SOURCE : CE 12 mars 2014, req. n° 353066
Définie classiquement comme « l’état de non valeur auquel se trouve réduit un acte initialement valable du fait que la condition à laquelle était suspendue sa pleine efficacité vient à manquer par l’effet d’un évènement postérieur » [1] la caducité est une notion qui traverse les différentes branches du droit.
On songe en premier lieu à la procédure civile ; le Code prévoit en effet que la personne qui a pris l’initiative d’engager un procès peut voir la citation en justice déclarée caduque dans les cas et conditions déterminés par la loi. Lorsque cette sanction est prévue et que le juge la prononce, la demande est alors rendue inefficace : la citation en justice déclarée caduque doit être recommencée (voir les articles 406 et 407 ainsi que 468 du Code de procédure civile).
On songe encore, toujours en droit civil, au sort des actes juridiques affectés d’une condition suspensive lorsque cette dernière ne se réalise pas.
Mais la caducité a également vocation à intéresser le domaine du droit public. C’est, par exemple, l’hypothèse du permis de construire que l’écoulement du temps rend caduc. A ce sujet, l’article R. 421-32 du code de l’urbanisme prévoit deux causes de caducité du permis de conduire : l’absence de commencement de travaux significatifs dans le délai de deux ans à compter de la notification du permis de construire et l’interruption des travaux pendant un délai supérieur à une année.
Un arrêt rendu le 12 mars 2014 par le Conseil d’état illustre une autre figure de la caducité.
A l’origine, une association de Harkis avait saisi le juge administratif aux fins d’annuler, notamment, le télégramme du ministre des armées n° 1334/MA/CAB/DIR du 12 mai 1962, les télégrammes des 16 mai 1962 et 15 juillet 1962 du ministre d’Etat, ministre des affaires algériennes et la circulaire du ministre des rapatriés du 31 janvier 1964.
On sait que nonobstant la qualification retenue – circulaire ou même télégramme -, les actes de l’administration peuvent être frappés d’un recours pour excès de pouvoir, dès lors qu’ils font grief, c’est-à-dire qu’ils comportent une disposition impérative.
La qualification d’acte administratif, susceptible en cela d’un contrôle de légalité par l’intermédiaire d’un recours pour excès de pouvoir, dépend donc, cela est connu, moins de considérations formelles que matérielles.
L’arrêt rendu le 12 mars 2014 permet de préciser que l’exigence d’un grief doit être établie au jour où le juge statue.
Tel n’est pas le cas de télégrammes et circulaires devenus caducs.
Devenus sans objet, puisqu’ils visaient à encadrer l’indépendance de l’Algérie, ces derniers sont devenus caducs. Ils ont disparu :
« qu’il est constant que les dispositions impératives que comportaient ces télégrammes et cette circulaire et qui trouvaient leur origine dans les événements qui ont précédé ou suivi l’indépendance de l’Algérie, n’étaient plus susceptibles, en raison de la disparition des situations qu’ils entendaient régir, de donner lieu à des décisions prises sur leur fondement lorsqu’ont été enregistrées les conclusions tendant à leur annulation ; qu’il suit de là que ces conclusions, qui sont dirigées contre des actes frappés de caducité, sont dépourvues d’objet et doivent être rejetées comme irrecevables ».
Le Conseil d’État a donc reconnu l’existence de dispositions impératives, mais cette reconnaissance est conjuguée au passé (« les dispositions impératives que comportaient ces télégrammes et cette circulaire »).
Le Conseil d’État a également précisé la sanction subséquente frappant les actes de procédure contre les actes devenus caducs : ils sont irrecevables.
Cette sanction – cette fois procédurale – n’est guère surprenante. On comprend en effet qu’il ne soit pas possible de saisir valablement un juge d’une demande contre un acte devenu sans objet.
Parfaitement articulée en droit, la décision n’appelle aucune réserve de ce point de vue.
Mais du point de vue du non juriste, il pourra sembler difficile à entendre qu’un acte ayant fait grief dans le passé ne puisse plus être contesté.
Il pourrait être répliqué, par certains, mais l’on quitte le strict discours juridique, que les livres d’histoire, et non les prétoires, sont le lieu pour débattre de l’histoire.
Stéphanie TRAN
Vivaldi-Avocats
[1] G. CORNU, Vocabulaire Juridique de l’association Henri Capitant, PUF, coll. QUADRIGE, p. 126