8 du décret du 30 septembre 1953 (NDLR : R145-10 du Code de commerce) relatif à la fixation du loyer des locaux construits en vue d’une seule utilisation, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que le loyer devait être fixé à la valeur locative selon les usages observés dans la branche d’activité concernée, indépendamment de toute amélioration apportée aux lieux loués par des travaux autres que ceux visés par la loi du 1er juillet 1964, devenue les articles L. 311-2 à L. 311-6 du code du tourisme et au financement desquels le bailleur n’a pas participé »
Une lecture stricte de l’arrêt, certes contredite par son titrage et résumé et les données de l’espèce, les conduisait à distinguer les travaux réalisés dans les locaux monovalents « hôteliers » dans le cadre de la loi du 1er juillet 1964, qui pouvaient être invoqués lors du premier renouvellement par le bailleur en l’absence de respect du formalisme édicté par le texte, et ceux qui n’en faisaient pas parti.
Une partie de la doctrine en déduisait ainsi que la Haute juridiction admettait « que des travaux réalisés par le locataire autres que ceux relevant de la loi hôtelière, et au financement desquels le bailleur n’avait pas participé, pouvaient bénéficier des dispositions de l’article R145-8 du Code de commerce au titre des améliorations »[5].
La présente décision confirme qu’il n’en est rien : la fixation du loyer de renouvellement des locaux monovalents est indifférente à la notion de travaux d’amélioration.
En l’espèce, un terrain est donné à bail commercial à un preneur qui procède à de nombreux travaux qualifiés par les parties « d’amélioration », pour mettre le terrain en adéquation avec sa destination : le camping.
Le bailleur a fait reconnaître par la Cour d’appel Montpellier (par une décision a priori avant dire droit), que les locaux construits par le preneur sur le terrain ont été édifiés en vue d’une seule utilisation au sens de l’article R145-10 du Code de commerce.
Dans ses écritures en ouverture du rapport d’expertise, le preneur prétendait, sur le fondement de l’article R145-8 du Code de commerce, que les travaux d’amélioration ne devaient pas figurer dans l’assiette de calcul du loyer, et sollicitait en conséquence un abattement de 40% sur le prix du bail, que lui ont refusé les magistrats Montpelliérains.
Saisie d’un pourvoi du preneur, la Cour de cassation, rappelant sa jurisprudence précitée, confirme que la monovalence des locaux « exclut l’application des dispositions de l’article R145-8 du Code de commerce »
Il en résulte que lorsque le bail porte sur des locaux monovalents, la qualification de travaux d’amélioration et de participation du bailleur aux travaux importe peu : l’ensemble des travaux du preneur, et même ses constructions, seront appréciés par l’expert pour fixer le montant du loyer de renouvellement.
Mais attention, la Cour de cassation ne dit pas, a priori, que les travaux qui ne sont pas entrés dans la propriété du bailleur seront pris en compte : Pour que les travaux du preneur soient considérés par l’expert, encore faut-il que le bailleur ait effectivement accédé aux travaux du preneur[6].
Tel ne sera par exemple pas le cas de locaux monovalents édifiés en cours de bail sur un terrain nu, alors que le bail stipule que le bailleur accèdera aux travaux en fin de jouissance du preneur : dans ce cas, le loyer sera calculé en référence au seul terrain nu[7].
Sylvain VERBRUGGHE
Vivaldi-Avocats
[1] Sur la prise en compte des travaux d’amélioration lors du second renouvellement, cf notre article du 28 mai 2014 Déplafonnement du loyer du bail renouvelé invoqué par le bailleur, fondé sur les travaux réalisés par le Preneur. Suite. et du 11 avril 2014 Déplafonnement du loyer du bail renouvelé invoqué par le bailleur, fondé sur les travaux réalisés par le Preneur.
[2] 3ème civ, 21 mars 2001, n°99-16640, Publié au bulletin
[3] 3ème civ, 1 mars 2000, n°98-14763, Publié au bulletin
[4] 3ème civ, 3 mai 2007, n°06-11210, Publié au Bulletin
[5] Memento Francis LEFEBVRE, Baux commerciaux 2015-2016, n°39332 page 455
[6] Sur l’accession, cf notamment notre article La construction d’un immeuble par le preneur à bail commercial d’un terrain nu relève des travaux d’amélioration
[7] 3ème civ, 21 mai 2014, n°13-12592, Publié au Bulletin